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par cet excès de sérieux. L'absence de tout moyen de rhétorique augmente l'impression. Nous voyons la figure d'un homme qui vient de voir quelque objet d'horreur.

Le Dante veut intéresser les hommes qu'il suppose malheureux. Il ne décrit pas les objets extérieurs comme les poëtes français. Son seul moyen est d'exciter la sympathie pour les émotions qui le possèdent. Ce n'est jamais l'objet qu'il nous montre, mais l'impression sur son cœur 1.

Possédé de la fureur divine, tel qu'un prophète de l'Ancien Testament, l'orgueil de Michel-Ange repousse toute sympathie. Il dit aux hommes : « Songez à votre intérêt, voici le Dieu d'Israël qui arrive dans sa vengeance. »

D'autres dessinateurs ont rendu avec quelque succès Homère ou Virgile. Toutes les gravures que j'ai vues pour le Dante sont du ridicule le plus amusant 2. C'est que la force est indispensable, et rien de plus rare aujourd'hui.

Michel-Ange lisait le grand peintre du moyen âge dans une édition in-folio, avec le commentaire de Landino, qui avait six pouces de marge. Sans s'en apercevoir il avait dessiné à la plume, sur ces marges, tout ce que le poëte lui faisait voir. Ce volume a péri à la mer.

CHAPITRE CLXXIII.

FIN DU JUGEMENT DERNIER.

Pendant que Michel-Ange peignait le Jugement dernier, il tomba de son échafaud, et se fit à la jambe une blessure douloureuse. Il s'enferma et ne voulut voir personne. Le hasard ayant conduit chez lui, Bacio Rontini, médecin célèbre, et presque aussi capricieux que son ami, il trouva toutes les portes fermées. Personne ne répondant, ni domestiques ni voisins, Rontini descendit avec beaucoup de peine dans une cave, et de

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la remontant avec non moins de travail, parvint enfin à Buonarotti qu'il trouva enfermé dans sa chambre, et résolu à se laisser mourir. Bacio ne voulut plus le quitter, lui fit faire de force quelques remèdes, et le guérit.

Michel-Ange mit huit ans au Jugement dernier, et le découvri le jour de Noël 1541; il avait alors soixante-sept ans1.

L'ouvrage qui facilite le plus l'étude de cet immense tableau, obscurci par la fumée des cierges, est à Naples. C'est une esquisse très-bien dessinée: on la croit de Buonarotti lui-même, et qu'elle fut peinte sous ses yeux par son ami Marcel Venusti. Les figures ont moins d'une palme, mais, quoique de petite proportion, conservent admirablement le caractère grand et terrible. Ce tableau curieux est aussi frais que s'il était peint de nos jours. Il est sans prix aujourd'hui que l'original a tant souffert. On m'assure qu'il y a chez les Colonnes, à Rome, une seconde copie de Venusti.

CHAPITRE CLXXIV.

FRESQUES DE LA CHAPELLE PAULINE.

Paul III ayant fait construire une chapelle tout près de la Sixtine (1549), la fit peindre par le grand homme dont il disposait. On y va chercher les restes de deux grandes fresques : la Conversion de saint Paul, et le Crucifiement de saint Pierre. Huit ou dix fois par an on célèbre les Quarante-Heures dans cette chapelle avec une quantité de cierges étonnante. Je n'ai pu distinguer que le cheval blanc de saint Paul. Il faudrait se hâter de faire copier ces tableaux 2.

I L'Arétin, cet homme d'esprit, l'opposition du moyen âge, envoya des idées à Michel-Ange pour son Jugement dernier, et eut avec lui une correspondance suivie. Lettres de l'Àrétin, tom. Í, pag. 154; II, 10; III, 45; IV, 37.

2 Mais il n'y a plus d'argent pour rien. J'ai trouvé trois ouvriers au Campo-Vaccino, cent dix-huit à Pompéia, au lieu de cinq cents qu'y employait Joachim. (Février 1817, W. E.)

Ce fut le dernier ouvrage de Michel-Ange, qui eut même, disait-il, beaucoup de peine à l'achever. Il avait soixante-quinze ans. Ce n'est plus l'âge de la peinture, et encore moins de la fresque. L'on montre à Naples quelques cartons faits pour ces deux tableaux.

CHAPITRE CLXXV.

MANIÈRE DE TRAVAILLER.

On trouve dans un livre du seizième siècle : « Je puis dire d'avoir vu Michel-Ange âgé de plus de soixante ans, et avec un corps maigre qui était bien loin d'annoncer la force, faire voler en un quart d'heure plus d'éclats d'un marbre très-dur, que n'auraient pu le faire en une heure trois jeunes sculpteurs des plus forts; chose presque incroyable à qui ne l'a pas vue. Il y allait avec tant d'impétuosité et tant de furie, que je craignais, à tout moment, de voir le bloc entier tomber en pièces. Chaque coup faisait voler à terre des éclats de trois ou quatre doigts d'épaisseur, et il appliquait son ciseau si près de l'extrême contour, que si l'éclat eût avancé d'une ligne tout était perdu 1. »

Brûlé par l'image du beau, qui lui apparaissait et qu'il craignait de perdre, ce grand homme avait une espèce de fureur contre le marbre qui lui cachait sa statue.

