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Michel-Ange écrivit au bas du papier

Grato m' è il sonno, e più l' esser di sasso,
Mentre che'l danno, e la vergogna dura,
Non veder non sentir m' è gran ventura,
Però non mi destar! deh parla basso!

Heureuse l'Italie si elle avait beaucoup de tels poëtes!

CHAPITRE CLXII.

FIDÉLITÉ AU PRINCIPE DE LA TERREUR,

Il y a dans cette sacristie sept statues de Michel-Ange1. A gauche, l'Aurore, le Crépuscule, et dans une niche au-dessus, le duc Laurent; c'est Lorenzo, duc d'Urbin, mort en 1518, le plus lâche des hommes 2. Sa statue est la plus sublime expression que je connaisse de la pensée profonde et du génie 3. Ce fut la seule ironie que Michel-Ange osa se permettre.

Ici nul mouvement exagéré, nulle ostentation de force: tout est du naturel le plus exquis. Le mouvement du bras droit surtout est admirable; il tombe négligemment sur la cuisse; toute la vie est à la tête.

A droite, le Jour, la Nuit et Julien de Médicis. Dans les deux figures d'hommes âgés, qui sont sur les tombeaux, on trouve une imitation frappante du Torse du Belvédère; mais imitation teinte du génie de Michel-Ange. Le torse était probablement Hercule mis au rang des dieux, et recevant Hébé des mains de Jupiter. Pour rendre sensible la teinte de divinité, l'artiste grec a di

règne de la platitude et de la tyrannie, ne pas voir, ne pas sentir, m'est
un bonheur suprême. Donc ne m'éveille pas; je t'en prie, parle bas.
Le premier quatrain est de G. B. Strozzi.

1 Outre deux candélabres.

2 « Il più vil di quell' infame schiatta dè Medici, » dit Alfieri. Après Léon X, cette famille épuisée n'a plus donné que des imbéciles ou des

monstres.

3 Cette statue rappelle d'une manière frappante le silence du célèbre Talma.

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minué la saillie de tous les muscles et de toutes les petites parties. Il a passé avec une douceur extrême des saillies aux parties rentrantes. Tout cela pour produire un effet contraire à celui que se proposait Michel-Ange1.

Ses principes sur la nécessité de la terreur ne sont nulle part plus frappants que dans la Madone avec l'Enfant Jésus, qui est

1 Époques des statues.

Le Torse fut trouvé in Campofiore, sous Jules II *.

L'Hercule Farnèse, qui est à Naples, dans les thermes d'Antonin, sous Paul III.

Le Laocoon, vers la fin du pontificat de Jules II, dans les bâtiments annexés aux thermes de Titus **.

L'Ariane couchée, sous Léon X.

Michel-Ange, spectateur de ces découvertes et de l'enthousiasme qu'elles excitaient, aurait pu sentir le prestige de la nouveauté si son génie ferme n'eût pas tenu par des racines trop profondes à la nécessité de faire peur aux hommes pour les mener.

Les plus anciens renseignements sur la découverte des antiques à Rome se trouvent dans des espèces de guides imprimés pour les voyageurs. Ces bouquins, intitutés : Mirabilia Romæ, furent imprimés par Adam Rot, de 1471 à 1474. Cela se vendait aux étrangers avec le Manuel des indulgences rien de plus vague et de plus inutile.

Les premières notions précises sont données par le livre que F. Albertino publia en 1510: Opusculum de mirabilibus novæ et veteris Romæ. Il indique comme étant connus dix ans avant la mort de Raphaël, et plus de cinquante avant celle de Michel-Ange

Les deux Colosses de Monte-Cavallo,

L'Apollon du Belvédère,

La Vénus avec l'inscription: Veneri felici sacrum.

Le Laocoon,

Le Torse,

L'Hercule et l'Enfant,

La statue de Commode en Hercule,

Un autre Hercule en bronze,

La Louve du Capitole, qui fut frappée de la foudre au sénat,

Le Cheval de MarcAurèle.

* Metalloteca de' Mercati, page 367, note d'Assalti.

** Felix de' Fredi, qui le trouva, eut une pension viagère considérable. Dans ce temps, la découverte d'un monument suffisait pour assurer la fortune d'une

famille.

entre les deux tombeaux. Les formes du Sauveur du monde sont celles d'Hercule enfant. Le mouvement plein de vivacité avec lequel il se tourne vers sa mère montre déjà la force et l'impatience. Il y a du naturel dans la pose de Marie, qui incline la tête vers son Fils. Les plis des vêtements n'ont pas la simplicité grecque, et prennent trop d'attention. A cela près, les parties terminées sont admirables.

L'idéal de Jésus enfant est encore à trouver. Je suppose toujours deux choses: que Marie ignore qu'il est tout-puissant, et que Jésus ne veut pas se montrer Dieu. Le Jésus de la Madona alla Seggiola est trop fort, et manque d'élégance; c'est un enfant du peuple. Le Corrége a rendu divinement les yeux du Sauveur du monde, comme il rendait tout ce qui était amour; mais les traits n'ont pas de noblesse. Le Dominiquin, si admirable dans les enfants, les a toujours faits timides. Le Guide, avec sa beauté céleste, aurait pu rendre l'expression du Dieu souverainement bon, s'il lui eût été donné de faire les yeux du Corrége. Dans la sacristie de Saint-Laurent, sculpture, architecture, tout est de Michel-Ange, à l'exception de deux statues. La chapelle est petite, bien tenue, dans un jour convenable. C'est un des lieux du monde où l'on peut le mieux sentir le génie de Buonarotti. Mais le jour que cette chapelle vous plaira vous n'aimerez pas la musique.

