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tions. J'en suis encore plus convaincu par les effets que par les lettres dont vous m'avez honoré. Je me dispose à partir lundy 22 pour aller jusqu'à Paris, au cas qu'il ne me survienne point d'empêchement d'icy à ce temps, ny sur la route. J'admire le silence de toutes les personnes du diocèse de Soissons à qui j'ai écrit il y a plus de six semaines, pour tâcher d'attraper quelques connoissances. Je voy bien qu'il faut que je prenne le parti d'aller en personne sur les lieux. J'avois écrit à un curé de mes amis proche Fère en Tardenois, homme intelligent, item à un Bénédictin de Compiègne de ma connoissance: depuis j'avois fait envoyer par M. Baudesson, trésorier de la généralité de Soissons icy alors résident, un petit mémoire de questions à un connoisseur de cette ville là. Ce dernier est parti d'icy il y a dix jours sans avoir eu réponse. Ainsi, ou tout le monde est mort; ou il faut qu'il y ait des rivaux qui se doutent que j'ai envie d'écrire. Cependant j'ai fort observé dans toutes mes lettres de ne point faire connoître mon dessein: mais les questions ont paru tendantes si directement à ce but, que ceux que j'avais prié de s'informer, n'auront peut-être rien pu obtenir. Encore me consolerai-je si més lettres n'ont pas servi à faire la découverte de mes pensées. Car j'en ay de toutes neuves sur Bibrax et le Noviodunum du 2 livre de César, lesquelles j'aurai l'honneur de vous communiquer. Je me flatte par avance que vous, Monsieur, qui êtes infiniment au fait de l'analogie qui est entre la langue latine et la françoise, ne désapprouverez point mes pensées. Mon dessein, en allant de ces côtés-là, est de passer à l'abbaye de Chaalis, ordre de Bénédictins. entre Senlis et Nanteuil-le-Hardoin, j'y ai un oncle âgé de 81 ans, que je suis bien aise de voir encore une fois. Il y a beaucoup de manuscrits en ce monastère, que j'ay vus et feuilletez. Si votre temps et vos affaires vous le permettoient, je prendrois la liberté de vous prier d'y venir. Je compte toujours d'y aller par Dommartin, quoique ce soit le plus long chemin, je conjecture que l'ancien pays suissonnois est venu jusques là, et que le Neldois et partie du Senlisois en étoient; autrement comment ce pays auroit-il pu fournir luy seul 50 mille hommes de guerre? La situation de Dommartin paroît très propre pour avoir été une ville gauloise, mais je n'ay pu encore trouver pourquoy il est dit en Goële. On ne voit nulle part ce mot en latin. Seroit-ce in Gallia, comme on dit Saint-Denis en France? Vous me demanderez sans doute, Monsieur, s'il y a bien des manuscrits françois à Chaalis. Je n'ai idée que d'un ou de deux. Je trouve dans

mes mémoires dressés dès l'an 1716, qu'il y en a un petit qui débute ainsi: Chi commenche li chalieaux perilleus compillez et ordenez d'un moigne de lordre de Chartreuse pour une nonnaine de l'ordre de Frontevau sous Feurrant. Mais si vous passiez jusqu'à Saint-Corneille de Compiègne, vous en trouveriez un grand nombre de françois, même des anciens poëtes. Si vous y alliez en chaise, j'irois bien volontiers avec vous, quoique je les aie déjà tenus en 1729. Vous sçavez qu'il n'y a que six lieues de Chaalis à Compiègne. On m'a dit que c'est le lieu de l'exil de Dom Félix Hodin, continuateur du Gallia christiana.

Je n'ay point encore reçu de nouvelles de M. le Président Bouhier, touchant la vente de nos exemplaires. Peutêtre est-on aussi peu curieux à Dijon qu'à Auxerre, et qu'il prévoit que là vente iroit mal. Quelque livre que ce soit, pourvu qu'il soit curieux et de défaite, je me résoudrai à le tirer d'Hollande, en donnant papier pour papier. Et pour supplément de ce qui est icy sans débit, je pourrai envoyer au sieur Guérin une pièce de vin. Mais il faut encore attendre un peu.

J'ay l'honneur d'être avec bien du respect et une parfaite reconnaissance,

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur.

LE BEUF.

Auxerre, ce vendredi 19 novembre 1734.

Je suis infiniment obligé à M. Secousse du soin qu'il s'est donné pour la distribution de ma prose. Un des voisins de M. Rollin et son amy vient de m'écrire qu'il l'a

reçue.

Vous avez dû, Monsieur, ajouter à vos mémoires ce que j'ay eu l'honneur de vous dire, scavoir qu'il existe dans l'abbaye de Notre-Dame de Soissons un manuscrit d'un auteur poëte françois, que je ne trouve ny dans la Croix du Maine ny dans le Catalogue des poëtes françois des XII et XIIIe siècles. Il se nomme Gaucher de Coincy, il étoit religieux de Saint-Médard au XIIe siècle; sa poësie est sur les miracles de Notre-Dame de Soissons.

