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« l'Académie française, ils le ménagent beaucoup, et l'on << m'avait fait ôter, l'an passé, un autre trait qui n'était << pas à beaucoup près si vif; 2° parce que, à la question << qu'on avait formée sur la Duché ancienne de Soissons, << j'en avais ajouté une autre : Pourquoi ce Duché n'a << duré qu'environ cinq ans et qu'il a toujours été depuis « Comté, c'est-à-dire d'un rang inférieur; 3° enfin parce « que j'ai montré que le Comté de Soissons a changé trois << fois d'étendue : que d'abord il était égal au diocèse et << que l'évêque en était le comte, qu'ensuite il fut égal au << premier archidiaconat, excepté Pierrefonds et Com<«<piègne, et qu'enfin il fut subdivisé en quatre vicomtés <«<et en la comté qui reste aujourd'hui, dont le comte << est le premier casatus de l'évêque de Soissons. Je <«< crains que ce discours n'ait choqué les officiers du << comte de Soissons, dont sans doute ce pays-là est tout << rempli. »

Quoiqu'il en soit, Fenel s'était suffisamment révélé, car tout incapable qu'il fût de se plier aux sollicitations, même aux convenances du monde académique, quelques jours après l'échec de Soissons, à une élection de l'Académie française, il arriva le second et ce fut pour Lebeuf une occasion nouvelle de le stimuler sur la nécessité de se montrer.

<< J'entendais, lui dit-il, (1) quelques murmures de ce << que vous n'aviez pas paru solliciter, » et il ajoute « j'ai <«< ouï entre les feuilles des arbres quelqu'un dire: <<< Mais ce Fenel est encore un historien, on va nous farcir << d'historiens; à quoi M. Bonamy a répondu : - M. Fenel << sait autre chose que de l'histoire. »

Enfin, au mois de juin 1744, malgré sa sauvagerie, Fenel fut nommé membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, en remplacement de l'abbé Gédoyn. Au mois de novembre, cependant, il n'a fait encore aucune visite et il prie Lebeuf de faire agréer ses excuses de ne pouvoir assister à la séance de rentrée de l'Académie, excuses fondées sur ce grave motif que le coche d'Auxerre serait trop plein et qu'il serait peut-être obligé de rester sur le tillac.

(1) Lettre du 29 avril 1744.

Le tableau que nous venons d'esquisser de quelques coïncidences historiques entre Auxerre, Sens et Soissons mériterait une toile plus large et un cadre plus riche, mais nous n'avons, hélas ! à notre disposition ni l'un ni l'autre.

A. DEY.

CORRESPONDANCE DE L'ABBÉ LEBEUF

AVEC LACURNE DE SAINTE-PALLAYE.

Lorsque la Société des Sciences historiques et naturelles de l'Yonne publia les deux beaux volumes de la correspondance de l'abbé Lebeuf, les éditeurs (1) ne se dissimulaient pas la difficulté de réunir toutes les lettres éparses du savant académicien, et appelaient le bienveillant concours de ceux qui pouvaient en posséder quelques-unes.

Je viens de découvrir à la Bibliothèque nationale (2) une quinzaine de ces lettres, et par une bonne fortune exceptionnelle, les lettres adressées à Lacurne de SaintePallaye, à l'époque où les deux futurs académiciens auxerrois entraient en relations, se faisaient part de leurs découvertes, et commençaient ces travaux considérables qui devaient bientôt les rendre célèbres l'un et l'autre.

En 1722, date de leurs premières relations et aussi de la première lettre de ce recueil, Lebeuf avait trente-cinq ans; Lacurne de Sainte-Pallaye vingt-cinq seulement. Ils avaient fait connaissance en allant visiter ensemble la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Germain d'Auxerre, où Sainte-Pallaye avait vu plusieurs livres qui lui avaient causé une tentation telle, que Lebeuf' n'avait pas hésité à se faire son complice pour les lui procurer à l'insu des religieux, qui ne s'en souciaient guère, à ce qu'il paraît. Les voleurs de livres sont de tous les temps! Mais à lire

(1) MM. Chérest et Quantin.

(2) Fonds Brequigny, 62, carton IX, 1-21, fo 161-192.

certaines phrases pleines de mystères et de sous-entendus, on peut croire que le bon abbé ne se sentait pas la conscience trop tranquille. Il y revient dans plusieurs endroits, et cherche à en tirer lui-même quelque profit pour les livres dont il a besoin.