Michel-Ange ne restait à Florence qu'en tremblant. Il se voyait sous la main du duc Alexandre, jeune tyran qui ne débutait pas mal dans le genre de Philippe II, mais qui eut la bêtise de se laisser assassiner à un prétendu rendez-vous avec une des jolies femmes de la ville.

Les Philippe II ont une haine mortelle pour les faiseurs de quatrains, et Michel-Ange ne sortait point de nuit. Le duc l'ayant envoyé querir pour monter à cheval et faire avec lui le tour des fortifications, Buonarotti se rappela contre qui elles avaient été élevées, et répondit qu'il avait ordre de Clément VII de consacrer tout son temps aux statues. Il fut heureux de ne pas se trouver à Florence, lors de la mort du pape.

Voici la suite des tracasseries qui lui rendirent le service de l'en éloigner.

Les procureurs du duc d'Urbin l'attaquèrent de nouveau; pour leur répondre il se rendit à Rome. Clément, qui voulait l'avoir à Florence, lui prêtait toute faveur. Il n'en avait pas besoin pour gagner ce procès, mais sa plus grande affaire était de ne pas retomber au pouvoir d'Alexandre. Il fit un arrangement secret avec les gens du duc. Il n'était réellement à découvert que pour quelques centaines de ducats, car il n'en avait reçu que quatre mille, sur lesquels il avait payé tous les faux frais. Il fit l'aveu d'une dette considérable; le pape, ne se souciant pas de la payer, ne put s'opposer à ce qu'il signât une transaction qui l'obligeait à passer chaque année huit mois à Rome.

CHAPITRE CLXIII.

MALHEUR DES RELATIONS AVEC LES PRINCES.

Le dessin du tombeau fut réduit à une simple façade de marbre appliquée contre le mur, ainsi qu'on le voit à San Pietro in Vincoli.

Cependant Clément VII, au lieu de laisser Michel-Ange remplir ses engagements, voulut qu'il peignît encore à la chapelle Sixtine deux immenses tableaux: au-dessus de la porte, Lucifer et ses anges précipités du ciel, et vis-à-vis, sur le mur du fond, derrière l'autel, le Jugement dernier 1. Buonarotti, toujours froissé par la puissance, feignait de ne s'occuper que du carton du Jugement, mais en secret travaillait aux statues.

1 Michel-Ange avait, dit-on, dessiné la Chute de Satan. Un peintre sicilien qui broyait ses couleurs fit une fresque d'après son carton, à la Trinité-du-Mont*, chapelle de Saint-Georges. Encore que mal exécutée, on prétendait reconnaître le dessin de Buonarotti dans ces figures nues qui pleuvent du ciel, comme dit Vasari, X, 119.

* C'est dans une des chapelles de cette église, restaurée par Sa Majesté Louis XVIII, que se trouve, en 1817, la Descente de Croix faite par Daniel de Volterre sur un dessin de Michel-Ange. Quoique dégradée au dernier point, cette peinture de trois siècles l'emporte encore par la vivacité des couleurs sur les saints peints dans la même chapelle, en 1816, par les élèves de l'école de France.

Clément mourut1. A peine Paul III (Farnèse) fut-il sur le trône, qu'il envoya chercher Michel-Ange: « Je veux avoir tout ton temps. » Michel-Ange s'excusa sur le contrat qu'il venait de signer avec le duc d'Urbin. « Comment, s'écria Paul III, il y a trente ans que j'ai ce désir, et, maintenant que je suis pape, je ne pourrais le satisfaire ? Où est-il ce contrat, que je le déchire? »

Buonarotti se voyait déjà vieux, il ne voulait pas mourir insolvable envers le grand homme qui l'avait aimé. Il fut sur le point de se retirer sur les terres de la république de Gênes, dans une abbaye de l'évêque d'Aleria, son ami, et là de consacrer le reste de ses jours à finir le tombeau.

Quelques mois auparavant, il avait eu dessein d'aller s'établir à Urbin, sous la protection du duc. Il y avait même envoyé un homme à lui pour acheter une maison et des terres. En Italie, la protection des lois était loin de suffire, ce qui, encore aujourd'hui, maintient l'énergie contre la politesse.

Toutefois, craignant le pouvoir du pape2, et espérant se tirer d'affaire avec des promesses, il resta dans Rome.

1 CHRONOLOGIE DES PAPES:

Nicolas, précurseur des Médicis, 1447-1455.

Calixte III, 1455-1458.

Pie II, Æneas-Silvius, littérateur célèbre, 1458-1464.

Paul II, 1464-1471.

Sixte IV, 1471-1484.

Innocent VIII, 1484-1492.

Alexandre VI, 1492-1503.

Pie III, 22 septembre 1503-18 octobre 1503.

Jules II, 1503-1513.

Léon X, 1513-1521.

Adrien VI prenait le Laocoon pour une idole, 1522-1523.

Clément VII, 1523-1534, hypocrite et faible, amène les plus grands malheurs de Rome.

Paul III, 1534-1549, adorait son fils, le plus insolent des hommes, celui qui viola l'évêque et fut tué dans son fauteuil à Plaisance.

Jules III, 1550-1555.

Marcel II, vingt et un jours, en 1555.

Paul IV, 1559-1565.

2 Cellini était toujours à Rome. (Voir les mœurs publiques sous le pape

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