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du chien fidèle de Ganymède, qui voit son maître enlevé dans les airs.

Pontormo fit Vénus et l'Amour, et l'Apparition du Christ, sujet qu'il répéta pour Citta-di-Castello, Michel-Ange ayant dit que personne ne pouvait mieux faire.

Salviati et Bugiardini peignirent plusieurs de ses dessins. Dans l'âge suivant, les artistes y avaient souvent recours.

On dit que la cathédrale de Burgos a une Sainte Famille de Buonarotti 1. J'ai parlé de celle qui est à la galerie de Florence, et dont l'originalité est incontestable. Elle est peinte en détrempe, et, quoique le coloris soit faible, le tableau semble parfaitement conservé. Cette Madone a l'air d'escamoter l'enfant

Jésus, et sa physionomie d'Égyptienne achève de rappeler une idée ridicule. Une partie de cette critique s'applique à la Madone en marbre, de Saint-Laurent. Les enfants ne sont que de petits hommes.

Dans l'empire des lettres, on cite plusieurs grands génies dont les idées, pour être goûtées du public, ont eu besoin d'être éclairées par des littérateurs à qui il n'a fallu d'autre mérite que l'art d'écrire. C'est ainsi que les peintures de Michel-Ange, altérées par le temps, ou placées à une trop grande distance de l'œil, font très-souvent plus de plaisir dans les copies que dans l'original.

Ses dessins, qui ne sont pas fort rares, étonnent toujours. Il commençait par dessiner sur un morceau de papier le squelette de la figure qu'il voulait faire, et sur un autre il le revêtissait de muscles. Ses dessins se divisent en deux classes; les premières pensées jetées à la plume et sans détails; 2o ceux qu'il fit pour être exécutés et qui peuvent l'être par le peintre le plus médiocre. Tout y est 2.

Un génie aussi impatient ne devait pas faire de portraits; on ne cite qu'un dessin d'après Tomaso de' Cavalieri, jeune noble romain auquel il trouvait de rares dispositions pour la peinture.

1 La Madone, l'Enfant Jésus debout sur une pierre auprès du berceau; figures de grandeur naturelle; tableau provenant de la Casa Mozzi de Florence. (Conca, I, 24.)

• Mariette avait le dessin du Christ triomphant de la Minerve.

On montre au palais Farnèse le buste de Paul IIl; au Capitole, le buste de Faërne.

Après les fresques de la chapelle Pauline, Michel-Ange ne put rester oisif. Il disait que le travail du maillet était nécessaire à sa santé. A soixante-dix-neuf ans, lorsque Condivi écrivait, il travaillait encore de temps en temps à une Déposition de Croix, groupe colossal dont il voulait faire présent à quelque église, sous la condition qu'on le mettrait sur son tombeau.

Ce groupe où la seule figure du Christ est terminée, fut placé au dôme de Florence1. L'on aurait mieux fait de suivre la volonté du grand homme. C'était pour lui un tombeau plus caractéristique, et surtout bien autrement noble que celui de Santa Croce.

CHAPITRE CLXXVII.

MICHEL-ANGE ARCHITECTE.

Il faut considérer la bibliothèque de Saint-Laurent à Florence, le Capitole, la Coupole, et les parties extérieures de Saint-Pierre de Rome.

En 1546 mourut Antoine de Sangallo, architecte de SaintPierre. Bramante était mort en 1514, Raphaël en 1520. Depuis longtemps Michel-Ange survivait à ses rivaux, et à tous les grands hommes qui avaient entouré sa jeunesse. Il était le dieu des arts, mais le dieu d'un peuple avili. On n'admirait plus que lui, on ne copiait plus que ses ouvrages, et en voyant tous ses copistes il s'était écrié : « Mon style est destiné à faire de grands sots! >>

Il était enfin vainqueur des intrigues qui avaient poursuivi sa jeunesse. Mais la victoire était triste; en perdant ses rivaux, il avait perdu ses juges. Il regrettait leurs injures. Il se trouvait seul sur la terre. Nous avons encore un éloge passionné qu'il fit de Bra

1 Derrière le grand autel, sous la coupole de Brunelleschi. C'est le plus touchant des groupes de Michel-Ange; cela tient au capuchon de la figure qui tient Jésus-Christ.

mante. Qui lui eût dit, dans le temps de la chapelle Sixtine, qu'il pleurerait un jour Bramante et Raphaël!

Après la mort de Sangallo, on hésita longtemps pour le successeur; enfin Paul III eut l'idée de faire appeler le vieux Michel-Ange. Le pontife lui ordonna, presque au nom du ciel, de prendre ce fardeau dont il refusait de se charger.

Il alla à Saint-Pierre, où il trouva les élèves de Sangallo tout interdits. Ils lui montrèrent avec ostentation le modèle fait par leur maître. « C'est un pré, dirent-ils, où il y aura toujours à faucher. Vous dites plus vrai que vous ne pensez, répondit Michel-Ange; au reste, c'est malgré moi qu'on m'envoie ici. Je n'ai qu'un mot à vous dire, faites tous vos efforts, employez tous vos amis pour que je ne sois pas l'architecte de SaintPierre. >

Il dit à Paul III: « Le modèle de Sangallo avec tant de ressauts, d'angles, et de petites parties, se rapproche plus du genre gothique que du goût sage de l'antiquité, ou de la belle manière des modernes. Pour moi j'épargnerai deux millions et cinquante ans de travaux, car je ne regarde pas les grands ouvrages comme des rentes viagères. »

En quinze jours il fit son modèle de Saint-Pierre qui coûta vingt-cinq écus. Il avait fallu quatre ans pour exécuter le modèle de Sangallo, qui en avait coûté quatre mille1.

