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ches, Annonces et Avis divers de la ville et bailliage d'Au

xerre.

Nous le transcrivons ici :

<< Le Mardi-Gras s'est distingué dans cette ville par une fête aussi singulière que gracieuse et amusante, telle qu'on ne se souvient pas d'y en avoir vu d'aussi bien ordonnée et si nombreuse. Une Compagnie de plus de cent masques, tous richement habillés, a représenté une entrée d'ambassadeur Turc, qui, s'étant assemblée dans la grande salle du Pavillon de l'Arquebuse, se mit en route dans l'ordre qui suit: Plusieurs courriers à cheval ouvraient la marche, suivis de quatre Bostangis avec leur Bacha ayant son bâton de commandement. Ensuite vingtquatre eunuques, tous aussi à cheval, battant de la caisse, ayant à leur tête un officier, suivis d'un détachement de spahis, commandés par l'Aga, et l'étendard de Mahomet porté par un des officiers. Le char de l'ambassadeur, très bien orné, suivait immédiatement après; deux vieillards vénérables ensuite dans une autre voiture, dont la beauté ne cédait en rien à la première; puis différents chars contenant les principaux officiers et seigneurs Turcs. La marche était fermée par un autre nombreux détachement de spahis, également tous à cheval, et ayant un lieutenant d'Aga à leur tête. Arrivés à la porte de la ville, cinq masques en robes de palais, représentant MM. les officiers de ville, se sont présentés à la tête de trente hommes à pied de leur garde, sous les armes, ayant leur habit uniforme, et le chef a adressé à l'ambassadeur le discours suivant :

<< Le zèle avec lequel vous vous empressez de pro«curer un amusement, que depuis longtemps notre << jeunesse oisive avait laissé croupir, vous a déjà attiré << les acclamations du public. Interprètes de tous les << cercles aimables qui composent cette ville, nous venons « vous en témoigner leur satisfaction. Le défaut d'élo«quence et l'empressement de tous ceux qui parcourent << des yeux la brillante et nombreuse Compagnie que << vous commandez et dont vous êtes jaloux, nous impo<< sent le silence. Nous nous retirons en conséquence et << sommes avec respect les très humbles et obéissants

<< serviteurs, les Maire et échevins du Mardi-Gras de cette << ville d'Auxerre. >>

<< Eux retirés, le détachement s'est emparé du char de l'ambassadeur et a fait les honneurs de la ville aux acclamations du peuple qui l'a suivi en foule en tous les lieux les plus remarquables jusqu'à 5 heures du soir. Puis chacun s'est retiré dans le même ordre de paix et de tranquillité qui a régné pendant toute cette marche qui a fait l'admiration de toute la ville. >>

On le voit, nos pères n'engendraient pas la mélancolie quand ils se mettaient en train.

Le lendemain du Mardi-Gras, comme on sait, on brûlait et on enterrait carnaval représenté par un mannequin grotesque. La cérémonie se faisait en grande pompe et avec tout un cérémonial; on adressait même des invitations pour cette cérémonie. Nous avons trouvé dans la Bibliothèque d'un Sénonais, à la Bibliothèque d'Auxerre, deux de ces curieuses pièces que nous reproduisons ici, bien qu'elles soient postérieures à l'évènement que nous avons raconté plus haut et qu'elles concernent plutôt la ville de Sens. Le papier est entouré d'un large cadre noir et porte :

<< Vous êtes prié d'assister au convoi et enterrement de feu MARDI-GRAS, décédé ce jour d'hier, heure de minuit, qui se feront ce jourd'hui, heure de 6 du soir.

<< Les personnes chez lesquelles cette mort a jetté le deuil et la tristesse sont priées, de la part des plus zélés partisans du deffunt, à assister à son convoi qui doit avoir toute la pompe qu'exige la dignité de cet illustre personnage, justement regretté.

« Le cortège partira de la salle du citoyen Lefort, lieu où le deffunt a rendu le dernier soupir entre les bras des soussignés :

<< L'ENDORMI, LA LASSITUDE, L'EREINTÉ et COURT-D'ARGENT. << Contre-signé : COURBATURE. >>

La seconde lettre de faire part est plus joviale encore. Elle porte en tête, à gauche, ces mots : « Omnia sub leges mors vocat atra suas ; à droite: « La mort au

cœur de fer range tout sous ses lois, » et entre les deux suscriptions, dans un cadre, un dessin représentant la mort armée de sa faulx.

