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l'adresse à manier l'épée ou le pistolet qui fait l'avantage. N'était-ce pas une grande force, en 1763, que l'esprit de Beaumarchais? et il ne se battait pas.

Je ne parle pas, pour ce second beau idéal, de l'air de santé, qui va sans dire. Cependant, dans la déroute générale des qualités naturelles, les couleurs trop vives donnent l'air commun. Une certaine pâleur est bien plus noble. Elle annonce plus d'usage du monde, plus de cette force que nous aimons.

CHAPITRE CXXI.

EXEMPLE: LA BEAUTÉ ANGLAISE.

Voyez la tournure des Anglais qui arrivent en France. Indépendamment de leurs modes, ils paraissent singuliers, et les femmes de Paris y trouvent mille choses à reprendre.

Ce n'est pas assurément que leurs couleurs fraîches et leur démarche assurée n'annoncent la santé et la force, et que l'on ne voie dans leurs regards encore plus de raison et de sérieux : c'est précisément parce qu'il y a trop de tout cela. Ils sont plus près que nous du beau antique, et nous trouvons qu'il leur manque, pour être beaux, vivacité et finesse 1.

C'est que les vertus dont le beau antique est la saillie, si l'on ose parler ainsi, sont plus honorées dans un gouvernement libre qu'en France. Voyez les têtes d'Allworthy, de Tom-Jones, de Sophie, du grand peintre Fielding. C'est du beau antique tout pur, aurait dit Voltaire. Aussi, parmi nous, ces gens-là sontils un peu lourds. Les Anglais, de leur côté, encore puritains sans le savoir 2, s'arment d'une sainte indignation contre les héros de Crébillon. On en dit du mal même à Paris. Ce sont ce

• Un Anglais debout présente une ligne parfaitement droite. (Tom. IV des Physion.)

2 En Angleterre, faire une partie de piquet le dimanche, ou jouer du violon, est une impiété révoltante. Le capitaine du vaisseau qui portait Bonaparte à Sainte-Hélène lui fit cette burlesque notification.

pendant des portraits très-ressemblants de personnages éminemment modernes.

Le beau idéal antique est un peu républicain1. Je supplie qu'à ce mot l'on ne me prenne pas pour un coquin de libéral. Je me hâte d'ajouter que, grâce à l'amabilité de nos femmes, la république antique ne peut pas être, et ne sera jamais un gouvernement moderne.

Jamais en Italie, ni ailleurs, je n'ai trouvé les beaux enfants anglais avec ces cheveux bouclés autour de leurs charmants visages, et ces yeux ornés de cils si longs, si fins, légèrement relevés à l'extrémité, qui donnent à leur regard un caractère presque divin de douceur et d'innocence 2. Ces teints éblouissants, si transparents, si purs, si profondément-colorés à la moindre émotion, que l'étranger rencontre dans les Country-Seals où il a le bouheur d'être admis, c'est en vain qu'il les chercherait dans le reste de la terre. Je n'hésite pas à le dire, si Raphaël avait eu connaissance des enfants de six ans et des jeunes filles de seize de la belle Angleterre, il aurait créé le beau idéal du Nord, touchant par l'innocence et la délicatesse, comme celui du Midi par le feu de ses passions. La science vient approuver cet aperçu de l'âme, et nous dire que dans la jeunesse le tempérament bilieux est une maladie. Pendant la première minute où les yeux du voyageur se fixent sur une beauté anglaise, ils l'embellissent. Dans le Midi, c'est un effet contraire. Le premier aspect de la beauté y est ennemi. L'Italienne qui revoit tout à coup un amant adoré qu'elle croyait à trois cents lieues reste immobile. Ailleurs, on lui saute au cou.

CHAPITRE CXXII.

LES TOILES SUCCESSIVES.

De même que, pour le premier beau idéal, l'artiste est parti

Il annonce les mêmes vertus que commande la république.

* Ce n'est qu'en Angleterre que l'on peut comprendre cette phrase du Don Primrose : « My sons hardy and active, my daughters beautiful and non plus que le auburne hair.

bloomine

de l'opinion des femmes, de la tribu encore sauvage, et de l'instinct; de même, dans cette seconde recherche de la beauté, faut-il partir des têtes classiques de l'antiquité.

L'artiste prendra la tête de la Niobé, ou la Vénus, ou la Pallas. Il la copiera avec une exactitude scrupuleuse.

Il prendra une seconde toile, et ajoutera à ces figures divines l'expression d'une sensibilité profonde.

Il fera un troisième tableau, où il donnera à la même beauté antique l'esprit le plus brillant et le plus étendu.

Il prendra une quatrième toile, et tâchera de réunir la sensibilité de son second tableau à l'esprit qui brille dans le troisième. Il passera bien près de l'Hermione du Guide 1.

Surtout le peintre s'assurera, par des épreuves multipliées, qu'il ne supprime que les qualités réellement incompatibles.

Je m'attends bien qu'à la première épreuve, dès qu'il voudra donner une sensibilité profonde à la Niobé, l'air de force disparaîtra.

