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Probablement, dès le temps des Lombards, Florence avait élevé son baptistère sur les ruines d'un temple de Mars. Sous Charlemagne, on bâtit l'église de Sant'Apostolo. Cet édifice, pur de la barbarie gothique, a mérité de servir de modèle à Brunelleschi, qui, à son tour, fut imité par Michel-Ange. En 1013, les Florentins rebâtirent l'église de San-Miniato. Il y a dans les arceaux, dans les corniches, dans les autres ornements, une imitation bien décidée de l'antique.

En 1063, les Pisans, fiers de leurs richesses et de leurs mille vaisseaux, voulurent élever le plus grand monument dont on eût jamais ouï parler. Ils amenèrent de Grèce un architecte et des peintres. Il fallut invoquer le secours de tous les arts. Les masses énormes à élever, les sculptures, les vastes mosaïques, tout indique que ce grand édifice fut un centre d'activité pendant le reste du onzième siècle. Tout encore y est barbare. Mais la grandeur matérielle de la chose exécutée donne, malgré soi, une partie du plaisir des beaux-arts. Cette grande entreprise réveilla la Toscane. Le feu sacré fut alimenté par la construction de l'église de Saint-Jean, de la tour penchée et du Campo-Santo.

Au milieu de cette activité de l'architecture, les peintres venus de Grèce firent des élèves sans doute; mais ils ne purent montrer que ce qu'ils savaient eux-mêmes; et la science qu'ils apportèrent en Italie était bien peu de chose, à en juger du moins par un parchemin que l'on conserve à la cathédrale de Pise, et sur lequel est écrit l'hymne du samedi saint. Il y a de temps en temps, entre les versets, des miniatures représentant des animaux ou des plantes. Les amateurs de la vénérable antiquité croient ce parchemin du commencement du douzième siècle. Ils admirent encore à Pise quelques tableaux du même temps et du même mérite. Ce sont, pour la plupart, des madones qui portent Jésus dans le bras droit. Le chef-d'œuvre de ces Grecs, auxquels j'ai honte de donner un si beau nom, est une vierge peinte sur bois dans la petite ville de Camerino. Elle ressemble assez aux peintures grecques que nous trouvâmes en 1812 à Smolensk et à Moscou. Il paraît que, chez les Grecs modernes, l'art n'est pas sorti du simple mécanisme. C'est que leur civilisation n'a pas fait un pas depuis les croisades. Il est bien vrai que, depuis quel

que temps, ils se font savants; mais le cœur est toujours bas1. On cite en Toscane le nom d'un peintre qui vivait vers l'an 1210. Le mieux conservé des ouvrages de Giunta Pisano se trouve dans l'église des Anges à Assise : c'est un Christ peint sur une croix de bois. Aux extrémités des branches de la croix on aperçoit la mère de Jésus et deux autres demi-figures. Ces figures sont plus petites que nature; le dessin en est horriblement sec, les doigts extrêmement longs. Toutefois il y a une expression de douleur dans les têtes, une manière de rendre les plis des draperies, un travail soigné dans les parties nues, qui l'emportent de beaucoup sur la pratique des Grecs de ce temps-là. Les couleurs sont bien empâtées et bien fondues. La couleur des chairs tire sur le bronze; mais, en général, les teintes sont distribuées avec art; on aperçoit quelques traces de la science des clairs et des obscurs, et le tout ensemble n'est inférieur que dans la proportion aux crucifix entourés de demi-figures qu'on attribue à Cimabue 2.

Il y a quelques fresques de Giunta dans l'église supérieure de Saint-François, à Assise; c'est un ouvrage qu'il fit de compagnic avec des peintres grecs. Il est encore possible de distinguer plusieurs sujets, entre autres le crucifiement de saint Pierre. On dit qu'une main indiscrète a retouché ces fresques. C'est une excuse pour les incorrections du dessin; mais les partisans de Giunta sont plus embarrassés pour le coloris, qui est d'une extrême faiblesse. Ils veulent que son école ait propagé les arts en Toscane. Il mourut, jeune encore, vers 1240.

Les gens d'Assise montrent en même temps que ces fresques le plus ancien portrait de saint François. Il est peint sur la planche même qui servit de lit au saint jusqu'à sa mort. C'est l'ouvrage de quelque Grec antérieur à Giunta.

1 Voyage de Norht-Douglas, Lonures, 1813. Il aura tort dans cinquante si les élections sont libres aux Sept-Iles.

ans,

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CHAPITRE VI.

SUITE DES PREMIERS PEINTRES.

La révolution que nous venons de voir en Toscane (1230), et il fallait bien la suivre quelque part, s'opérait presque en même temps dans le reste de l'Italie. Partout des citoyens riches, après avoir secoué les chaînes féodales, demandaient aux arts des productions nouvelles. La piété voulait des madones, et la vanité des tombeaux.

Depuis longtemps chaque ville avait des ouvriers en miniature pour les livres de prières. Il paraît qu'à cette époque plusieurs de ces ouvriers s'élevèrent jusqu'à peindre les murs des églises, et même des tableaux sur bois.

Ce qu'il y a de prouvé, c'est qu'en 1221 Sienne avait son Guido, qui s'était déjà un peu écarté de la sécheresse des Grecs. Lucques avait, en 1235, un Bonaventure Berlingieri, duquel on trouve un Saint François dans le château de Guiglia, près de Modène '.

