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Pitti, un portrait de jeune homme qui est sublime. On lui attribue à Rome les évangélistes qui sont à la voûte de la chapelle de Sainte-Catherine; mais c'est un ouvrage de sa jeunesse, ainsi que le tableau représentant sainte Anne, qui est à Florence, dans l'église de Saint-Ambroise. Le temps a effacé ses autres fresques.

L'antiquité n'ayant rien laissé pour le clair-obscur, le coloris, la perspective et l'expression, Masaccio est plutôt le créateur que le rénovateur de la peinture.

CHAPITRE XXII.

ÉFINITIONS.

Un général célèbre, voulant voir dans un musée un petit tableau du Corrége placé fort haut, s'approcha pour le décrocher : « Permettez, sire, s'écria le propriétaire ; M. N*** va le prendre, il est plus grand que vous. Dites plus long. »

C'est, je crois, pour éviter cette petite équivoque que dans les arts le mot grandiose remplace le mot grand. C'est en supprimant les détails, suivant une certaine loi, et non en peignant sur une toile immense, que l'on est grandiose. Voir la Vision d'Ézéchiel et la Cène de saint Georges à Venise.

Tout le monde connaît la Madona alla Seggiola 1. Il y a deux gravures, l'une de Morghen, l'autre de M. Desnoyers, et, entre ces deux gravures, une certaine différence. C'est pour cela que les styles de ces deux artistes sont différents. Chacun a cherché d'une manière particulière l'imitation de l'original.

Supposons le même sujet par plusieurs peintres, l'Adoration des rois, par exemple.

La force et la terreur marqueront le tableau de Michel-Ange. Les rois seront des hommes dignes de leur rang et paraîtront sentir devant qui ils se prosternent. Si la couleur avait de l'agrément et de l'harmonie, l'effet serait moindre, ou plutôt la véri

▲ De Raphaël, ancien Musée Napoléon, la Vision, no 1125.

table harmonie du sujet est dure. Haydn, peignant le premier homme chassé du ciel, emploie d'autres accords que l'aimable Bocherini lorsqu'il vient charmer la nuit par ses tendres

accents.

Chez Raphaël on songera moins à la majesté des rois; on n'aura d'yeux que pour la céleste pureté de Marie et les regards de son Fils. Cette action aura perdu sa teinte de férocité hébraïque. Le spectateur sentira confusément que Dieu est un tendre père.

Si le tableau est de Léonard de Vinci, la noblesse en sera plus sensible que chez Raphaël même. La force et la sensibilité brûlante ne viendront pas nous distraire. Les gens qui ne peuvent s'élever jusqu'à la majesté seront charmés de l'air noble des rois. Le tableau, chargé de sombres demi-teintes, semblera respirer la mélancolie.

Il sera une fête pour l'œil charmé s'il est du Corrége. Mais aussi la divinité, la majesté, la noblesse, ne saisiront pas le cœur dès le premier abord. Les yeux ne pourront s'en détacher, l'âme sera heureuse, et c'est par ce chemin qu'elle arrivera à s'apercevoir de la présence du Sauveur des hommes.

Quant à la partie physique des styles, nous verrons chacun des dix ou douze grands peintres prendre des moyens différents. Un choix de couleurs, une manière de les appliquer avec le pinceau, la distribution des ombres, certains accessoires, etc., augmentent les effets moraux d'un dessin. Tout le monde sent qu'une femme qui attend son amant ou son confesseur ne prend pas le même chapeau.

Chaque grand peintre chercha les procédés qui pouvaient porter à l'âme cette impression particulière qui lui semblait le grand but de la peinture.

Il serait ridicule de demander le but moral aux connaisseurs. En revanche, ils triomphent à distinguer la touche heurtée du Bassan des couleurs fondues du Corrége. Ils ont appris que le Bassan se reconnaît à l'éclat de ses verts, qu'il ne sait pas dessiner les pieds, qu'il a répété toute sa vie une douzaine de sujets familiers; que le Corrége cherche des raccourcis gracieux, que ses visages n'ont jamais rien de sévère, que ses yeux ont une

volupté céleste, que ses tableaux semblent recouverts de six pouces de cristal.

Huit ou dix particularités sur chaque peintre, et de plus la connaissance de la famille de jeunes femmes, de vieillards, d'enfants, qu'il avait adoptée, font le patrimoine du connaisseur. Il est à peu près sûr de son fait, lorsque, passant devant un tableau, il laisse tomber ces mots avec une négligence comique : « C'est un Paul, ou c'est du Baroche. »>

Il n'y a de difficile là-dedans que l'air inspiré. C'est une science comme une autre, qui ne doit décourager personne. Il ne faut, pour y réussir, ni âme ni génie.

Reconnaître la teinte particulière de l'âme d'un peintre dans sa manière de rendre le clair-obscur, le dessin, la couleur : voilà ce que quelques personnes sauront, après avoir lu la présente histoire. Deux leçons leur apprendront ensuite à distinguer un Paul Véronèse d'un Tintoret, ou un Salviati d'un Cigoli. Rien de plus simple à dire, rien ne serait plus long à écrire : comme, pour la prononciation d'une langue étrangère, on tombe dans le puéril et dans un détail infini.