Ici, il ne sera pas éloigné de l'Alexandre mourant de Florence, une des têtes les plus touchantes et les moins belles de l'antiquité.

La Niobé a sans doute une certaine expression de douleur; mais c'est la douleur dans une âme et dans un corps pleins d'énergie. Cette douleur serait plus touchante dans un cœur profondément sensible 3. Or je ne puis trop le redire, les arts du dessin sont muets; ils n'ont que les corps pour représenter les ames. Ils agissent sur l'imagination par les sens, la poésie, sur les sens par l'imagination *.

↑ Enlèvement d'Hélène. Ancien Musée Napoléon, no 1,008.

2 A Florence. La comparer avec les mères du Massacre des Innocents du Guide; et cependant le Guide est peut-être le moins expressif des grands peintres.

3 La Madeleine du marquis Canova.

S'il est vrai qu'avec les traits que nous lui connaissons Socrate ait porté une physionomie parfaitement ignoble, cette âme sublime fut à jamais hors de la portée des arts du dessin; si l'ignoble s'étendait aux mouvements, hors de la portée de la pantomime, il ne serait plus resté

Ceci rappelle le mot de je ne sais quel mauvais poëte moderne, qui se flattait d'avoir retrouvé la douleur antique.

Je ne crois pas que ce fût là une grande découverte. La douleur antique était plus faible que la nôtre. Voilà tout.

Les jolies femmes du temps du régent avaient déjà des vapeurs, et le maréchal de Saxe était d'une force étonnante, comme son père.

CHAPITRE CXXIII.

LE BEAU ANTIQUE CONVIENT AUX DIEUX.

Mais, dira-t-on, l'idéal moderne n'aura jamais le caractère sublime et l'air de grandeur qui charment dans le moindre basrelief antique.

L'air de grandeur se compose de l'air de force, de l'air de noblesse, de l'air d'un grand courage.

Le beau moderne n'aura pas l'air de force, il aura l'air de noblesse, et peut-être à un degré supérieur à l'antique.

que la parole ou la poésie; mais il est hors de la nature qu'une grande âme ne se trahisse pas par les mouvements.

« Une physionomie pourra être des plus nobles, des plus honnêtes, des plus judicieuses, des plus spirituelles et des plus aimables; le physionomiste pourra y découvrir les plus grandes beautés, parce que, en général, il appelle beau toute bonne qualité qui est exprimée par les sens; mais la forme même ne sera pas belle dans le sens des Raphaël et des Guide. » (LAVATER, V, 148.)

Cela tient aux formes reçues des parents, et au pouvoir de l'éducation. Dans la monarchie, le fils de Marius, ne pouvant avoir une compagnie, sera Cartouche. Je suppose que les parents donnent le tempérament, le ressort; et l'éducation, le sens dans lequel il agit.

La sculpture ne peut pas admettre cette exception. Pour elle, la beauté ne peut jamais être que la saillie des vertus; elle suppose toujours qu'il en est de tous les hommes comme d'Hippocrate, qui était le dix-septième grand médecin de sa race. Lavater travaille sur la réalité, si respectable Dour l'homme, mais souvent insipide.

Les œuvres de la sculpture ne peuvent avoir cet avantage, et doivent fuir cet inconvénient.

Il aura l'expression d'un grand courage, précisément jusqu'au point où la force de caractère est incompatible avec la grâce. Nous aimons bien le courage; mais nous aimons bien aussi qu'il ne paraisse que dans le besoin. C'est ce qui gâte les cours militaires. Les méchants disent qu'on y est un peu bête. Catherine II en convenait.

La grâce exclut la force; car l'oeil humain ne peut voir à la fois les deux côtés d'une sphère. La cour de Louis XIV restera longtemps le modèle des cours, parce que le duc de Saint-Simon y était considéré sans uniforme, parce qu'on s'y amusait plus qu'à la ville. Aussi avait-on Molière: on riait de Dorante ami de M. Jourdain, et Napoléon a été obligé de défendre l'Intrigante; car, si l'on s'était mis à rire de ses chambellans, où aurait-on fini?

Par un hasard singulier, l'Apollon est plus dieu aujourd'hui que dans Athènes. Cette statue sublime a suivi nos idées. Nous sentons mieux, nous autres modernes, ce que nous serions devant un être tout-puissant. C'est que toutes les fois qu'on nous a fait voir le Père éternel, nous avons aperçu l'enfer au fond du tableau.

Le beau idéal des anciens régnera toujours dans l'Olympe; mais nous ne l'aimerons parmi les hommes qu'autant qu'ils auront à exercer quelque fonction de la Divinité. Si je dois choisir un juge, je voudrai qu'il ressemble au Jupiter Mansuetus. Sij'ai un homme à présenter à la cour, j'aimerai qu'il ait la physionomie de Voltaire.

CHAPITRE CXXIV.

SUITE DU MÊME SUJET.

On me disputera peut-être l'air noble. Mais je représenterai qu'il y a plus de noblesse parmi les modernes, et des séparations plus fines. A Londres, j'ai vu un lord serrer la main d'un riche charcutier de la Cité1. J'ai cru voir Scipion l'Africain bri

1 Le 6 janvier 1816.

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