Voici le texte :

<< Pleurez, jeunes et vieux, il est mort!

<< Vous êtes prié d'assister aux convoi et inhumation de très haut, très puissant et célèbre seigneur messire Ignace Gribaudon Carnaval, surnommé Mardi-Gras, souverain prince de l'empire des riboteurs, dispensateur universel des réjouissances, surintendant des ambigus et festins, heureux fomenteur de toutes les danses et goinfreries, conservateur de la joie, etc., décédé le 13 du présent mois, à minuit sonnant.

<< De la part de Jean Gateau, Claude Dindon, Ignace Codinde, Luc Alloyau, Alexis Bécasse, Eustache Bœuf à la Mode, Marie-Anne Saucisse, Fiacre Boudin, Robert Saumon, Gaspard Maquereau, Dom Pourceau, ses plus proches parents. >>

Cette dernière pièce à une allure rabelaisienne qui indiquerait chez son auteur un peu plus de littérature que la première.

Tout cela est mort et bien mort aujourd'hui, et ma foi ne nous en plaignons pas. Ces jeux et ces fêtes cachaient bien des misères. Aujourd'hui, nous dépensons notre activité d'une autre façon, et chacun, croyons-nous, s'en trouve mieux.

APRÈS LA CONFÉRENCE

SUR

LES MOUVEMENTS D'EXPRESSION

FAITE A MM. LES INSTITUTEURS ET Mmes LES INSTITUTRICES DU CANTON DE VÉZELAY, LE 12 AOUT 1882.

La critique de bonne foi, sans ironie et sans morsure, ne peut déplaire à personne; elle est une lumière qui dissipe des ombres.

C'était après le repas du soir, entre quelques amis, dans une causerie du coin du feu. A brûle-pourpoint je fus interpellé en ces termes par un professeur honoraire de l'Université :

Monsieur le conférencier, connaissez-vous la fable 5 du livre VI de Lafontaine ?

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Le Chat, le Cochet et le Souriceau.

Je n'en ai qu'un vague souvenir.

Je la sais par cœur, je vais vous la dire, vous aurez quelque plaisir à l'entendre.

Et le grave professeur me parut reprendre sa robe et son rabat pour nous dire, ex cathedra, mais avec un goût exquis, le petit poème du grand fabuliste :

Un souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.

Voici comme il conta l'aventure à sa mère :
J'avais franchi les monts qui bornent cet état,
Et trottois comme un jeune rat
Qui cherche à se donner carrière,
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux:
L'un doux, bénin et gracieux,

Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude;
Il a la voix perçante et rude,

Sur la tête un morceau de chair,

Une sorte de bras dont il s'élève en l'air
Comme pour prendre sa volée,
La queue en panache étalée.

Or c'était un cochet dont notre souriceau
Fit à sa mère le tableau

Comme d'un animal venu de l'Amérique.
Il se battoit, dit-il, les flancs avec les bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,

Que moi qui, grâce aux Dieux, de courage me pique,
En ai pris la fuite de peur,

Le maudissant de tout mon cœur.
Sans lui j'aurais fait connaissance

Avec cet animal qui m'a semblé si doux :
Il est velouté comme nous,

Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.
Je le crois fort sympathisant

Avec messieurs les rats: car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.

Je l'allois aborder, quand d'un son plein d'éclat
L'autre m'a fait prendre la fuite.

Mon fils, dit la souris, ce doucet est un chat,
Qui, sous son minois hypocrite,

Contre toute ta parenté

D'un malin vouloir est porté.
L'autre animal, tout au contraire,

Bien éloigné de nous mal faire,

Servira quelque jour peut-être à nos repas.
Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine.

Garde-toi, tant que tu vivras,

De juger des gens sur la mine.

Je comprends, m'écriai-je, c'est la morale de l'apologue que vous avez voulu me rappeler.

La morale et l'apologue tout ensemble; est-il rien de plus charmant, de mieux mis en scène? C'est, à mon sens, une des plus jolies fables du maître.

- Le souriceau était un étourdi, son éducation était encore à faire; celle des instituteurs et institutrices devant lesquels j'avais l'honneur de parler, était faite. Première différence; ensuite je suis parti d'un principe pour en déduire les conséquences.

Je n'ai pas vu de principe dans votre conférence.
Pardon à l'exemple d'Aristote, j'ai tout rapporté

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