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parune fausse déclaration, avait trompé les apôtres dans leur emprunt forcé1, ou le grand prêtre Joad massacrant Athalie pendant un armistice?

Quelle différence pour le talent de Raphaël, si, au lieu de peindre la Vierge au donataire2 et les tristes saints qui l'entourent, et qui ne peuvent être que de froids égoïstes, son siècle lui eût demandé la tête d'Alexandre prenant la coupe des mains de Philippe, ou Régulus montant sur son vaisseau !

Quand les sujets donnés par le christianisme ne sont pas odieux, ils sont du moins plats. Dans la Transfiguration, dans la Communion de saint Jérôme, dans le Martyre de saint Pierre, dans le Martyre de sainte Agnès, je ne vois rien que de commun. Il n'y a jamais sacrifice de l'intérêt propre à quelque sentiment généreux.

Je sais bien qu'on a dit, dès 1755 : « Les sujets de la religion chrétienne fournissent presque toujours l'occasion d'exprimer les grands mouvements de l'âme, et ces instants heureux où l'homme est au-dessus de lui-même. La mythologie, au contraire, ne présente à l'imagination que des fantômes et des sujets froids.

« Le christianisme vous montre toujours l'homme, c'est-àdire l'être auquel vous vous intéressez dans quelque situation touchante; la mythologie, des êtres dont vous n'avez pas d'idées dans une situation tranquille.

« Ce qui engagea les génies sublimes de l'Italie à prendre si fréquemment leurs sujets dans l'Olympe, c'est l'occasion si précieuse de peindre le nu. . La mythologie n'a tout au plus que quelques sujets voluptueux. » (GRIMM, Correspondance, février 1755.)

1 Ancien Musée Napoléon, n° 58.

2 Ancien Musée Napoléon, n° 1140.

3 Régulus ne pouvait s'attendre à être payé au centuple après sa mort; attaché à sa croix dans Carthage, il ne voyait point d'anges au haut du ciel lui apporter une couronne. La découverte de l'immortalité de l'âme est tout à fait moderne. Voir Cicéron, Sénèque, Pline, non pas dans les traductions approuvées par la censure.

CHAPITRE XVII.

ESPRIT PUBLIC A FLORENCE.

L'amour furieux pour la liberté et la haine des nobles ne pouvait être balancé dans Florence que par un seul plaisir, et l'Eu rope célèbre encore la magnificence désintéressée et les vues libérales des premiers Médicis (1400).

Les sciences de ce temps-là n'étant pas longues à apprendre, les savants étaient en même temps gens d'esprit. De plus, par la faveur de Laurent le Magnifique, il arriva qu'au lieu de ramper devant les courtisans, c'étaient les courtisans qui leur faisaient la cour. Voilà les peintres de Florence qui l'emportent sur leurs contemporains de Venise.

Dello, Paolo, Masaccio, les deux Peselli, les deux Lippi, Benozzo, Sandro, les Ghirlandajo, vécurent avec les gens d'esprit qui formaient la cour des Médicis, furent protégés par ceux-ci avec une bonté paternelle, et, en revanche, employèrent leurs talents à augmenter l'influence de cette famille aimable. Leurs ouvrages, pleins de portraits, suivant la coutume, offraient sans cesse au peuple l'image des Médicis, et avec les ornements royaux. On est sûr, par exemple, de trouver trois Médicis dans tous les tableaux de l'adoration des rois. Les peintres disposaient les habitants de Florence à leur en souffrir un jour l'autorité.

Côme, le père de la patrie, Pierre, son fils, Laurent, son petitfils, Léon, le dernier des Médicis, présentent assurément une succession de princes assez singuliers. Comme la gloire de cette famille illustre a été souillée de nos jours par de plats louangeurs, il faut observer qu'elle ne fit que partager l'enthousiasme du public.

Il faut rappeler Nicolas V, qui, de la naissance la plus obscure, parvint à la première magistrature de la chrétienté, et, dans un règne de huit ans, égala au moins Côme l'Ancien 1.

'De 1447 à 1455.

Il faut rappeler la maison d'Este, dont le sang va monter sur le plus beau trône du monde, et qui fut la digne rivale des Médicis. Puisse-t-elle se souvenir aujourd'hui que ses plus beaux titres de noblesse sont l'Arioste et le Tasse!

Alphonse, le brillant conquérant du royaume de Naples, épargna la ville rebelle de Sulmone en mémoire d'Ovide. Il réunis– sait les savants à son quartier général, non pour leur demander d'écouter des épigrammes, mais de discuter devant lui, et souvent avec lui, les grandes questions de la littérature. Son fils fut auteur, et cette famille, quoique renversée du trône, montra la civilisation à cette grande Grèce aujourd'hui si barbare.

Le plus brave des guerriers de ce siècle, le fondateur de la gloire et de la puissance des Sforce à Milan, protégea les savants presque autant que son petit-fils Louis le Maure, l'ami de Léonard.

Les souverains qui régnaient à Urbain et à Mantoue vivaient en riches particuliers, au milieu de tous les plaisirs de l'esprit et des arts. Les princesses même ne dédaignèrent pas de laisser tomber sur les enfants des Muses quelques-uns de ces regards qui font des miracles.

La mode fut décidée. Les princes vulgaires s'empressèrent de lui obéir, et, dans cet âge, une seule ville d'Italie comptait plus de savants que certains grands royaumes au delà des Alpes 1.