Paul III eut le bon esprit de faire un décret qui conférait à Buonarotti un pouvoir absolu sur Saint-Pierre. En le recevant, Michel-Ange ne fit qu'une objection: il pria d'ajouter que ses fonctions seraient gratuites. Au bout du mois, le pape lui ayant envoyé cent écus d'or, Michel-Ange répondit que telles n'étaient pas les conventions, et il tint bon, en dépit de l'humeur du pape. Malgré sa critique de Sangallo, l'architecture de Michel-Ange est encore pleine de ressauts, d'angles, de petites parties qui voilent le grandiose de son caractère.

1 Je l'ai encore vu au Belvédère en 1807, avec celui de Michel-Ange. 2 Ou motu-proprio. (Bonanni templum Vaticanum, pag. 64.) Le bref de Faul III parle de Michel-Ange presque dans les termes du respect.

CHAPITRE CLXXVIII

HISTOIRE DE SAINT-PIERRE.

Vers l'an 324, l'infâme Constantin posa la première pierre. En 626, Honorius y fit mettre des portes d'argent massif. En 846, les Sarrasins les emportèrent; ils ne purent rentrer dans Rome, mais Saint-Pierre était alors hors des murs.

L'histoire de ce que les prêtres osèrent faire dans cet antique Saint-Pierre passerait pour une satire sanglante1. Il fut pillé, brûlé, ravagé une infinité de fois, mais les murs restèrent debout. Durant les treizième et quatorzième siècles, plusieurs papes le firent réparer. Enfin Nicolas V conçut le projet de rebâtir SaintPierre, et appela Léon-Baptiste Alberti. A peine les murs étaientils hors de terre, que ce pape mourut (1455); tout fut abandonné jusqu'à ce qu'un autre grand homme montât sur ce trône. Le 18 avril 1506, Jules II, alors âgé de soixante-dix ans, descendit d'un pas ferme et sans vaciller dans la tranchée profonde ouverte pour les fondations de la nouvelle église, et posa la première pierre. Bramante était l'architecte. Son dessin était grave, simple, magnifique. Après lui Raphaël, Julien de Sangallo, Fra Joconde de Vérone, continuèrent l'édifice. Léon X y dépensa les sommes énormes qui firent le bonheur de l'Allemagne. Le plan primitif se détériorait tous les jours, lorsque enfin le même homme qui avait donné l'idée de reprendre Saint-Pierre fut chargé de diriger les travaux. Il fit le dessin de la partie la plus étonnante, de celle qui donne de la valeur au reste, de celle qui n'est pas imitée des Grecs. En 1564, Vignole succéda à Buona

1 Par exemple, sous Paul V, Grimaldo dit :

Tempore Clementis VIII ego Jacobus Grimaldus habui hanc notam.... sub Paulo V presbyteri illi, quibus cura imminebat dictæ bibliothecæ, vendiderunt plures libros illis qui tympana feminarum conficiunt, et inter alios, ex malâ fortunâ, dicti libri S. Petri contigit etiam numerari, vendi distrahi et in usu tympanorum verti, obliterari, quæ memoriæ in eo descriptæ id omni vitio, et inscitiâ et malignitate presbyterorunı. »

rotti. La coupole fut terminée sous Clément VIII; il y eut plusieurs architectes. Enfin le plus médiocre de tous, Charles Maderne, gâtant ce qui avait été fait avant lui, finit Saint-Pierre en 1613, sous Paul V.

Le Bernin ajouta la colonnade extérieure, admirable introduction!

Le talent des rois est de connaître les talents. Quand un prince a reconnu un grand génie, il doit lui demander un plan, et l'exécuter à l'aveugle. La manie des conseils et des examens excessifs tue les arts. Saint-Pierre, exécuté selon le plan de Michel-Ange, serait en architecture bien mieux que l'Apollon du Belvédère1.

Malgré ses énormes défauts et tous les outrages de la médiocrité, Saint-Pierre est ce que les hommes ont jamais vu de plus grand 2.

A mesure que nous connaissons mieux la Grèce, nous voyons disparaître la grandeur matérielle que les pauvres pédants ont voulu donner à ce petit peuple. Il fut grand par la liberté et par l'esprit 3. Les érudits, que cette sorte de grandeur déconcerte, ont voulu lui donner les avantages du despotisme, les édifices énormes.

Suivant eux, le temple de Jupiter à Athènes avait quatre stades de tour; dans le fait, il avait environ soixante-dix-sept pieds de large sur cent quatre-vingt-dix de long.

Le temple de Jupiter à Olympie était plus petit que la plupart de nos églises 5.

1 Dumont a publié les mesures de saint Pierre en 1753, à Paris; on y voit le mauvais goût des détails. Costagutti, Bonanni, Fontana, Ciampini ont donné des descriptions.

2 Peut-être trouvera-t-on quelque chose de comparable dans les Indes.

3 Histoire de la Grèce, par Mitford. On y voit les Grecs toujours divisés en deux partis, comme les États-Unis : le démocratique et l'aristocratique.

4 Stuart, Leroy, Vernon, Pausanias, et surtout l'excellent Voyage de M. Hobhouse, l'historien.

Pausanias dit soixante-huit pieds de haut, deux cent trente de long, quatre-vingt-quinze de large, compris le portique qui entourait le temple.

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