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Lui prodiguer les noms de Soleil et d'Aurore,
Et, toujours bien mangeant, mourir par métaphore?
Je laisse aux doucereux ce langage affété,

Où s'endort un esprit de mollesse hébété.

La Satire, en leçons, en nouveautés fertile,
Sait seule assaisonner le plaisant et l'utile,

Et, d'un vers qu'elle épure aux rayons du bon sens,
Détromper les esprits des erreurs de leur temps.
Elle seule, bravant l'orgueil et l'injustice,

Va jusque sous le dais faire pâlir le vice;

Et souvent sans rien craindre, à l'aide d'un bon mot,
Va venger la raison des attentats d'un sot ...
C'est elle, qui m'ouvrant le chemin qu'il faut suivre,
M'inspira dès quinze ans la haine d'un sot livre;
Et sur ce Mont fameux, où j'osai la chercher,
Fortifia mes pas et m'apprit à marcher.

C'est pour elle, en un mot, que j'ai fait vœu d'écrire.
Toutefois, s'il le faut, je veux bien m'en dédire,
Et, pour calmer enfin tous ces flots d'ennemis,
Réparer en mes vers les maux qu'il ont commis.
Puisque vous le voulez, je vais changer de style.
Je le déclare donc: Quinault est un Virgile;
Pradon comme un soleil en nos ans a paru;
Pelletier écrit mieux qu'Ablancourt, ni Patru;1
Cotin, à ses sermons traînant toute la terre,
Fend les flots d'auditeurs pour aller à sa chaire;
Saufal 2 est le phénix des esprits relevés;
Perrin... «Bon, mon esprit! courage! poursuivez!
Mais, ne voyez-vous pas que leur troupe en furie

1 Ablancourt, traducteur d'auteurs grecs et latins. On appelait ses traductions, «Les belles infidèles.» Patru, avocat éloquent, ami de Boileau. 2 Avocat, et l'auteur des Antiquités de la ville de Paris.

Va prendre encor ces vers pour une raillerie?

Et Dieu sait, aussitôt, que d'auteurs en courroux,
Que de rimeurs blessés, s'en vont fondre sur vous!
Vous les verrez bientôt, féconds en impostures,
Amasser contre vous des volumes d'injures,
Traiter en vos écrits chaque vers d'attentat,
Et d'un mot innocent faire un crime d'État.1

Vous aurez beau vanter le Roi dans vos ouvrages,
Et de ce nom sacré sanctifier vos pages,
Qui méprise Cotin n'estime point son Roi,
Et n'a, selon Cotin, ni Dieu, ni foi, ni loi . . .»

4. De l'utilité des ennemis, 1677

ÉPITRE VII

A M. Racine

[Racine avait des ennemis à la cour. Le duc de Nevers et la duchesse de Bouillon essayèrent de faire échouer sa pièce. Ils demandèrent à Pradon, auteur dramatique, d'écrire une pièce sur le même sujet de la passion de Phèdre pour Hippolyte; puis ils louèrent les places des deux théâtres, laissant vide la salle où on représentait la pièce de Racine, et remplissant celle où on représentait la pièce de Pradon d'un public chargé d'applaudir. — Dès que la tragédie de Racine fut représentée dans des circonstances normales, elle l'emporta facilement sur celle de son rival. Racine n'en fut pas moins profondément affecté. On a longtemps pensé que cet épisode de la cabale de Phèdre avait été la cause déterminante de la retraite de Racine du théâtre.]

Que tu sais bien, Racine, à l'aide d'un acteur, Émouvoir, étonner, ravir un spectateur!

Jamais Iphigénie en Aulide2 immolée

1 Note de Boileau: «Cotin dans un de ses écrits m'accusait d'être criminel de lèse-majesté divine et humaine.>>

2 La tragédie de Racine est de 1674. Rotrou en avait fait une en 1640. Celle d'Euripide était du ve siècle av. J. C.

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N'a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée,
Que, dans l'heureux spectacle à nos yeux étalé,
En a fait sous son nom verser la Champmeslé.1
Ne crois pas toutefois, par tes savants ouvrages,
Entraînant tous les cœurs, gagner tous les suffrages!
Sitôt que d'Apollon un génie inspiré,

Trouve loin du vulgaire un chemin ignoré,
En cent lieux contre lui les cabales s'amassent;
Ses rivaux obscurcis autour de lui croassent;
Et son trop de lumière, importunant les yeux,
De ses propres amis lui fait des envieux.
La mort seule ici-bas, en terminant sa vie,
Peut calmer sur son nom l'injustice et l'envie;
Faire au poids du bon sens peser tous ses écrits;
Et donner à ses vers leur légitime prix.

