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premiers travaux, paraissant offrir trop souvent dans son style et dans ses principes littéraires, le surprenant contraste d'un esprit juste et d'un goût faux. Une méthode d'exposition toujours précise et lumineuse aurait fait de ses Entretiens sur la pluralité des Mondes un excellent livre, malgré ses erreurs, sans cette galanterie fade à la fois et précieuse qui, dans l'opinion contemporaine, en fit un Livre charmant. Il faut le dire pour marquer la disposition des esprits à cette époque, et mieux apprécier le changement opéré depuis dans le goût général de la Nation; si l'on voulait rendre à ce livre la réputation qu'il conserve à peine, et qu'il mérite, il suffirait d'en retrancher ce qui le rendit célèbre. Ses défauts l'ont fait lire autrefois : il est moins connu de nos jours ou il faudrait le lire malgré ses défauts.

Pages 16 et 17. Les principes de la Littérature exposés dans des Réthoriques etc. .... Des Historiens encore célèbres, les Rollins, les Dubos, les Bougeants les Vertots etc.

L'on desirerait aujourd'hui dans le Traité des Études moins de superfluités, une raison plus vaste et plus sévère: mais le succès de cet ouvrage prouva son utilité; il en est peu qui aient plus contribué à répandre parmi nous le goût et la connaissance des vrais modèles. -Les Réflexions sur la Poésie, la Peinture et la Musique, peuvent encore être lues avec fruit malgré des erreurs importantes et nombreuses. On trouve

déjà dans Dubos cet art qui manquait à Rollin, de géméraliser ses principes, et de faire penser son lecteur.

Ces deux hommes très-estimables comme rhéteurs, se sont acquis comme historiens une réputation non moins durable. Mais ni l'Histoire ancienne de Rollin écrite pour les jeunes gens, trop amis des fables et des digressions, ni celle de la ligue de Cambrai, par Dubos, plus faite pour les hommes mûrs et les politiques, ni la narration élégante et précise de Bougeant, historien du Traité de Westphalie, ni les scènes toujours grandes, toujours animées, et quelquefois si dramatiques des Révolutions de Vertot, ressemblaient en rien, comme je l'ai observé dans le texte, à cette nouvelle manière d'écrire l'Histoire dont Voltaire parmi nous a donné depuis le premier exemple, et que la plupart des Nations de l'Europe se sont empressé d'adopter.

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Page 17. La véritable éloquence qui, par un effet de nos institutions, ne s'était montrée long-tems que dans la chaire évangélique, commençait à s'introduire dans le sein des Tribunaux, etc.

Parmi ceux qui jusqu'alors s'étaient acquis le plus de réputation dans l'éloquence du Barreau, ceux-ci toujours hors de leur sujet, avaient traduit en ridicule la pompe et la magnificence des Orateurs de l'Antiquité: ceux-là, plus sages et non plus heureux, s'étaient renfermés toujours dans les bornes d'une dissertation froide et pédantesque, hérissée de textes et

d'interprétations. Plus judicieux que les uns, plus noble et plus précis que les autres, Cochin donnait le premier l'exemple d'étudier et d'imiter les Anciens, sans affecter dans des sujets trop inférieurs de lutter avec eux de génie. En même-tems un magistrat dont les talens seraient encore estimables sans l'illustration qu'ils durent à ses vertus, le Chancelier Daguesseau, répandait, avec trop d'abondance peut-être, dans des harangues de Magistrature et sur des objets de Jurisprudence, ces fleurs de la Littérature que Fontenelle avait semées avec plus de grace dans l'analyse des Sciences, et dans les discussions philosophiques.

Page 20..... Un Académicien célèbre, prosateur spirituel et facile, vérificateur languissant et forcé.

Il faut cependant pour être juste, ne pas oublier que La Motte a donné plusieurs opéra agréables, parmi lesquels on distingua surtout celui de Sémélé, où se trouvent quelques scènes ingénieuses, dialoguées avec finesse, et même versifiées avec assez d'élégance; et une tragédie, (Inès de Castro), qui, à la faveur des situations, et de quelques traits de sentiment, s'est long-tems maintenue au théâtre.

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Page 21. Sur Louis Racine. Et dans sa monotonie savante, il laisse voir souvent la perfection de l'art et la médiocrité du talent, etc.

Il faudrait faire cependant une honorable exception en faveur de quelques passages de son poème, qu'il est

inutile d'indiquer, parce qu'ils sont dans la mémoire de tous les amis des vers. Ses Epîtres, ses Odes, moins connues, méritent beaucoup moins de l'être. Le style en est pur, élégant, mais souvent d'une extrême faiblesse, et presque entièrement dénué d'inspiration; si toutefois on excepte aussi quelques fragmens, beaucoup plus rares, et dont le meilleur, ce me semble, est ce passage très-heureux d'une imitation d'Isaïe :

Comment es-tu tombé des cieux,
Astre brillant, fils de l'Aurore?
Puissant Roi, Prince audacieux,
La terre aujourd'hui te dévore :
Comment es-tu tombé des cieux,
Astre brillant, fils de l'Aurore?

Dans ton cœur tu disais : à dieu même pareil,
J'établirai mon trône au-dessus du soleil,
Et près de l'aquilon, sur la montagne sainte,
J'irai m'asseoir sans crainte:

A mes pieds trembleront les humains éperdus,

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De l'harmonie, des images, de la vivacité dans les tours et du choix dans les expressions, tout concourt à faire de ce morceau un chef-d'œuvre de versification et de poésie, digne du grand Racine lui-même, et qui n'aurait point déparé les choeurs d'Athalie ou d'Esther. Mais le fils de ce grand homme ne se soutient guère à cette hauteur; ses forces sont bientôt épuisées, et il tombe de faiblesse. Alors c'est vainement que l'art et le goût prennent la place de l'inspiration et du génie, que rien ne peut remplacer : le poète devient un versificateur très-savant, très - estimable, et rien de plus.

Ces éclairs de génie poétique, qui brillent de loin à loin dans ses compositions, d'ailleurs presqu'aussi froides qu'élégantes, ont fait croire à des hommes de beaucoup d'esprit que l'auteur du Poème de la Religion avait trouvé dans les papiers de son père des esquisses, des fragmens épars, qu'il s'était appropriés par droit de succession. Il existe même un exemplaire de ses OEuvres, qui faisait autrefois partie de la bibliothèque de Ferney, où, lorsqu'il se présente quelqu'un de ces morceaux dignes d'un grand poète, et qui semblent faire contraste avec ce qui précède et ce qui suit, on lit en marge ces mots, écrits de la main de Voltaire : Gloria patri! et plus bas, quand l'ouvrage change de ton: Et filio, et filio, et filio. Qu'est-ce que cela prouve? Rien, à mon sens, sinon que Voltaire avait trouvé dans les ouvrages de Racine fils, des vers tels que l'auteur de Phèdre luimême ne les aurait pas désavoués.

Louis Racine était d'ailleurs un littérateur peu vulgaire, un esprit aussi juste qu'éclairé nourri des meilleurs principes littéraires, il les a développés dans ses Réflexions sur la Poésie, toujours avec clarté, quelquefois même avec finesse. Ses Remarques sur les Tragédies de son père, me paraissent un monument élevé à la gloire de l'un et de l'autre. Aussi plein de modestie que de piété filiale, il s'était fait peindre, le troisième volume de ces tragédies à la main, les regards fixés sur

ce vers:

Et moi fils inconnu d'un si glorieux père.

Phédre, Acte 1oг. Scène îoo.

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