Page images
PDF
EPUB

Pesaro, Aquilée, Orvietto, Fiesole, gardent des monuments du même genre et de la même époque. Mais on ne peut prendre aux artistes de ces premiers siècles qu'un intérêt historique. Pour trouver quelque plaisir devant leurs ouvrages, il faut aimer déjà depuis longtemps ceux des Corrége et des Raphaël, et pouvoir distinguer dans ces peintres gothiques les premiers pas que fit l'esprit humain vers l'art charmant que nous aimons. Nous ne pouvons tout à fait les passer sous silence; ils s'écrieraient avec le grand poëte, leur contemporain :

Non v' accorgete voi che noi siam vermi
Nati a formar l' angelica farfalla?

LE DANTE.

Vers l'an 828, les Vénitiens, fiers de posséder les reliques de saint Marc, qu'ils avaient enlevées à l'Égypte, voulurent élever sous son nom une église magnifique. Elle brûla en 970, fut rebâtie, et enfin ornée de mosaïques vers 1071 1. Ces mosaïques furent exécutées par des Grecs de Constantinople.

Ces peintres, dont les ouvrages exécrables vivent encore, servirent de modèles aux ouvriers italiens qui faisaient des madones pour les fidèles, qui les faisaient toutes sur le même patron, et ne représentaient la nature que pour la défigurer. On peut, si l'on veut, dater de cette époque la renaissance de la peinture; mais l'art ne s'éleva pas au-dessus d'un simple mécanisme 2.

1 On lit dans l'intérieur de ce monument singulier :

Historiis, auro, forma, specie tabularum,

Hoc templum Marci fore dic decus ecclesiarum.

La beauté des caractères place cette inscription au onzième siècle. 2 Le soleil de la civilisation brillait alors à Bagdad, à la cour de calife Moctadar. Lorsqu'il reçut, en 917, une ambassade de Constantinople, on vit s'élever au milieu d'un de ces salons resplendissants de pierreries dont les contes arabes nous ont conservé l'image, un arbre d'or et d'argent. Après avoir laissé le temps d'admirer le naturel de son feuillage, il s'ouvrit de lui-même pour se diviser en douze rameaux. A l'instant, des oiseaux de toutes les sortes allèrent se percher sur ses branches; ils étaient d'or ou d'argent, selon la couleur de leur plumage, avec des yeux de diamants; et chacun faisait entendre le chant qui lui est propre.

1

CHAPITRE II.

NICOLAS PISANO.

Au milieu des fureurs des Guelfes et des Gibelins, rien n'annonçait à l'Italie, vers l'an 1200, qu'elle fût sur le point de voir ses villes se remplir des chefs-d'œuvre de l'art. Une seule observation pouvait indiquer les succès qui attendaient ce peuple, si son étoile lui laissait le temps de respirer. C'est que, depuis trois siècles, chaque Italien se battait parce qu'il le voulait bien, et pour obtenir une certaine chose qu'il désirait. Les passions de chaque individu étaient mises en mouvement, toutes ses facultés développées, tandis que, dans le sombre septentrion, le bourgeois des villes n'était encore qu'une espèce d'animal domestique, à peine sensible aux bons et aux mauvais traitements. Les passions, qui font la possibilité comme le sujet des beaux-arts, existaient1; mais personne ne s'en était encore emparé. La sympathie avait soif de sensations. Elle devait donner avec fureur dans le premier art qui lui présenterait des plaisirs.

Vers la fin du treizième siècle, un œil attentif commence à distinguer un léger mouvement pour sortir de la barbarie. Le premier pas que l'on fit vers une manière moins imparfaite d'imiter la nature fut de perfectionner les bas-reliefs. La gloire en est aux Toscans, à ce peuple qui, déjà une fois, dans les siècles reculés de l'antique Étrurie, avait répandu dans la péninsule les arts et les sciences. Des sculpteurs, nés à Pise, enseignèrent aux faiseurs de madones à secouer le joug des Grecs du moyen âge et à lever les yeux sur les œuvres des anciens Grecs. Les troubles, pendant lesquels chacun songe à sa vie ou à sa fortune, avaient tout corrompu, non-seulement les arts, mais encore les maximes nécessaires pour les rétablir L'Italie ne manquait pas

1 A Florence, Giano della Bella, insulté par un noble, conspire pour la liberté, et réussit en 1293. En 1816, la féodale Allemagne n'est pas encore à cette hauteur. Werther; Mémoires de la margrave de Bareith sœur du grand Frédéric.

de belles statues grecques ou romaines; mais, loin de les imiter, les artistes ne les trouvaient point belles. On peut voir leurs tristes ouvrages au dôme de Modène, à l'église de SaintDonat d'Arezzo, et particulièrement sur une des portes de bronze de l'église primatiale de Pise.

Au milieu de cette nuit profonde, Nicolas Pisano vit la lumière, et il osa la suivre (1230).

Il y avait à Pise, de son temps, et l'on y trouve encore aujourd'hui, quelques sarcophages antiques, l'un desquels, qui est fort beau, a servi de tombe à Béatrix, mère de la célèbre comtesse Mathilde. On y voit une chasse d'Hippolyte, fils de Thésée. Il faut que ce bas-relief' ait été traité originairement par quelque grand maître de l'antiquité, car je l'ai retrouvé à Rome sur plusieurs urnes antiques. Nicolas eut l'idée d'imiter ces figures en tous points, et véritablement il se forma un style qui a beaucoup de rapports avec celui des bonnes statues antiques, surtout dans les airs de têtes et dans la manière de rendre les draperies.