Arezzo fait valoir son Margaritone, élève et imitateur des Grecs, qui paraît être né plusieurs années avant Cimabue. Il peignit sur toile, et fut, dit-on, le premier à trouver le moyen de rendre les tableaux plus durables et moins sujets aux fentes. Il étendait sur des tables de bois une toile qu'il y unissait par une colle fabriquée avec des morceaux de parchemin, et, avant de peindre sur cette toile, il la couvrait d'une couche de plâtre. Ce procédé le conduisit à faire en plâtre, et en relief, les diadèmes et les autres ornements qu'il plaçait sur la tête de ses saints. Il trouva même le secret d'appliquer l'or sur ces ornements, et de le brunir; ce qui parut le comble de l'art. On voit

1 Comme dans ce siècle Sienne était libre, du moins par les sentiments, ses artistes méritent d'être nommés immédiatement après ceux de Florence. Les savants diront: Voilà bien l'esprit de système et la manie de tout voir dans la liberté. Mais les philosophes savent que l'esprit humain est une plante fort délicate que l'on ne peut arrêter dans une de ses branches sans la faire périr.

un de ses crucifix à Santa-Croce, église que vous verrez avec plaisir à Florence. C'est là que reposent Alfieri, Galilée, MichelAnge et Machiavel.

Florence cite, vers l'an 1236, un Bartolomeo. C'est probablement l'auteur de ce fameux tableau qu'on révère à l'église des Servites, plus connue, à cause de lui, sous le nom de la Nunziata. Les moines avaient chargé Bartolomeo de peindre l'Annonciation. Il se tira fort bien de la figure de l'ange; mais, quand il en fut à la Vierge, il désespéra de trouver l'air séraphique indispensable ici. Le bonhomme s'endormit de fatigue. Dès qu'il eut les yeux fermés, les anges ne manquèrent pas de descendre du ciel, peignirent sans bruit une tête céleste en tous points, et, en s'en allant, tirèrent le peintre par la manche. Il voit son ouvrage fait, il crie au miracle. Ce cri fut répété par toute l'Italie, et valut des millions aux Servites. De nos jours, un maudit philosophe, nommé Lami, s'est avisé de discuter le miracle. Les moines voulurent l'assassiner. Il s'échappa à grand' peine. Mais la Vierge, pour se venger d'une manière plus délicate et moins usitée, s'est contentée de se rendre laide aux yeux des profanes, qui ne trouvent plus qu'une grossière figure, très-digne de Bartolomeo, et un peu retouchée dans la draperie1.

On ne peut nier que Venise n'ait eu des peintres dès le commencement du douzième siècle, et qu'ils n'aient été en assez grand nombre2 pour former une confrérie; par bonheur, leurs ouvrages n'existent plus.

1 Les murs de cette chapelle, quoique tout d'agate et de calcédoine, sont recouverts, de haut en bas, de bras, de jambes et autres membres d'argent qu'y ont consacrés ceux qui ont reçu la grâce d'être estropiés. En France, nous nous contentons de porter des têtes sur des brancards; dans le reste de l'Italie, ils portent des madones; mais ici ils n'en font pas à deux fois, ils portent le maître-autel de la chapelle tout brandi (de Brosses, 1740). En 1805, on imprimait encore, dans la Guida de Florence, que les miracles continuaient chaque jour. Au reste, le nord n'a pas le droit de se moquer de la superstitieuse Italie. Dans l'évêché de Bâle, on vient d'excommunier (novembre 1815) les souris et les rats, convaincus d'avoir causé de notables dommages. (Note de sir W. E.) 2 Zanetti.

Le mouvement qui faisait désirer plus de perfection dans les arts était général, et Florence, quoi qu'elle en dise, n'a point la gloire d'avoir seule produit des peintres dans ces temps reculés. Mais les premiers gens à talent sont nés dans une république où l'on pouvait tout dire, et qui avait déjà produit Pétrarque, Boccace et le Dante.

Ce qu'on peut apporter de mieux devant les ouvrages de l'art, c'est un esprit naturel. Il faut oser sentir ce que l'on sent. Ceci n'est à l'usage ni des provinciaux, ni des écrivains d'Italie qui mettent un patriotisme furieux dans l'histoire de la peinture. De propos délibéré, ils en ont embrouillé les premières époques 1; pour moi, dans cette ligue générale formée par des hommes de tous les pays pour approcher de la perfection, une douce illusion m'a fait voir des concitoyens dans tous ceux qui ont du gé– nie. J'ai cru que les barbouilleurs seuls n'avaient pas droit de cité.

Je puis avoir tort; mais ce que je dirai de Cimabue, de Giotto, de Masaccio, je l'ai senti réellement devant leurs ouvrages, et je les ai toujours vus seul. J'ai en horreur les cicerone de toute espèce. Trois ans de mon exil ont été passés en Toscane, et chaque jour fut employé à voir quelque tableau.

Aujourd'hui que j'ai visité une quantité suffisante de tableaux de Cimabue, je ne ferais pas un pas pour les revoir. Je les trouve déplaisants. Mais la raison me dit que sans Cimabue nous n'aurions peut-être jamais eu l'aimable André del Sarto, et je ferais vingt lieues avec plaisir pour voir une seconde Madona del Sacco 2.

Le magnétisme me servira d'exemple. On dit ses adeptes fort ridicules; du moins on nous fait rire à leurs dépens, ce dont je suis fort aise. Il n'en est pas moins possible que, d'ici à un siècle ou deux, le magnétisme conduise à quelque découverte admirable; et si alors un oisif s'amuse à en faire l'histoire, il faudra bien qu'il parle de nos magnétiseurs ridicules, et qu'en avouant qu'il n'aurait pas voulu être leur patient, il rende pour

1 Baldinucci, Vasari, le père della Valle, etc.

• Fresque de Florence, gravée par Raphaël Morghen et Bartolozzi.

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