L'impatience, l'impétuosité, la force avec laquelle il attaquait le marbre, ont fait peut-être qu'il a trop marqué les détails. Je ne trouve pas ce défaut dans ses fresques.

Avant de peindre au plafond de la Sixtine, il devait calquer journellement sur le crépi les contours précis qu'il avait déjà tracés dans son carton. Voilà deux opérations qui corrigent les défauts de l'impatience.

Vous vous rappelez que, pour la fresque, chaque jour le peintre fait mettre cette quantité de crépi qu'il croit pouvoir employer: sur cet enduit encore frais, il calque avec une pointe dont l'effet

1 Blaise de Vigenère, images de Philostrates, pag. 855; notes.

est facile à suivre à la chapelle Pauline, les contours de son dessin. Ainsi l'on ne peut improviser à fresque, il faut toujours avoir vu l'effet de l'ensemble dans le carton.

Pour ses statues, l'impatience de Buonarotti le porta souvent à ne faire qu'un petit modèle en cire ou en terre. Il comptait sur son génie pour les détails. « On voit dans Buonarotti, dit Cellini, qu'ayant fait l'expérience de l'une et de l'autre de ces méthodes, c'est-à-dire de sculpter les figures en marbre d'après un modèle de grandeur égale à la statue, ou beaucoup plus petit; à la fin, convaincu de l'extrême différence, il se résolut à employer le premier procédé. C'est ce dont j'eus occasion de me convaincre, quand je le vis travailler aux statues de Saint-Laurent 1. »

Canova fait une statue en terre. Ses ouvriers la moulent en plâtre et la lui traduisent en marbre. Le matériel de cet art est réduit à ce qu'il doit être; c'est-à-dire que, quant à la difficulté manuelle, le grand artiste de nos jours peut faire vingt ou trente statues par an.

Je ne sais si la gravure en pierre rendra le même service aux Morghen, et aux Müller.

CHAPITRE CLXXVI.

TABLEAUX DE MICHEL-ANGE

Ils sont fort rares. Il méprisait ce petit genre. Presque tous ceux qu'on lui attribue ont été peints par ses imitateurs, d'après ses dessins. Le silence de Vasari et le peu de patience de l'homme le prouvent également.

Tout au plus quelques-uns ont-ils été faits sous ses yeux. On y trouve une distribution de couleurs qui se rapproche de ses idées. Alors ils sont de Daniel de Volterre, ou de Fra Sébastien, ses meilleurs imitateurs. Ces tableaux originaux auront été copiés, tantôt par des peintres flamands, tantôt par des Italiens d'écoles différentes, comme le prouve la diversité du coloris.

Traité de sculpture.

Les sujets ainsi exécutés sont le Sommeil de Jésus enfant, la Prière au jardin des Olives, la Déposition de Croix. Le tableau de Michel-Ange qu'on rencontre le plus souvent dans les galeries, c'est Jésus expirant sur la croix; d'où est venu le conte d'un homme mis en croix par Buonarotti. Souvent il y a un Saint Jean et une Madone, d'autres fois deux anges qui recueillent le sang du Sauveur.

Le meilleur crucifix est celui de la Casa Chiappini, à Plaisance. Bologne en a trois dans les collections Caprara, Bonfigliuoli, et Biancani 1.

Fra Sébastien, de l'école de Venise, que Michel-Ange aimait à cause de sa couleur excellente et quelquefois sublime, fit à Rome, d'après ses dessins, la Flagellation et la Transfiguration 2. C'était dans le temps que Raphaël finissait son dernier tableau; on dit que le peintre d'Urbin, ayant su que Michel-Ange fournissait des dessins à Fra del Piombo, s'écria qu'il remerciait ce grand homme de le croire digne de lutter contre lui. Fra Sébastien peignit une Déposition à Saint-François, à Viterbe.

Il répéta sa Flagellation de Rome pour un couvent de Viterbe; et, à la Chartreuse de Naples, le voyageur, en admirant la plus belle vue de l'univers, peut voir une troisième Flagellation, que l'on prétend peinte par Buonarotti lui-même.

Venusti fit, d'après ses dessins, deux Annonciations, les Limbes du palais Colonne, Jésus au Calvaire, au palais Borghèse, sans parler de l'admirable Jugement dernier, de Naples. Franco fit l'Enlèvement de Ganymède, qui est passé à Berlin avec la galerie Giustiniani. On y voit merveilleusement la force de l'aigle et la peur du jeune homme; les ailes de l'aigle ne sont pas ridiculement disproportionnées avec le poids qu'il enlève, comme dans le petit groupe antique de Venise3. Mais, d'un autre côté, l'expression admirable et l'amour de l'aigle antique manquent entièrement. Il n'y a pour les sentiments tendres que la douleur

1 Bottari donne la liste de ces crucifix. J'en ai trouvé dans les galeries Doria et Colonne, à Rome.

2 A Saint-Pierre in Montorio.

3 Dans la grande salle du Conseil, sur la Piazzetta, 1817.

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