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mains, et à cause que vous avez pris soin de lui. Il vous est obligé de son mérite, comme à Auguste de sa dignité. L'empereur le fit consul, et vous l'avez fait honnête homme; mais vous l'avez pu faire par les lois d'un art qui 5 orne la vérité, qui permet de favoriser en imitant, qui quelquefois se propose le semblable et quelquefois le meilleur. Je ne veux pas commencer une dissertation, je veux finir ma lettre, et conclure par les protestations ordinaires, mais très sincères et très véritables, que je suis, etc.

2. Passage du Socrate Chrétien, 1652

(extrait du Discours III)

Rien ne paraît ici de l'homme, rien qui porte sa marque et qui soit de sa façon. Je ne vois rien qui ne me semble plus que naturel dans la naissance et dans le progrès de cette doctrine: les ignorants l'ont persuadée aux philosophes; de pauvres pêcheurs ont été érigés en docteurs 15 des rois et des nations, en professeurs de la science du ciel. Ils ont pris dans leurs filets les orateurs et les poètes, les jurisconsultes et les mathématiciens.

Cette république naissante s'est multipliée par la chasteté et par la mort, bien que ce soient deux choses stériles 20 et contraires au dessein de multiplier. Ce peuple choisi s'est accru par les pertes et par les défaites: il a combattu, il a vaincu étant désarmé. Le monde, en apparence, avait ruiné l'Église; mais elle a accablé le monde sous ses ruines. La force des tyrans s'est rendue au courage des 25 condamnés. La patience de nos pères a lassé toutes les mains, toutes les machines, toutes les inventions de la cruauté.

Chose étrange et digne d'une longue considération! re

prochons-la plus d'une fois à la lâcheté de notre foi et à la tiédeur de notre zèle: en ce temps-là, il y avait de la presse à se faire déchirer, à se faire brûler pour JésusChrist. L'extrême douleur et la dernière infamie attiraient les hommes au christianisme: c'étaient les appas 5 et les promesses de cette nouvelle secte. Ceux qui la suivaient et qui avaient faveur à la cour, avaient peur d'être oubliés dans la commune persécution: ils s'allaient accuser eux-mêmes s'ils manquaient de délateurs. Le lieu où les feux étaient allumés et les bêtes déchaînées s'appelait, en 10 la langue de la primitive Église, la place où l'on donne les

couronnes...

Le sang des martyrs a été fertile, et la persécution a peuplé le monde de chrétiens. Les premiers persécuteurs, voulant éteindre la lumière qui naissait et étouffer l'Église 15 au berceau, ont été contraints d'avouer leur faiblesse après avoir épuisé leurs forces. Les autres qui l'attaquèrent depuis ne réussirent pas mieux en leur entreprise. Et, bien qu'il y ait encore des inscriptions qu'ils nous ont laissées, pour avoir purgé la terre de la nation des chrétiens 20 et pour avoir aboli le nom chrétien en toutes les parties de l'empire, l'expérience nous a fait voir qu'ils ont triomphé à faux, et leurs marbres ont été menteurs. Ces superbes inscriptions sont aujourd'hui des monuments de leur vanité, et non pas de leur victoire. L'ouvrage de Dieu n'a 25 pu être défait par la main des hommes. Et disons hardiment à la gloire de notre Jésus-Christ et à la honte de leur Dioclétien: «Les tyrans passent, mais la vérité de

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3. La retraite de Balzac dans l'Angoumois

(lettre à M. de la Mothe-Aigron, avocat au siège
présidial d'Angoumois, 4 sept. 1632)

Monsieur, il fit hier un de ces beaux jours sans soleil que vous dites qui ressemblent à cette belle aveugle1 dont Philippe second était amoureux. En vérité je n'eus jamais tant de plaisir à m'entretenir moi-même; et, quoique je 5 me promenasse dans une campagne toute nue et qui ne saurait servir à l'usage des hommes que pour être le champ d'une bataille, néanmoins l'ombre que le ciel faisait de tous côtés m'empêchait de désirer celle des grottes et des forêts. La paix était générale depuis la plus haute région 10 de l'air jusque sur la face de la terre; l'eau de la rivière 2 paraissait aussi plate que celle d'un lac; et si, en pleine iner, un tel calme surprenait pour toujours les vaisseaux, ils ne pourraient jamais ni se sauver ni se perdre... Nous sommes ici en un petit rond tout couronné de montagnes 15 où il reste encore quelques grains de cet or dont les premiers siècles ont été faits3. . . Notre peuple ne se conserve dans son innocence ni par la crainte des lois ni par l'étude de la sagesse; pour bien faire, il suit simplement la bonté de sa nature, et tire plus d'avantage de l'ignorance 20 du vice que nous n'en avons de la connaissance de la vertu. De sorte qu'en ce royaume de demi-lieue on ne sait tromper que les oiseaux et les bêtes, et le style du Palais1 est une langue aussi inconnue que celle de l'Amérique ou de quelque autre nouveau monde qui s'est sauvé de l'avarice