Par quel enchantement les gens d'esprit de l'Italie, si protégés, sont-ils restés tellement loin de ses artistes? Au lieu de créer, ils se rabaissèrent au métier de savant, dont ils ne sentaient pas le vide 2.

A Florence, depuis plus de deux siècles, et du temps que les Médicis n'étaient encore que de petits marchands, la passion des

1 Voir la vie de Volsey, par Galt.

Politien, par exemple. Ce métier est le dernier de tous, s'il n'est fondé sur la raison; et les raisonnements du quatorzième siècle sont bien bons à lire à peu près autant que ceux des théologiens actuels (Paley); mais n'oublions pas que, tandis que la raison ne formait encore que des pas incertains et mal assurés, sur les ailes de l'imagination les vers de Pétrarque et du Dante s'élevaient au sublime. Homère n'a rien d'égal au comte Ugolin.

arts était générale; les citoyens, distribués en confréries, suivant leurs métiers et leurs quartiers, ne songeaient, au milieu de leurs dissensions furieuses, qu'à orner les églises où ils se rassemblaient. Là, comme dans les états modernes, l'immense majorité avait l'insolence de ne pas vouloir se laisser gouverner au profit du petit nombre. C'est l'effet le plus assuré d'un bienêtre funeste. Les riches Florentins furent ballottés pendant trois siècles pour n'avoir eu ni assez d'esprit pour trouver une bonne constitution, ni assez d'humilité pour en supporter une mauvaise1. Leurs guerres leur coûtaient des sommes énormes, et n'enrichissaient que leurs ministres. Comme toutes les républi→ ques marchandes, ils étaient avares.

Et cependant, dès 1288, le père de cette Béatrice immorta→ lisée par le Dante fonde le superbe hôpital de Santa-Maria-Nuova. Cinq ans plus tard, les marchands de drap entreprennent de revêtir de marbres noir et blanc le joli baptistère si connu par ses portes de bronze. En 1294, le jour de la Sainte-Croix, on pose la première pierre de la célèbre église de ce nom. Au mois de septembre de la même année, on commence la cathédrale, et les fonds sont faits pour qu'elle soit rapidement achevée. A peine quatre ans sont écoulés, sur les dessins d'Arnolfo di Lappo, l'un des restaurateurs de l'architecture, on construit le Palazzo Vecchio. Mais c'est en vain que l'artiste veut donner une forme régulière à son édifice. La haine pour la faction gibeline ne permet pas de bâtir sur le terrain de leurs maisons, que la fureur populaire vient de démolir. C'est la place du Grand-Duc.

Ces grands édifices bâtis, les Florentins veulent les couvrir de peintures. Ce genre de luxe, inconnu à leurs ancêtres, ne régnait pas au même degré dans les autres villes d'Italie. De là la réputation des imitateurs de Giotto.

Dans les premières années du quinzième siècle, la mode changea. Ce fut la sculpture qui parut de bon goût pour orner les églises avec magnificence.

1 Tous les douze ou quinze ans le peuple se portait en armes à la place publique, et donnait balia à des commissaires qu'il nommait, c'est-àdire leur conférait le pouvoir de faire une constitution nouvelle.

Les Florentins, laissant toujours la façade des leurs pour le dernier ouvrage, l'inconstance humaine a fait que Saint-Laurent, le Carmine et Santa-Croce, ces temples si magnifiques au-dedans, ressemblent tout à fait à de vastes granges de brique.

CHAPITRE XVIII.

DE LA SCULPTURE A FLORENCE.

A la voix du public, qui demandait des statues, on vit paraître aussitôt, et presque en même temps, les Donatello, les Brunelleschi, les Ghiberti, les Filarete, les Rossellini, les Pollajuoli, les Verrochio. Leurs ouvrages, en marbre, en bronze, en argent, élevés de toutes parts dans Florence, semblèrent quelquefois, aux yeux charmés de leurs concitoyens, atteindre la perfection de l'art, et égaler l'antique. Remarquez qu'on n'avait encore découvert aucune des statues classiques. Ces sculpteurs célèbres, pénétrés pour leur art d'un amour passionné, formaient la jeunesse au dessin par des principes puisés de si près dans la nature, que leurs élèves se trouvaient en état de l'imiter presque avec une égale facilité, soit qu'ils employassent le marbre ou les couleurs. La plupart étaient encore architectes, et réunissaient ainsi les trois arts faits pour charmer les yeux.

Où ne fussent pas allés les Florentins avec une telle ardeur et tant de génie naturel, si l'Apollon leur eût été connu, et s'ils eussent trouvé dans Aristote, ou dans tel autre auteur vénéré, que c'était là le seul modèle à suivre? Qu'a-t-il manqué à un Benvenuto Cellini? qu'un mot pour lui montrer la perfection, et une société plus avancée pour sentir cette perfection.

Je remarque que les Florentins surent toujours écouter la raison. Ils voulaient jeter en bronze les portes du baptistère. La voix publique nommait Ghiberti. Ils n'en indiquèrent pas moins un concours. Les rivaux de Ghiberti furent Donatello et Brunelleschi. Quels rivaux les juges ne pouvaient faillir; mais on leur pargna le soin de juger. Brunelleschi et Donatello, ayant vué l'essai de Ghiberti, lui décernèrent le prix.

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