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Pour moi, je cède aux ans, et ma tête chenue
M'apprend qu'il faut quitter les hommes et le jour.
Mon sang se refroidit, ma force diminue,

Et je serais sans feu si j'étais sans amour.

C'est dans peu de matins que je croîtrai le nombre
De ceux à qui la Parque a ravi la clarté.
Oh! qu'on oira1 souvent les plaintes de mon ombre
Accuser ton mépris de m'avoir maltraité!

Que feras-tu, Chloris, pour honorer ma cendre?
Pourras-tu, sans regret, ouïr parler de moi?
Et le mort que tu plains te pourra-t-il défendre
De blâmer ta rigueur et de louer ma foi?

Si je voyais la fin de l'âge qui te reste,
Ma raison tomberait sous l'excès de mon deuil;
Je pleurerais sans cesse un malheur si funeste,
Et ferais jour et nuit l'amour à ton cercueil.

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ΙΟ

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2. RACAN

1589-1670

1. Plaintes d'un vieux berger

(extraits des Bergeries)

Ne saurais-je trouver un favorable port
Où me mettre à l'abri des tempêtes du sort?
Faut-il que ma vieillesse, en tristesse féconde,
Sans espoir de repos, erre par tout le monde?
Heureux qui vit en paix du lait de ses brebis,
Et qui de leur toison voit filer ses habits;
Qui plaint de ses vieux ans les peines langoureuses
Où sa jeunesse a plaint les flammes amoureuses;
Qui demeure chez lui comme en son élément,
Sans connaître Paris que de nom seulement,

Et qui, bornant le monde aux bords de son domaine,

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Ne croit point d'autre mer1 que la Marne ou la Seine!
En cet heureux état, les plus beaux de mes jours
Dessus les rives d'Oise ont commencé leur cours.
Soit que je prisse en main le soc ou la faucille,
Le labeur de mes bras nourrissait ma famille;
Et lorsque le soleil en achevant son tour
Finissait mon travail en finissant le jour,
Je trouvais mon foyer couronné de ma race;
A peine bien souvent y pouvais-je avoir place:
L'un gisait au maillot, l'autre dans le berceau;
Ma femme, en les baisant, dévidait son fuseau.
Le temps s'y ménageait comme chose sacrée:
Jamais l'oisiveté n'avait chez moi d'entrée.
Aussi les dieux alors bénissaient ma maison;
Toutes sortes de biens me venaient à foison.
Mais, hélas! ce bonheur fut de peu de durée:
Aussitôt que ma femme eut sa vie expirée,
Tous mes petits enfants la suivirent de près,
Et moi je restai seul, accablé de regrets,
De même qu'un vieux tronc, relique de l'orage,
Qui se voit dépouillé de branches et d'ombrage.

2. Stances à Tircis

(Sur la Retraite)

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Tircis, il faut penser à faire la retraite:
La course de nos jours est plus qu'à demi faite;
L'âge insensiblement nous conduit à la mort.
Nous avons assez vu sur la mer de ce monde
Errer au gré des flots notre nef vagabonde:
Il est temps de jouir des délices du port.

1 Ne croit pas (à l'existence) d'autres mers.

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Le bien de la fortune est un bien périssable;
Quand on bâtit sur elle, on bâtit sur le sable;
Plus on est élevé, plus on court de dangers;

Les grands pins sont en butte aux coups de la tempête,
Et la rage des vents brise plutôt le faîte

Des maisons de nos rois que des toits des bergers.

Oh! bienheureux celui qui peut de sa mémoire
Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire
Dont l'inutile soin traverse nos plaisirs,
Et qui, loin retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison, content de sa fortune,
A, selon son pouvoir, mesuré ses désirs!

Il laboure le champ que labourait son père;
Il ne s'informe pas de ce qu'on délibère
Dans ces graves conseils d'affaires accablés;
Il voit sans intérêt la mer grosse d'orages,
Et n'observe des vents les sinistres présages
Que pour le soin qu'il a du salut de ses blés.

Roi de ses passions, il a ce qu'il désire;
Son fertile domaine est son petit empire;

Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau;

Ses champs et ses jardins sont autant de provinces,
Et, sans porter envie à la pompe des princes,

Se contente chez lui de les voir en tableau.

S'il ne possède point ces maisons magnifiques,
Ces tours, ces chapiteaux, ces superbes portiques
Où la magnificence étale ses attraits,

Il jouit des beautés qu'ont les saisons nouvelles,

Il voit de la verdure et des fleurs naturelles

Qu'en ces riches lambris l'on ne voit qu'en portraits.

Agréables déserts, séjour de l'innocence,

Où, loin des vanités, de la magnificence,
Commence mon repos et finit mon tourment,
Vallons, fleuves, rochers, plaisante solitude,
Si vous fûtes témoins de mon inquiétude,
Soyez-le désormais de mon contentement.

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