1 La princesse d'Eboli; elle était borgne et non aveugle. Philippe II, roi d'Espagne (1527–1598).

2 La rivière Charente, dans l'Angoumois.
'Allusion à l'âge d'or.

Le Palais de Justice.

de Ferdinand et de l'ambition d'Isabelle. Les choses qui nuisent à la santé des hommes ou qui offensent leurs yeux en sont généralement bannies. Il ne s'y vit jamais de lézards ni de couleuvres; et, de toutes les sortes de reptiles, nous ne connaissons que les melons et les fraises. Je ne 5 veux pas vous faire le portrait d'une maison dont le dessin n'a pas été conduit selon les règles de l'architecture, et la matière n'est pas si précieuse que le marbre et le porphyre. Je vous dirai seulement qu'à la porte il y a un bois où, en plein midi, il n'entre de jour que ce qu'il en faut pour 10 n'être pas nuit et pour empêcher que toutes les couleurs ne soient noires. Tellement que, de l'obscurité et de la lumière, il se fait un troisième temps qui peut être supporté des yeux des malades et cacher les défauts des femmes qui sont fardées. Les arbres y sont verts jusqu'à la racine, 15 tant de leurs propres feuilles que de celles du lierre qui les embrasse, et, pour le fruit qui leur manque, leurs branches sont chargées de tourtes et de faisans en toutes les saisons de l'année . . .

Je descends quelquefois dans cette vallée, qui est la plus 20 secrète partie de mon désert, et qui jusques ici n'avait été connue de personne. C'est un pays à souhaiter et à peindre, que j'ai choisi pour vaquer à mes plus chères occupations et passer les plus douces heures de ma vie. L'eau et les arbres ne le laissent jamais manquer de frais et de 25 vert. Les cygnes, qui couvraient autrefois toute la rivière, se sont retirés en ce lieu de sûreté, et vivent dans un canal qui fait rêver les plus grands parleurs aussitôt qu'ils s'en approchent, et au bord duquel je suis toujours heureux, soit que je sois joyeux, soit que je sois triste. 30 Pour peu que je m'y arrête, il me semble que je retourne en ma première innocence. Mes désirs, mes craintes

et mes espérances cessent tout d'un coup. Tous les mouvements de mon âme se relâchent, et je n'ai point de passions, ou, si j'en ai, je les gouverne comme des bêtes apprivoisées

...

5

III. VOITURE

1598-1648

1. Lettre au duc d'Enghien, vainqueur à la bataille de Rocroy,1 le 18 mai 1643

Monseigneur, à cette heure que je suis loin de Votre Altesse et qu'elle ne peut plus me faire de charge, je suis résolu à vous dire tout ce que je pense d'Elle depuis longtemps. A dire le vrai, Monseigneur, vous seriez injuste si vous pensiez faire les choses que vous faites sans qu'il en 10 fût autrement question ni que l'on prît la liberté de vous en parler. Si vous saviez de quelle sorte tout le monde est déchaîné dans Paris à discourir de vous, je suis assuré que vous en auriez honte et que vous seriez étonné de voir avec combien peu de respect et peu de crainte de vous 15 déplaire tout le peuple s'entretient de ce que vous avez fait.

A dire la vérité, ç'a été trop de hardiesse et de violence à vous d'avoir, à l'âge où vous êtes, choqué de vieux capitaines que vous deviez respecter, quand ce n'eût été que pour leur expérience; fait tuer le pauvre comte de Fon

1 Le duc d'Enghien avait 22 ans lorsqu'il vainquit les Espagnols à Rocroy, ville des Ardennes. A la mort de son père il hérita le titre de Prince de Condé. La postérité l'a nommé le Grand Condé. Voir la célèbre description de cette bataille dans l'Oraison funèbre de Bossuet, chap. VIII de ce livre. La Flandre avait passé à la maison d'Autriche lors du démembrement des États de la maison de Bourgogne, sous Louis XI, et, avait été rattachée à la couronne d'Espagne par Charles V d'Espagne (petit-fils de Maximilien, empereur d'Autriche).

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