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des situations les plus célestes qu'ait inventées la poésie moderne; tout y est mélancolie, tout y est souvenirs.

Intanto Erminia infra l'ombrose piante
D'antica selva dal cavallo è scorta;
Nè più governa in fren la man tremante,
E mezza quasi par tra viva e morta.
Fuggi tutta la notte, e tutto il giorno
Errò senza consiglio e senza guida,
Giunse del bel Giordano a le chiare acque,
E scese in riva al fiume e qui si giacque.
Ma 'l sonno, che de' miseri mortali
È col suo dolce obblio posa e quiete,
Sopi co' sensi i suoi dolori, e l' ali
Dispiegò sovra lei placide e chete.
Non si destò finchè garrir gli augelli.
Non senti lieti e salutar gli albori,
Apre i languidi lumi.

Ma son, mentr' ella piange, i suoi lamenti
Rotti da un chiaro suon ch'a lei ne viene,

Che sembra ed è di pastorali accenti
Misto e di boscarecce inculte avene.
Risorge e là s' indrizza a passi lenti,
E vede un' uom canuto a l'ombre amene
Tesser fiscelle a la sua greggia accanto,
Ed ascoltar di tre fanciulli il canto.
Vedendo quivi comparir repente
L'insolite arme, sbigottir costoro ;
Ma gli saluta Erminia, e dolcemente

Gli affida e gli occhi scopre e i bei crin d'oro,
Seguite, dice, avventurosa gente.

(TASSO, canto VII.)

Dans l'instant où Herminie ôte son casque, et où ses beaux cheveux roulent en boucles d'or sur ses épaules et détrompent les bergers, il faut sur cette charmante figure de la faiblesse, de l'amour malheureux, le besoin du repos, de la bonté venant de sympathie et non d'expérience.

Comment fera la beauté antique, si elle est l'expression de la force, de la raison, de la prudence, pour rendre une situation

qui est touchante précisément par l'absence de toutes ces vertus?

CHAPITRE CXVI.

DE L'AMOUR.

Mais la force, la raison, la haute prudence, est-ce là ce qui fait naître l'amour 1?

Les nobles qualités qui nous charment, la tendresse, l'absence des calculs de vanité, l'abandon aux mouvements du cœur, cette faculté d'être heureuses, et d'avoir toute l'àme occupée par une seule pensée, cette force de caractère quand elles sont portées par l'amour, cette faiblesse touchante dès qu'elles n'ont plus que le frêle soutien de leur raison, enfin les grâces divines du corps et de l'esprit, rien de tout cela n'est dans les statues antiques.

C'est que l'amour, chez les modernes, est presque toujours hors du mariage; chez les Grecs, jamais. Écoutons les maris modernes plus de sûreté, et moins de plaisirs. Chez les Grecs, le public parlait comme mari; chez nous, comme amant; chez les Grecs, la république, c'est-à-dire la sûreté, le bonheur, le vie du citoyen, sanctifiait les vertus du ménage; tout ce qu'elles obtiennent de mieux parmi nous, c'est le silence; et il est assez reconnu qu'elles ne peuvent faire naître l'amour que chez un vieux célibataire, ou chez quelque jeune homme froid et dévoré d'ambition.

'N'aimions-nous pas mieux, au Musée, la charmante Hermione de l'Enlèvement d'Hélène, du Guide, que les têtes plus imposantes de l'antique? Qui jamais a été amoureux de la tête de la Vénus du Capitole ou de la Mamerca?

Le respect et l'amour ne marchent guère ensemble, chez les modernes. Un Grec estimait son ami.

CHAPITRE CXVII.

L'ANTIQUITÉ N'A RIEN DE COMPARABLE A LA MARIANNE DE MARIVAUX.

Je ne crois pas que l'antiquaire le plus zéle puisse nier que l'amour, tel que nous le sentons aujourd'hui, l'amour de mademoiselle de l'Espinasse pour M. le comte de G..., l'amour de la religieuse portugaise pour le marquis de Chamilly, tant de passions plus tendres peut-être et du moins plus heureuses, puisqu'elles sont restées inconnues, ne soient une affection moderne. C'est un des fruits les plus singuliers et les plus imprévus du perfectionnement des sociétés.

L'amour moderne, cette belle plante brillant au loin, comme le mancenilier, de l'éclat de ses fruits charmants, qui si souvent cachent le plus mortel poison, croît et parvient à sa plus grande hauteur sous les lambris dorés des cours. C'est là que l'extrême loisir, l'étude du cœur humain, le cruel isolement au milieu d'un désert d'hommes, l'amour-propre heureux, ou désespéré de nuances imperceptibles, la font paraître dans tout son éclat.

