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C'est tout ce que j'ai vu dans Rome à mon abord.
N'a-t-on point de présent à faire,

Point de pourpre à donner, c'est en vain qu'on espère
Quelque refuge aux lois: encor leur ministère

A-t-il mille longueurs. Ce discours, un peu fort,
Doit commencer à vous déplaire.

Je finis. Punissez de mort

Une plainte un peu trop sincère.>>

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A ces mots, il se couche; et chacun étonné

Admire le grand cœur, le bon sens, l'éloquence

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Du sauvage ainsi prosterné.

On le créa patrice; et ce fut la vengeance

Qu'on crut qu'un tel discours méritait. On choisit

D'autres préteurs; et par écrit

Le sénat demanda ce qu'avait dit cet homme,
Pour servir de modèle aux parleurs à venir.
On ne sut pas longtemps à Rome

Cette éloquence entretenir.

24. Les souris et le chat-huant

XI. 9

[Cette fable est dirigée contre la doctrine de l'automatisme des bêtes de Descartes. Voir plus loin, p. 189.)

Il ne faut jamais dire aux gens,
Écoutez un bon mot, oyez1 une merveille.
Savez-vous si les écoutants

En feront une estime à la vôtre pareille?
Voici pourtant un cas qui peut être excepté:
Je le maintiens prodige, et tel que d'une fable
Il a l'air et les traits, encor que véritable.

1 Oyez=entendez.

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25.

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ΙΟ

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On abattit un pin pour son antiquité,

Vieux palais d'un hibou, triste et sombre retraite
De l'oiseau qu'Atropos prend pour son interprète.
Dans son tronc caverneux, et miné par
le temps

Logeaient, entre autres habitants,

Force souris sans pieds, toutes rondes de graisse.
L'oiseau les nourrissait parmi des tas de blé,
Et de son bec avait leur troupeau mutilé.
Cet oiseau raisonnait, il faut qu'on le confesse.
En son temps, aux souris le compagnon chassa:
Les premières qu'il prit du logis échappées,
Pour y remédier, le drôle estropia

Tout ce qu'il prit ensuite; et leurs jambes coupées
Firent qu'il les mangeait à sa commodité,

Aujourd'hui l'une et demain l'autre.
Tout manger à la fois, l'impossibilité
S'y trouvait, joint aussi le soin de sa santé.
Sa prévoyance allait aussi loin que la nôtre:
Elle allait jusqu'à leur porter

Vivres et grains pour subsister.
Puis, qu'un cartésien s'obstine

A traiter ce hibou de montre et de machine!
Quel ressort lui pouvait donner

Le conseil de tronquer un peuple mis en mue?
Si ce n'est pas là raisonner,

La raison m'est chose inconnue.
Voyez que d'arguments il fit:

Quand ce peuple est pris, il s'enfuit;

Donc il faut le croquer aussitôt qu'on le happe.
Tout! il est impossible. Et puis pour le besoin
N'en dois-je point garder? Donc il faut avoir soin
De le nourrir sans qu'il échappe.

Mais comment? Otons-lui les pieds. Or trouvez-moi
Chose par les humains à sa fin mieux conduite!
Quel autre art de penser Aristote et sa suite
Enseignent-ils, par votre foi?1

25. Le renard et les poulets d'Inde

XII. 18

Contre les assauts d'un renard

Un arbre à des dindons servait de citadelle.
Le perfide ayant fait tout le tour de rampart,
Et vu chacun en sentinelle,

S'écria: Quoi! ces gens se moqueront de moi!
Eux seuls seront exempts de la commune loi!
Non, par tous les dieux! non. Il accomplit son dire.
La lune, alors luisant, semblait, contre le pire
Vouloir favoriser la dindonnière gent.
Lui, qui n'était novice au métier d'assiégeant,
Eut recours à son sac de ruses scélérates,
Feignit vouloir gravir, se guinda sur ses pattes,
Puis contrefit le mort, puis le ressuscité.
Arlequin2 n'eût exécuté

Tant de différents personnages.

Il élevait sa queue, il la faisait briller
Et cent mille autres badinages,

Pendant quoi nul dindon n'eût osé sommeiller.

1 Ceci n'est point une fable; et la chose, quoique merveilleuse et presque incroyable, est véritablement arrivée. J'ai peut-être porté trop loin la prévoyance de ce hibou, car je ne prétends pas établir dans les bêtes un progrès de raisonnement tel que celui-ci: mais ces exagérations sont permises à la poésie, surtout, dans la manière d'écrire dont je me sers. (Note de la Fontaine.)

2

• Personnage de la comédie italienne, fertile en ruses.

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ΙΟ

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L'enenmi les lassait en leur tenant la vue

Sur même objet toujours tendue.

Les pauvres gens étant à la longue éblouis,
Toujours il en tombait quelqu'un; autant de pris,
Autant de mis à part: près de moitié succombe.
Le compagnon les porte en son garde-manger.

Le trop d'attention qu'on a pour le danger
Fait le plus souvent qu'on y tombe.

CHAPITRE SIX

DESCARTES

1596-1650

1. Discours de la méthode

pour bien conduire sa raison, et chercher la vérité dans les sciences, 1637)

Si ce discours semble trop long pour être lu en une fois, on le pourra distinguer en six parties; et en la première on trouvera diverses considérations touchant les sciences; en la seconde, les principales règles de la méthode que l'auteur a cherchée; en la troisième, quelques-unes de celles de la morale qu'il a tirée de cette méthode; en la quatrième, les raisons par lesquelles il prouve l'existence de Dieu et de l'âme humaine, qui sont les fondements de sa métaphysique; en la cinquième, l'ordre des questions de physique qu'il a cherchées, et particulièrement l'explication du mouvement du cœur et de quelques autres difficultés qui appartiennent à la médecine, puis aussi la différence qui est entre notre âme et celle des bêtes; et en la dernière, quelles choses il croit être requises pour aller plus avant en la recherche de la nature qu'il n'a été, et quelles raisons l'ont fait écrire.

PREMIÈRE PARTIE

Diverses considérations touchant les sciences

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Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée, car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils n'en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent; mais 5 plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on

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