Avant qu'un peu de terre, obtenu par prière,
Pour jamais sous la tombe eût enfermé Molière,2
Mille de ces beaux traits, aujourd'hui si vantés,
Furent des sots esprits à nos yeux rebutés.
L'ignorance et l'erreur, à ses naissantes pièces,
En habits de marquis, en robes de comtesses,
Venaient pour diffamer son chef-d'œuvre nouveau,
Et secouaient la tête à l'endroit le plus beau.
Le commandeur voulait la scène plus exacte; 3
Le vicomte, indigné, sortait au second acte;
L'un, défenseur zélé des bigots mis en jeu,

1 La célèbre actrice créa plusieurs rôles de Racine (1644-1698). 2 L'autorité avait d'abord refusé la permission d'inhumer Molière en terre sacrée, les comédiens étant considérés comme excommuniés. Louis XIV avait dû intervenir auprès de l'archevêque de Paris.

3 Ces vers, 24 et ss., font allusion aux protestations suscitées par certains nobles à propos surtout de deux des comédies de Molière, surtout de L'école des femmes (1664) et Tartuffe (1669).

Pour prix de ses bons mots le condamnait au feu;
L'autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre,
Voulait venger la cour immolée au parterre,
Mais, sitôt que d'un trait de ses fatales mains
La Parque l'eut rayé du nombre des humains,1
On reconnut le prix de sa Muse éclipsée.
L'aimable Comédie, avec lui terrassée,
En vain d'un coup si rude espéra revenir,
Et sur ses brodequins ne put plus se tenir.
Tel fut chez nous le sort du théâtre comique.
Toi donc, qui t'élevant sur la scène tragique,
Suis les pas de Sophocle, et, seul de tant d'esprits,
De Corneille vieilli sais consoler Paris,2

Cesse de t'étonner, si l'envie animée,

La calomnie en main, quelquefois te poursuit.

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Attachant à ton nom sa rouille envenimée,

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En cela, comme en tout, le Ciel qui nous conduit,
Racine, fait briller sa profonde sagesse.

Le mérite en repos s'endort dans la paresse;
Mais, par les envieux un génie excité,
Au comble de son art est mille fois monté;
Plus on veut l'affaiblir, plus il croît et s'élance;
Au Cid persécuté Cinna3 doit sa naissance;
Et, peut-être, ta plume, aux censeurs de Pyrrhus
Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus.*
Moi-même, dont la gloire ici moins répandue
Des pâles envieux ne blesse point la vue,

1 Molière mourut en 1673.

2 Corneille (1606-1684). Sa dernière tragédie, Suréna (1674).

3 Le Cid (1636); Cinna (1640). Voir note 1, p. 103.

4 Pyrrhus, personnage d'Andromaque (1667). Boileau lui avait reproché d'être trop galant, «un héros à la Scudéry.» Burrhus, personnage de Britannicus (1669).

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Mais qu'une humeur trop libre, un esprit peu soumis,
De bonne heure a pourvu d'utiles ennemis,

Je dois plus à leur haine, il faut que je l'avoue,

Qu'au faible et vain talent dont la France me loue.
Leur venin, qui sur moi brûle de s'épancher,1

Tous les jours, en marchant, m'empêche de broncher;
Je songe, à chaque trait que ma plume hasarde,
Que d'un œil dangereux leur troupe me regarde;
Je sais sur leur avis corriger mes erreurs,

Et je mets à profit leurs malignes fureurs .
Imite mon exemple; et, lorsqu'une cabale,
Un flot de vains auteurs, follement te ravale,
Profite de leur haine et de leur mauvais sens.
Ris du bruit passager de leurs cris impuissants:
Que peut contre tes vers une ignorance vaine?
Le Parnasse français, ennobli par ta veine,
Contre tous ces complots saura te maintenir,
Et soulever pour toi l'équitable avenir.
Et qui, voyant un jour la douleur vertueuse
De Phèdre, malgré soi perfide, incestueuse,
D'un si noble travail justement étonné,
Ne bénira d'abord le siècle fortuné

Qui, rendu plus fameux par tes illustres veilles,
Vit naître sous ta main ces pompeuses merveilles?
Cependant, laisse ici gronder quelques censeurs
Qu'aigrissent de tes vers les charmantes douceurs.
Et qu'importe à nos vers que Perrin2 les admire,
Que l'auteur du Jonas3 s'empresse pour les lire;

1 Voir Satire IX de Boileau, A son esprit.

2 Voir note 2, p. 99.

3 L'auteur en est Coras. Voir une autre attaque contre ce poète, Satire IX; p. 99, l. 10.

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