Le dessin ou les contours des muscles, des ombres et des draperies, l'imitation de la lumière, l'imitation des couleurs locales, ont une couleur particulière dans le style de chaque peintre, s'il a un style. Chez le véritable artiste, un arbre sera d'un vert différent s'il ombrage le bain où Léda joue avec le cygne1, ou si des assassins profitent de l'obscurité de la forêt pour égorger le voyageur 2.

Une draperie amarante, placée tout à fait sur le premier plan, aura une certaine couleur. Si elle est enfoncée d'une douzaine de pieds dans le tableau, elle en prend une autre; car son éclat est amorti par la couleur de l'air interposé. En regardant au ciel, on voit que la couleur de l'air est bleue. La présence de l'eau change cette couleur en gris. Au reste, tout cela pouvait être vrai en Italie il y a trois siècles; mais il paraît qu'en France l'air à d'autres propriétés.

1 Le Corrége, no 900. Tableau que la piété a fait enlever au Musée avant qu'elle fût secondée par lord Wellington.

2 Martyre de saint Pierre, du Titien, no 1206.

Le jaune et le vert sont des couleurs gaies; le bleu est triste; le rouge fait venir les objets en avant; le jaune attire et retient les rayons de la lumière; l'azur est ombre, et va bien pour faire les grands obscurs.

Toutes les gloires des grands peintres, et entre autres du Corrége, sont jaunes1.

Si l'on se place, au Musée de Paris, entre la Transfiguration et la Communion de saint Jérôme, on trouvera dans le tableau du Dominiquin quelque chose qui repose l'œil: c'est le clairobscur.

Il faut étudier le dessin dans Raphaël et le Rembrandt, le coloris dans le Titien et les peintres français, le clair-obscur dans le Corrége, et encore dans les peintres actuels; et mieux encore, si l'on sait penser par soi-même, voir tout cela dans la nature; le dessin et le coloris à l'école de natation, le clair-obscur dans une assemblée éclairée par la lumière sérieuse d'un dôme.

Avez-vous l'œil délicat, ou, pour parler plus vrai, une âme délicate, vous sentirez dans chaque peintre le ton général avec lequel il accorde tout son tableau: légère fausseté ajoutée à la nature. Le peintre n'a pas le soleil sur sa palette. Si, pour rendre le simple clair-obscur, il faut qu'il fasse les ombres plus sombres, pour rendre les couleurs dont il ne peut pas faire l'éclat, puisqu'il n'a pas une lumière aussi brillante, il aura recours à un ton général. Ce voile léger est d'or chez Paul Véronèse, chez le Guide il est comme d'argent; il est cendré chez le Pezareze. Aux séances de l'Académie, qui ont lieu sous un dôme, voyez le changement du ton général du triste au gai, de l'air de fête à l'air sombre, à chaque nuage qui vient à passer devant le soleil.

CHAPITRE XXIII.

DE LA PEINTURE APRÈS MASACCIO.

Après la mort de Masaccio, deux religieux se distinguèrent (1445). Le premier est un dominicain, nommé Angelico. Il avait 1 Vous vous rappelez l'effet étonnant du Saint Georges de Dresde.

commencé par des miniatures pour les manuscrits; je ne vois pas qu'il ait suivi le grand homme. Il y a toujours dans ses tableaux de chevalet, assez communs à Florence, quelque reste du vieux style de Giotto, soit dans la pose des figures, soit dans les draperies, dont les plis roides et étroits ressemblent à une réu– nion de petits tuyaux. Comme les peintres en miniature, il met un soin extrême à représenter avec la dernière exactitude des choses peu dignes de tant de travail, et cela jette du froid. Ce qui a fait un nom à ce moine, c'est la beauté rare qu'il sut donner à ses saints et à ses anges. Il faut voir à la galerie de Florence la Naissance de saint Jean, et à l'église de Sainte-MarieMadeleine son tableau du Paradis. Angelico fut le Guido Reni de son siècle. Il eut de ce grand peintre même la suavité des couleurs, qu'il parvint à fondre très-bien, quoique peignant en détrempe aussi fut-il appelé au dôme d'Orvietto et au Vatican.

Pour Gozzoli, élève d'Angelico, il eut le bon esprit d'imiter Masaccio. On peut même dire qu'il le surpassa dans quelques détails, comme la majesté des édifices qu'il plaçait dans ses tableaux, l'aménité des paysages, et surtout par l'originalité de ses idées vraiment gaies et pittoresques. Les voyageurs vont voir à la maison Riccardi, l'ancien palais des Médicis, une chapelle de Gozzoli fort bien conservée. Il y mit une profusion d'or rare dans les fresques, et une imitation naïve et vive de la nature, qui le rend précieux aujourd'hui: ce sont les vêtements, les harnachements des chevaux, les meubles, et jusqu'à la manière de se mouvoir et de regarder des figures de ce temps-là. Tout est rendu avec une vérité qui frappe.

Les ouvrages les plus renommés de Gozzoli sont au CampoSanto de Pise, dont il peignit tout un côté; travail effrayant dont les Pisans le récompensèrent en lui faisant élever un tombeau près de ses chefs-d'œuvre (1478). L'Ivresse de Noé et la Tour de Babel sont les sujets qui m'ont le plus arrêté. Je croirais que leur auteur peut être placé immédiatement après Masaccio, tant la variété des physionomies et des attitudes, la beauté d'un coloris brillant, harmonieux, enrichi du plus bel outremer, rendent bien la nature. Il y a même de l'expression, surtout dans ce qu'il a fait lui-même; car il se fit aider par quelque peintre

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