J'ai oublié de vous annoncer la réception du 1er volume de M. l'abbé du Bos. Je l'ai lu presque en entier; j'y trouve à deux ou trois endroits des preuves que les plus scayants critiques peuvent quelque fois mettre à côté sur des choses incidentes. Parlant par exemple (p. 11) de Sulpice Sevère,

auteur de la Vie de Saint Martin, il le confond avec un Sulpice, évêque de Bourges. Et dans un autre endroit, p. 357, il employe le témoignage de saint Ouen, vie de Saint Eloy, où se trouve un mot dans un sens qui ne convient pas.

M. le Président Bouhier m'a fort prié de déterrer un passage cité comme d'Eginard par M. l'abbé de Vertot, t. 2 des Mémoires de votre Académie, p. 648: Et sicut in Francia mos est, superposito ligneo culmine.... il dit qu'on me le trouve point dans Eginhard. Serait-il dans votre manuscrit Vita Caroli magni?

AU DOS:

A Monsieur,

Monsieur de la Curne de Sainte-Pallaye, de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, rue du GrandChantier, proche les Enfans-Rouges,

à Paris.

NOTES

SUR LES USAGES, CROYANCES ET SUPERSTITIONS

DANS LES PAYS QUI FORMENT AUJOURD'HUI
LE DÉPARTEMENT DE L'YONNE.

Пlavra pet, a dit Héraclite tout s'écoule, tout passe. Dans leur incessante évolution, les Sociétés humaines abandonnent peu à peu le bagage d'idées, de mœurs, de préjugés qui leur a servi pour fournir une étape. Quoi de plus naturel! Quand un vètement est usé ou devenu trop étroit, pourquoi le conserver? Encore arrive-t-il d'ordinaire que ce changement n'est qu'une transformation. Si la trace en pouvait être suivie, de même que chez les êtres à métamorphose dont les formes successives ne se substituent que peu à peu les unes aux autres, on retrouverait presque toujours dans les usages nouveaux des restes des systèmes religieux ou sociaux qui ont précédé. Ce qui importe toutefois, au milieu de cette fluidité fatïdique des choses, c'est d'empêcher que le passé ne s'obscurcisse complétement, en transmettant à l'historien futur des matériaux qui lui permettent de le reconstituer. De ce point de vue, les faits les plus futiles en apparence ont leur importance relative. Un vestige d'insecte sur un fragment de roche a souvent une valeur pour le naturaliste. C'est dans cette pensée que l'on va consigner quelques-unes des coutumes et des croyances, les unes sur leur déclin, les autres récemment éteintes, qui ont été

pendant longtemps florissantes dans le milieu que nous habitons.

Commençons par les Usages en vigueur à l'occasion de la fête la plus universellement célébrée dans la chrẻtienté la fête de Noël.

FÊTE DE NOEL.

Dans nos contrées, le fond du cérémonial concernant la célébration de cette fête paraît avoir été assez uniforme. Ici et là seulement il y a quelques variantes résultant de l'importance des localités et du caractère de leurs habitants. A Auxerre, par exemple, Noël était fèté pendant plusieurs semaines et avec une allégresse qui revêtait différentes formes. Durant tout l'Avent, dans chaque famille on chantait des Noëls, chants qui avaient pour objet de décrire les principaux épisodes de la Conception et de la naissance du Christ. Ce genre de chants, fort répandu dans toutes les provinces de France, remonte très haut ils étaient en patois, la Vierge seule ayant le privilége de s'exprimer en latin. C'était, paraît-il, un débris des anciens Mystères qui se jouaient à l'intérieur ou à la porte des églises. A Auxerre, la veille de la naissance du Christ, les Noëls avaient un regain de joyeuseté toute nouvelle. Dans chaque maison, la famille groupée devant l'âtre, où brûlait la plus grosse bûche de la provision d'hiver, dite bûche de Noël, attendait la messe de minuit en tournant et mangeant des crêpes, qu'on arrosait de vin chauffé dans le pichet ou choupignot (petite cruche de terre). Au retour de la messe, nouvelles réjouissances on faisait alors le réveillon, collation digne de Messer Gaster, qui se composait surtout de boudins et de saucisses, le tout associé de breuvaige sempiternel, comme disait Rabelais.

Dans l'Avallonnais, les Noëls et le Réveillon étaient aussi en usage. Il paraît même que dans la plupart des villages ces coutumes étaient toujours vivaces, il y a peu d'années peut-être le sont-elles encore aujourd'hui. A la différence des Noëls auxerrois, qui avaient la marque champenoise, venant de recueils imprimés à Troyes, les Noëls avallonnais avaient un caractère bourguignon: ils

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