Le Grec n'avait jamais ce sentiment; et, sans l'extrême loisir, point d'amour 1.

Je ne parle ici que de cette partie du cœur humain que les formes d'une statue peuvent trahir; elles sont une prédiction de moments charmants, ou elles ne sont rien; il y a, sans doute, de l'instinct; mais l'instinct est plus sensible à la peinture.

CHAPITRE CXVIII.

NOUS N'AVONS QUE FAIRE DES VERTUS ANTIQUES.

Rappelons-nous les vertus dont le sculpteur eut besoin jadis dans les forêts de la Thessalie.

L'amour est en Italie, et non aux États-Unis d'Amérique, ou à Londres. La position d'Abailard, le plus grand homme de son siècle, logé

C'étaient, ce me semble, la justice, la prudence, la bonté, et ces trois qualités portées à l'extrême. L'homme voulait ces vertus dans ses dieux, il les eût désirées dans son ami 1. Or ces grandes qualités sont assez peu de mise en France : non qu'on veuille s'ériger ici en misanthrope. Je proteste que, si je tombe, c'est en cherchant pourquoi le Guide nous est plus agréable que Michel-Ange de Carravage. Je parlerai de moi; je dirai, en m'excusant ici et pour l'avenir, que toute morale m'ennuie, et que je préfère les contes de la Fontaine aux plus beaux sermons de Jean-Jacques.

Après cette profession de foi, on me permettra d'entreprendre le détrônement des vertus antiques, et de faire observer que nous n'avons que faire de la force dans une ville où la police est aussi bien faite qu'à Paris. On n'estime plus la force que pour une seule raison, car nos princes ne sont pas réduits, comme OEdipe,

A disputer dans un étroit passage
Des vains honneurs du pas le frivole avantage.

(VOLTAIRE.)

La force tombe, même en Angleterre; et, quand nous rencontrons dans les journaux l'éloge de la vigueur du noble lord N***, nous croyons lire une mauvaise plaisanterie. C'est que la trèsgrande force a un très-grand inconvénient : l'homme très-fort est ordinairement très-sot. C'est un athlète; ses nerfs n'ont presque pas de sensibilité 2. Chasser, boire et dormir, voilà son existence.

Vous n'aimeriez pas, ce me semble, que votre ami fût un Milon de Crotone. Vous plairait-il plus avec cette énergie de carac tère et cette force d'attention qui frappe dans la Pallas de Velletri? Non, cette tête sur des épaules vivantes nous ferait peur.

chez le chanoine Fulbert, aimant en secret son écolière, qui adorait sa gloire, était impossible dans l'antiquité. Plura erant oscula quam sententiæ, sæpius ad sinum quam ad libros deducebantur manus.

1 Son compagnon d'armes, et non son amuseur.

• Boerhaave.

Non, ces vertus antiques ou chasseraient votre ami de France, ou en feraient un solitaire, un misanthrope fort ennuyeux, et fort peu utile dans le monde; car le vrai ridicule d'Alceste est de se roidir contre l'influence de son gouvernement. C'est un homme qui veut arrêter l'Océan avec un mur de jardin. Philinte aurait dû lui répondre en riant : « Passez la Manche. »

CHAPITRE CXIX.

DE L'IDÉAL MODERNE.

Si l'on avait à recomposer le beau idéal, on prendrait les avantages suivants :

1° Un esprit extrêmement vif.

2o Beaucoup de grâces dans les traits.

3o L'œil étincelant, non pas du feu sombre des passions, mais du feu de la saillie. L'expression la plus vive des mouvements de l'âme est dans l'oeil, qui échappe à la sculpture. Les yeux modernes seraient donc fort grands.

4o Beaucoup de gaieté.

5o Un fonds de sensibilité.

6o Une taille svelte, et surtout l'air agile de la jeunesse.

CHAPITRE CXX.

REMARQUES.

Dans nos mœurs, c'est l'esprit accompagné d'un degré de force très-ordinaire qui est la force. Encore même notre force, grâce à la nature de nos armes, n'est plus une qualité physique, c'est du courage.

L'esprit est fort, parce qu'il met en mouvement les machines à coups de fusil. Les modernes se battent fort peu. Il n'y a plus d'Horatius Coclès. Ensuite l'extrême force est beaucoup moins utile dans les batailles; et, pour les combats particuliers, c'est

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