La troisième de ces lettres nous donne quelques nouveaux détails sur l'Histoire de la prise d'Auxerre, qui avait paru en 1723, et que Lebeuf envoie à diverses personnes. Ce livre, qui avait eu à son apparition les honneurs de la saisie, malgré la dédicace faite par l'auteur à la fille du régent, l'abbesse de Chelle, produisit une certaine sensation dans le monde savant, même en dehors d'Auxerre. Le motif de la saisie, qui nous paraîtrait bien puéril aujourd'hui, fut alors une grosse affaire, à l'époque où les querelles du jansénisme étaient dans toute leur incandescence, et où la faillibilité du pape faisait l'objet des controverses les plus vives. Or l'abbé Lebeuf, qui tenait pour le jansénisme, en citant le Père Divolé, jacobin ardent d'Auxerre pendant les guerres de religion, ne manque pas de donner le passage commençant par ces mots: On prie pour le pape à la messe, comme un homme qui peut errer et faillir comme les autres.... De là grande colère des Jésuites, et ordre de saisie donné par le Régent, qui croyait avoir alors intérêt à les ménager ainsi que la cour de Rome (1). Nous voyons ici que la bévue de l'imprimeur Troche n'était pas faite pour désarmer ses ennemis, car cet imprimeur, qui n'avait pas plus de pénétration qu'il ne lui en fallait, au lieu de porter les exemplaires chez les éditeurs du journal de Verdun, les avait fait expédier à Ganneau, qui les avait remis aux auteurs des Mémoires de Trévoux. « Ainsi, dit Lebeuf, le livre aura été remis à ces bons pères, desquels je m'attends à être bien traité. >>>

Cette correspondance a de l'intérêt surtout par la variété des sujets qui y sont traités; les mémoires des

(1) Au sujet de l'histoire fort curieuse de la saisie de ce volume de la Prise d'Auxerre par les Huguenots, voir ce qui a été écrit par M. Challe, dans la nouvelle édition de l'Histoire civile et ecclésiastique d'Auxerre, introd. p. XVII-XIX. M. Ribière, Histoire de l'Imprimerie à Auxerre. Lettres de l'abbé Lebeuf, t. I, an. 1723-1724.

1884

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XVII

sociétés savantes, les livres qui se publient, les antiquités que l'on trouve à Auxerre et ailleurs, les dissertations sur la linguistique, sur les tapisseries anciennes, sur la musique et les musiciens.

A propos de musique et de musiciens, Lebeuf nous apprend (1) qu'un prêtre Génevois, nommé Desnoz, vint à Auxerre à la fin de 1729, pour y introduire un nouveau système de chant ecclésiastique qu'il avait imaginé. Ce prêtre avait publié un livre sur ce sujet l'année précédente, et l'avait dédié à la Reine, dont il se disait protégé mais cette protection n'était pas très efficace, à ce qu'il paraît, car peu après une lettre de cachet renvoya l'auteur et sa méthode à Bellay, leur pays natal.

Nous voyons passer dans ces lettres les noms d'une foule de savants, dont Lebeuf s'occupe et avec la plupart desquels il était déjà en relation: Moreau de Mautour, l'abbé de Fontaines, le P. Desmoletz, l'abbé Sevin, l'abbé Papillon, Boivin, bibliothécaire des manuscrits du Roi, Burette, le P. Ducerceau, l'abbé Bignon, Lancelot, de Boze, Montfaucon, le Président Bouhier, etc.

Nous avons la lettre de félicitation que Lebeuf adresse à Sainte-Pallaye, en juillet 1724, lorsqu'il fut nommé membre de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres,

Nous apprenons aussi, qu'en 1734, Lebeuf avait un oncle âgé de quatre-vingt-un ans, à l'abbaye de Chaalis, et qu'un de ses frères avait voulu être religieux à l'abbaye de Vauclair, près Laon.

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La dernière de ces lettres est datée de la fin de 1734. Mais là ne dut pas s'arrêter la correspondance entre les deux savants. Ce n'est qu'en 1740 que Lebeuf fut reçu l'Académie des Inscriptions. Il fut pendant vingt ans le collègue de Sainte-Pallaye.

Brequigny, qui avait été l'ami et le collaborateur de ce dernier, a recueilli une partie des papiers et des lettres qui lui avaient été adressés; il n'est pas impossible que la suite de celles-ci ne se retrouve un jour.

ERNEST PETIT.

Paris, 28 novembre 1883.

(1) Lettres 11 et 12.

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