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Cordeil et des Marais; selon toute probabilité, ils devaient cependant exister à cette époque. Et il est à noter que le fief de Cordeil avait, comme celui de Chasseigne, så justice particulière avec prévôté. Quant à celui des Marais, dont une branche de la famille Régnier prit le nom comme nous le verrons plus loin, il ne possédait que la justice censière, laquelle ne s'exerçait que par un procureur fiscal et un sergent.

Nous devons relever ici une erreur commise dans une note des éditeurs de la Henriade et du Poëme de Fontenoy. Dans cette note, sur laquelle nous reviendrons amplement plus tard, on prétend que le sieur de Guerchy, capitaine Huguenot, massacré à la Saint-Barthélemy, et dont Voltaire a, parmi tant d'illustres martyrs de cette abominable boucherie catholique, consacré le nom en

ces termes :

Et vous, brave Guerchy, vous, sage Lavardin,
Dignes de plus de vie et d'un autre destin.

est de la famille des Régnier de Guerchy. C'est une erreur profonde. Cette victime de la Saint-Barthélemy s'appelait Antoine Marafin de Guerchy et était cornette de l'amiral de Châtillon (1). Il prenait le titre de seigneur de << Garchy, » du nom d'un fief situé sur la paroisse de Treigny et qu'il possédait. Il était originaire de Touraine, et aucun lien de parenté ne l'unissait avec les Régnier de Guerchy, qui étaient originaires d'Auxerre. Les armes de Marafin de Guerchy étaient de gueule à la bande d'or accompagnée de six étoiles de même, en orle. D'autre part, les Régnier de Guerchy ont toujours été zélés catholiques, et Claude de Régnier était un des cent gentilshommes de la chambre du roi Charles IX, lorsque ce fanatique couronné ordonna, à l'instigation de sa mère, l'exécrable Catherine de Médicis, le massacre de la Saint-Barthélemy. Nous voulons croire, pour l'honneur de sa mémoire, qu'il n'a point trempé ses mains

(1) Son frère, Jean de Maraffin, abbé commandataire de Bellevaux, était curé de Guerchy en 1552. Il passa à la religion réformée, et, à la tête d'une troupe calviniste, il prit Guerchy, pilla et dévasta l'église. Félicien THIERRY.

dans le sang de ces malheureuses victimes, que son maître arquebusait du haut d'un balcon du Louvre!

Son fils, Adrien Ignace de Régnier, chevalier, fut également capitaine de cent hommes d'armes.

Le 11 octobre 1615, par acte reçu Pascal Thorinon, notaire à Auxerre, Antoine de Chastellux vendit la terre de Bazarne à Anne de Giverlay, veuve de Claude de Regnier, et à leur fils, Adrien de Regnier, seigneur de Guerchy. Adrien de Guerchy prenait en 1634 le titre de seigneur de Guerchy et de Cordailles, ainsi qu'il résulte d'une quittance de lods et ventes qu'il délivra le 1er mars 4631, et qui est signée de A. Guerchy. Il signa ainsi en 1612 un acte de l'état-civil de la commune de Branches, A. de Guerchy Reignier (1). C'est lui qui fit reconstruire, en 1615, avec le luxe et la magnificence d'un grand seigneur, le château dont il subsiste actuellement un corps de logis. Il ne conserva de son vieux castel, qui avait été édifié au XIIe siècle, que l'aile septentrionale, qui était, selon M. Ravin, une page d'histoire et un modèle de style de l'époque.

Le nouvel édifice, qui comprenait, avec la partie conservée, deux corps de logis reliés par deux ailes en retour d'équerre, et donnant sur une cour intérieure, fut construit d'après les principes de l'art gothique. Une petite merveille d'architecture mauresque, qui tranchait par sa forme élégante et gracieuse sur le fond un peu sévère du château, c'était la tour de l'horloge, qui, paraît-il, faisait l'admiration des visiteurs. Les larges fossés du château, sur lesquels était établi un pont-levis, protégé par deux tourelles encore existantes, étaient alimentés par le Ravillon.

L'intérieur du corps de logis, qui a échappé à la destruction ordonnée par l'un des derniers descendants de la famille Régnier, le marquis Frédéric de Guerchy, donne aux visiteurs une haute idée de la splendeur de cette habitation et des beautés d'art décoratifs et d'ornementation qu'elle recélait (2).

(1) Histoire généalogique de la Maison de Chastellux, par le comte P.-P.-C. de Chastellux. Auxerre, Perriquet, 1869.

(2) Ce n'est point le marquis Frédéric de Guerchy, ainsi que

La pièce la plus remarquable est le grand salon aux lambris dorés et azurés, au plafond couvert de fleurs, de fruits et d'emblêmes; on y admire surtout une cheminée monumentale avec colonnes et incrustations de marbre. Entre les deux colonnes corinthiennes qui encadrent le trumeau et qui s'appuient sur quatre autres colonnes dont se forme la cheminée, est placée une magnifique peinture représentant le prince de Condé. Le portrait est de grandeur naturelle; le vainqueur de Rocroi et de Fribourg est revêtu de ses armes et présente aux regards son bâton de maréchal; son attitude est fière et imposante. A ses pieds on lit cette inscription, qui témoigne de l'admiration et de l'enthousiasme que le héros avait inspirés au seigneur de Guerchy :

Undique dura suis fortuna meatibus angat,
Palladium nostris sistit imago focis!