Dès l'an 1231, il avait fait à Bologne le tombeau (urna) de saint Dominique, d'après lequel, comme d'un ouvrage étonnant, il fut appelé Nicolas dall' Urna. On reconnaît le peuple né pour les arts. Son talent brilla plus encore dans le jugement dernier qu'il fit pour la cathédrale d'Orvietto, et dans les bas-reliefs de la chaire de Saint-Jean, à Pise. Ses ouvrages, reçus avec enthousiasme dans toute l'Italie, répandaient les idées nouvelles. Il mourut vers 1275.

Faut-il dire qu'il resta loin de l'antique? Ses figures trop courtes, ses compositions confuses par le grand nombre de personnages, montrent plutôt le travail que le succès du travail. Mais Nicolas Pisano a le premier imité l'antique. Par ses basreliefs d'Orvietto et de Pise, qui ont été gravés, les amateurs de tous les pays peuvent juger des progrès qu'il fit faire au dessin, à l'invention et à la composition 1.

1 Voir dans M. Dagincourt la planche XXXIII de la huitième livraison, mais ne voir que la gravure. Dans les choses où il faut d'abord VOIR, puis JUGER, il est plus court de suivre aveuglément un seul auteur; quand on l'entend bien nettement, un beau jour on le détrône, et l'on prend la

CHAPITRE III.

PREMIERS SCULPTEURS.

Il forma à la sculpture Arnolfe Fiorentino, auteur du tombeau de Boniface VIII à Saint-Pierre de Rome, et son fils, Jean Pisano, qui fit le tombeau de Benoît IX à Pérouse. Ce fils travailla à Naples et dans plusieurs villes de Toscane; mais son ouvrage le plus remarquable est le grand autel de Saint-Donat d'Arezzo, qui coûta trente mille florins d'or.

Jean Pisano eut pour compagnon à Pérouse, et peut-être pour élève, un André Pisano, qui, s'étant ensuite établi à Florence, orna de statues la cathédrale et l'église de Saint-Jean. On sait qu'il employa vingt-deux ans à faire une des trois portes de bronze par lesquelles on entre dans ce baptistère célèbre. Il a mérité cette louange, que c'est en étudiant les bas-reliefs qui couvrent cette porte que les artistes ses successeurs sont parvenus à faire les deux autres, que Michel-Ange appelait les portes

résolution de regarder comme fausse chacune de ses assertions, jusqu'à ce qu'on les ait lues dans la nature. Parvenu à ce point, on peut ouvrir sans inconvénient les auteurs approuvés. La chasse d'Hippolyte se trouve aujourd'hui au Campo-Santo, cimetière célèbre de la ville de Pise, dont la terre a été apportée de Jérusalem (1189). Ce Campo-Santo, restauré en dernier lieu, ressemble à un joli petit jardin carré long, environné des quatre côtés par un portique assez élégant. Les peintures sont sur le mur au fond du portique qui enclôt le jardin; on y voit, à côté de la chasse d'Hippolyte, le marbre de l'aimable Pignotti et celui d'Algarotti, élevé par Frédéric II. Carlo Lasinio a gravé les fresques.

Nicolas était un de ces hommes faits pour changer les idées de tout un peuple; c'est lui qui donna le premier choc à la barbarie : il fut excellent architecte. Voir l'immense édifice du Santo, à Padoue; à Florence, l'église de la Trinité, que Michel-Ange appelait sa maîtresse; à Pise, le singulier clocher des Augustins, octɔgone au dehors, circulaire en dedans; il sut corriger la mobilité du terrain en enfonçant des pieux.

Comparer aux ouvrages de Nicolas la porte de Pise, celle de SainteMarie à Montréal, qu'on attribue à Bonanno Pisano. Sur ces antiquités, on peut consulter Martini, Moronna, le père del Giudice, Cicognara.

du paradis. Il est impossible, en effet, de rien voir de plus agréable que celle qui fait face au dôme. C'est un ouvrage plein de grâce, et dont la porte de bronze, qui était à l'ancien musée Napoléon, dans la salle du Nil, ne peut donner aucune idée.

André fonda l'école célèbre qui produisit Donatello et Ghiberti. Après André Pisano vient Balducci de Pise; c'est un des sculpteurs les plus remarquables du siècle. Castruccio, ce grand homme, tyran de Lucques, et Azzone Visconti, seigneur de Milan, l'employèrent à l'envi; mais c'est dans cette dernière ville qu'il a le plus travaillé. Le voyageur ne doit pas négliger le tombeau de saint Pierre, martyr, à Saint-Eustorge; il y verra ce que l'art avait encore produit de mieux à cette époque (1339).

Deux artistes de Sienne sortirent de l'école de Jean Pisano. Agnolo et Agostino étaient frères. Ce sont eux qui exécutèrent, sur les dessins de Giotto, le singulier tombeau de Guido, évêque d'Arezzo, où l'on trouve des bas-reliefs et un si grand nombre de petites statues représentant les principaux exploits de ce prélat guerrier. Ils travaillèrent beaucoup à Orvietto, à Sienne, en Lombardie.

La mosaïque suivait la sculpture, et la gloire en est encore à un Toscan, le moine Mino da Turita.

CHAPITRE IV.

PROGRÈS DE LA MOSAÏQUE.

Que Rome ait eu une école de mosaïque dès le onzième siècle, peu importe à la gloire de la Toscane, si Turita a également surpassé les ouvriers romains et ceux de Constantinople. En voyant ses ouvrages à Sainte-Marie-Majeure, on a peine à se persuader qu'ils soient d'un siècle encore si barbare.

CHAPITRE V.

PREMIERS PEINTRES.

Pour la peinture, elle restait bien loin de la mosaïque, et sur tout de la sculpture. L'antiquité n'avait pas laissé de modèle.

« PreviousContinue »