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Ils attifent leurs mots, enjolivent leur phrase,
Affectent leur discours tout si1 relevé d'art,
Et peignent leurs défauts de couleurs et de fard.
Aussi je les compare à ces femmes jolies
Qui par les affiquets se rendent embellies,
Qui gentes2 en habits, et sades en façons,

Parmi leur point coupé tendent leurs hameçons;
Dont l'œil rit mollement avec afféterie,

Et de qui le parler n'est rien que flatterie;
De rubans piolés s'agencent proprement,
Et toute leur beauté ne gît qu'en l'ornement;
Leur visage reluit de céruse et de peautre;
Propres en leur coiffure, un poil ne passe l'autre.
Où ces divins esprits, hautains et relevés,
Qui des eaux d'Hélicon ont les sens abreuvés,
De verve et de fureur leur ouvrage étincelle;
De leurs vers tout divins la grâce est naturelle,
Et sont, comme l'on voit, la parfaite beauté,
Qui, contente de soi, laisse la nouveauté

Que l'art trouve au Palais ou dans le blanc d'Espagne.

Rien que le naturel sa grâce n'accompagne;

Son front lavé d'eau claire éclate d'un beau teint.

De roses et de lis la nature l'a peint.

Et, laissant là Mercure et toutes ses malices,

Les nonchalances sont ses plus grands artifices...

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• Montagne consacrée aux Muses, en Béotie.

7 Palais de Justice à Paris; dans les galeries on vendait des fards. • Dieu de la ruse, et élément qui entre dans la composition de divers fards.

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[Viau a été critiqué sévèrement par Boileau, le disciple de Malherbe. Tandis que la postérité a généralement ratifié l'opinion de Boileau sur ses contemporains, elle l'a désavouée ici. Voir Satire IX de Boileau, p. 95.]

1. Élégie1 à une dame

Imite qui voudra les merveilles d'autrui.
Malherbe a très bien fait, mais il a fait pour lui.
Mille petits voleurs l'écorchent tout en vie;
Quant à moi, ces larcins ne me font point d'envie.
J'approuve que chacun écrive à sa façon.
J'aime sa renommée et non pas sa leçon.
Ces esprits mendiants, d'une veine infertile,
Prennent à tous propos ou sa rime ou son style;
Et de tant d'ornements qu'on trouve en lui si beaux,
Joignent l'or et la soie à des vilains lambeaux,
Pour paraître aujourd'hui d'aussi mauvaise grâce
Que parut autrefois la corneille d'Horace.

2

Ils travaillent un mois à chercher comme à fils
Pourra s'apparier la rime de Memphis, . . .
Cet effort tient leur sens dans la confusion;
Et n'ont jamais un rai3 de bonne vision.
J'en connais qui ne font des vers qu'à la moderne,
Qui cherchent à midi Phébus à la lanterne;
Grattent tant le français qu'ils le déchirent tout,

1 Le mot élégie avait un sens plutôt vague à cette époque.

* Allusion à une fable d'Horace qui devint chez La Fontaine, Le geai paré des plumes du paon.

3 Rai-rayon.

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Blâmant tout ce qui n'est facile, qu'à leur goût;
Sont un mois à connaître en tâtant la parole,
Lorsque l'accent est rude, ou que la rime est molle;
Veulent persuader que ce qu'ils font est beau,
Et que leur renommée est franche du tombeau,
Sans autre fondement, sinon que tout leur âge
S'est laissé consommer en un petit ouvrage,
Que leurs vers dureront, au monde précieux,
Pour ce que, les faisant, ils sont devenus vieux!
... Mon âme imaginant n'a point la patience
De bien polir les vers, et ranger la science;
La règle me déplaît; j'écris confusément;
Jamais un bon esprit ne fait rien qu'aisément:
Je veux faire des vers qui ne soient pas
Promener mon esprit par de petits desseins;
Chercher des lieux secrets où rien ne me déplaise,
Méditer à loisir, rêver tout à mon aise,
Employer toute une heure à me mirer dans l'eau,
Ouïr, comme en songeant, la course d'un ruisseau,
Écrire dans les bois, m'interrompre, me taire;
Composer un quatrain, sans songer à le faire.
Après m'être égayé par cette douce erreur,

contraints,

Je veux qu'un grand dessein échauffe ma fureur,
Qu'une œuvre de dix ans me tienne à la contrainte
De quelque beau poème où vous serez dépeinte...

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Ce n'est pas d'aujourd'hui que je suis ta conquête;
Huit lustres ont suivi le jour que tu me pris,

Et j'ai fidèlement aimé ta belle tête

Sous des cheveux châtains et sous des cheveux gris.

C'est de tes jeunes ans que mon ardeur est née,
C'est de leurs premiers traits que je fus abattu;
Mais, tant que tu brûlas du flambeau d'Hyménée,
Mon amour se cacha pour plaire à ta vertu.

Je sais de quel respect il faut que je t'honore,
Et mes ressentiments ne l'ont pas violé.

Si quelquefois j'ai dit le soin qui me dévore,
C'est à des confidents qui n'ont jamais parlé...

L'âme pleine d'amour et de mélancolie,

Et couché sur des fleurs et sous des orangers,
J'ai montré ma blessure aux deux mers d'Italie 1
Et fait dire ton nom aux échos étrangers. . .

La beauté qui te suit depuis ton premier âge
Au déclin de tes jours ne veut pas te laisser,
Et le temps, orgueilleux d'avoir fait ton visage,
En conserve l'éclat et craint de l'effacer.

Regarde sans frayeur la fin de toutes choses;
Consulte le miroir avec des yeux contents:
On ne voit point tomber ni tes lis ni tes roses,
Et l'hiver de ta vie est ton second printemps.

1 L'auteur est allé en Italie avec l'ambassadeur de France, M. de Noailles.

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