M. Xavier Ravin traduit ainsi cette inscription:

En vain la fortune contraire
Epuisera ses traits sur nous,

Sous cette image tutélaire,

Sous ce Palladium, nous braverons ses coups!

Au bas et à droite du portrait se trouve cette seconde inscription:

Imago visa ex hoste sudorem exprimit Henricus ipse sanguinem.

M. Vaudin, dans l'intéressant travail qu'il a consacré au château de Guerchy et à ses cheminées monumentales, travail lu à la Société des sciences de l'Yonne dans sa séance du 14 janvier 1883, et publié dans le 37° bulletin de cette Société, nous donne en ces termes la traduction de cette dernière inscription, traduction qui, quoiqu'un peu prolixe, nous semble en rendre assez exactement le véritable sens :

Devant cette image imposante
L'ennemi tremble d'épouvante;

l'a dit par erreur M. X. Ravin, mais son frère le comte LouisFerdinand, qui fut architecte.

Mais, s'il trouve Henri sur ses pas,
Il ne saurait fuir le trépas.

Selon M. Vaudin, le personnage représenté sur cette cheminée serait, non le grand Condé, ainsi que l'a avancé M. Ravin, mais Henri de Condé, le père du héros. Les inscriptions ci-dessous feraient allusion à un séjour présumé de Henri de Condé, à Guerchy, en 1609, alors que, pour soustraire sa jeune femme, Charlotte de Montmorency, à la passion sénile du roi Vert-galant, il avait quitté la cour et s'était réfugié à l'étranger. C'est avant de se rendre à Bruxelles que le jeune couple serait venu demander l'hospitalité au seigneur de Guerchy. Nous ignorons ce qu'il y a de fondé dans cette assertion; la tradition, de même que les documents locaux, sont absolument muets à ce sujet. En revanche, il est de tradition à Guerchy que le Grand Condé fut, pendant son exil, l'hôte du baron Claude de Régnier, lequel était capitainelieutenant de sa compagnie de chevau-légers. Les rapports du seigneur de Guerchy avec les illustres exilés, le grand Condé et la grande Mademoiselle, étaient d'ailleurs très étroits, car, comme nous le verrons plus loin, son fils Louis de Régnier épousa en 1655 une parente de la duchesse, qui fit des noces magnifiques aux jeunes époux dans son château de Saint-Fargeau. Il paraît donc plausible que le baron de Régnier ait voulu, en faisant édifier cette cheminée, perpétuer par un monument durable, le souvenir du séjour du grand Condé à Guerchy, et transmettre à sa postérité le témoignage de sa profonde admiration pour le héros. Et les deux inscriptions gravées au milieu de la frise témoignent combien était grande cette admiration pour celui qui alors, en 1647, -date présumable de la construction de la cheminée, avait gagné les mémorables batailles de Rocroi, de Fribourg et de Nordlingen.

S'adressant au grand Condé, les louangeuses expressions employées par le baron de Guerchy paraissent suffisamment justifiées; mais s'attribuant à Henri de Condé, que l'histoire représente plutôt comme un ambitieux intrigant que comme un homme de guerre, qui combattit les protestants dans le Midi en faisant, selon l'expression

de Rohan, plus de ravages que de combats, et dont la plus grande gloire, dit Voltaire, est d'avoir été le père du grand Condé, elles sembleraient passablement outrées. Nous ne sachons pas d'ailleurs que Henri de Condé ait été élevé à la dignité de maréchal de France, et le personnage représenté tient le bâton de commandement à la main. Il est probable enfin que ce monument, de même que les admirables peintures qui décorent les plafonds, a été exécuté en 1647, c'est-à-dire un an après la mort de Henri de Condé

La seule chose qui puisse porter l'incertitude dans l'esprit au sujet du personnage représenté, est le nom d'Henri indiqué dans la seconde inscription. Or le grand Condé s'appelait Louis, et son père, Henri; cette coïncidence donnerait ainsi un degré de vraisemblance à l'opinion émise par M. Vaudin. Cependant il ne nous paraîtrait point impossible que le grand Condé eût ajouté le nom de son père au sien propre, comme c'était alors l'usage à peu près général; usage qui d'ailleurs s'est conservé pour ainsi dire religieusement dans la famille de Condé, dont les descendants ont porté presque tous les noms de Louis et de Henri.

Nous ne voulons point résoudre ici le problème historique soulevé au sujet de cette peinture; nous nous bornons à soumettre aux lecteurs les quelques réflexions qui précèdent, et qui nous paraissent suffisamment probantes pour justifier l'opinion émise par M. Xavier Ravin.

Nous donnons dans l'Annuaire une reproduction de la cheminée monumentale du château de Guerchy; nous renvoyons nos lecteurs, pour la description complète de cette cheminée et du château, à la remarquable étude publiée par M. Vaudin.

Disons en terminant que la restauration de cette magnifique cheminée, qui était recouverte d'une couche séculaire de poussière, est due à un habile artiste de Guerchy, M. Horsin-Déon, dont nous donnons une courte biographie à la fin de ce travail.

Les portraits des personnages les plus célèbres de la maison de Guerchy, entr'autres ceux de deux demoiselles de Régnier et du comte de Guerchy, ambassadeur à

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