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aimait, mais s'était bien gardé de lui parler de sa passion; il n'avait d'ailleurs aucun sujet de jalousie. On voit tout cela dans une lettre qu'il écrivit avant de se tuer. La mort lui avait paru moins pénible qu'une déclaration.

On riait dans un événement si peu fait pour inspirer la gaieté, parce que la lettre une fois connue, lorsqu'on en parla à la jeune personne, elle s'écria naïvement: « Hé, mon Dieu! que ne parlait-il! Je ne me serais jamais doutée de son amour; au contraire, s'il y avait une malhonnêteté à faire, elle tombait sur moi de préférence. »

L'espèce de philosophie qui apprend à se tuer pour sortir d'embarras éteint l'esprit de ressource. L'idée de se tuer, étant très-simple, se présente d'abord, saisit l'esprit par son apparence de grandeur, empêche de combiner, paralyse toute activité, et donne bien moins d'épouvante que l'incertitude sur les noires circonstances par lesquelles on peut être conduit à mourir. Aussi, au delà du Rhin, les jeunes amants se tuent-ils à tout propos 1. Cela exige moins d'activité que d'enlever sa maîtresse, la conduire en pays étranger, et la faire vivre par le travail. Si vous connaissez quelque dessin exact du Parnasse de Raphaël au Vatican, cherchez la figure d'Ovide. Si l'on n'a rien de mieux, on peut prendre la collection des têtes dessinées par Agricola, et gravées par Ghigi. Ces têtes, gravées sur un fond blanc, sont fort intelligibles.

Vous verrez bien nettement dans les beaux yeux d'Ovide que la beauté s'oppose à l'expression du malheur. Du reste, cette tête montre assez bien le caractère du mélancolique; elle en a les deux traits principaux, l'avancement de la mâchoire inférieure, et l'extrême minceur de la lèvre supérieure, qui est la marque de la timidité.

Le philosophe reconnaît le tendre amour dans l'austérité d'une

1 Voir les journaux allemands. Ces pauvres jeunes gens seront peutêtre un peu retenus par la réflexion suivante. Dans les arts, comme dans la société, rien de moins touchant que le suicide. Avec quoi sympathiser? Au contraire, si le malheur a fait écrire de grandes choses, on sympathise.

morale excessive, dans les extases de la religion, dans ces maladies extraordinaires qui jadis faisaient de certains individus des prophètes ou des pythonisses. Il le reconnaît dans cette manie de décider, et dans cette horreur pour le doute, si naturelle aux jeunes gens; ce tempérament mélancolique, malgré son caractère chagrin, son commerce difficile, ses extases et ses chimères, est ourtant aimable aux yeux de l'homme qui a vécu. Il aime à serrer la main à un parent de la plupart des grands hommes.

CHAPITRE XCVIII.

TEMPÉRAMENTS ATHLÉTIQUES ET NERVEUX.

Voyons enfin la prépondérance du système sensitif sur le système moteur, et du système moteur sur le système sensitif. Voltaire, dans un petit corps chétif, avait cet esprit brillant qui est le représentant du dix-huitième siècle. Il sera aussi pour nous le représentant du tempérament nerveux.

Il est impossible de trouver un exemple aussi célèbre pour le tempérament athlétique, dont le propre, depuis qu'il n'y a plus de jeux olympiques, est d'empêcher la célébrité.

TEMPÉRAMENT NERVEUX.

Quoi qu'en dise le docteur Gall, il n'est rien moins que prouvé que la force de l'esprit soit toujours en raison de la masse du cerveau1.

1 On trouve ensemble les plus belles formes de la tête et le discernement le plus borné, ou même la folie la plus complète. Par malheur pour la peinture, l'on voit, au contraire, des têtes qui s'éloignent ridiculement des belles formes de l'Apollon, donner des idées où il est impossible de ne pas reconnaître du talent et même du génie *. C'est aux médecins idéologues, et, par conséquent, véritables admirateurs d'Hippocrate et de sa manière sévère, de ne chercher la science que dans l'examen des

* Pinel, Manie, 114. Crichton. M. Gall est un homme d'infiniment d'esprit qui ajoute le roman à l'histoire.

Ici il se présente deux branches:

Ou le despotisme du cerveau agit sur des muscles faibles, Ou il exerce son empire sur des muscles originairement vigoureux.

ESPRIT ET FAIBLESSE, OU LA FEMME.

Cette combinaison amène des impulsions multipliées qui se succèdent sans relâche en se détruisant tour à tour.

Le moindre vent qui d'aventure

Vient rider la face des eaux...

LA FONTAINE.

est un emblème de cette manière d'être mobile qui prête tant de séduction aux femmes vaporeuses; il ne leur manque que des malheurs pour n'être plus malheureuses. Nous le vîmes dans l'émigration.

Il serait indiscret de citer nos aimables voyageuses. Je vais parler des saintes.

Sainte Catherine de Gênes, nous dit-on, était tellement absorbée par la vivacité de l'amour qu'elle portait à Dieu, qu'elle se

faits, qu'il faut demander justice de tous ces jugements téméraires sur lesquels Paris voit bâtir, tous les vingt ans, quelque science nouvelle, Facta, facta, nihil præter facta, sera un jour l'épigraphe de tout ce qu'on écrira sur l'homme *. Mais Buffon répondrait fort bien que le style est tout l'homme, que les faits se prêtent plus difficilement à l'éloquence qu'une théorie vague dont on modifie les circonstances suivant les besoins de la phrase; et qu'est-ce qu'une circonstance de plus ou de moins? dit si bien mademoiselle Mars (dans les Fausses Confidences).

Voilà une des plus terribles limites qui bornent la peinture. La possibilité du divorce entre le bon et le beau, l'impossibilité di voltar il foglio, comme dit Alfieri, l'absence du mouvement, mettent, pour les personnes très-sensibles, la peinture après la musique. L'une est une maîtresse, l'autre n'est qu'un ami; mais heureux l'homme qui a une maîtresse et un ami.

* On jugera de tous ces poëmes en langue algébrique, qu'en Allemagne un pédantisme sentimental décore du nom de systèmes de philosophie, par un mot : ils ne s'accordent qu'en un point: le profond mépris pour l'empirisme. Or, l'empirisme n'est autre chose que l'expérience.

trouvait hors d'état de travailler, de marcher, et même quelquefois de parler; elle n'interrompait un silence expressif que pour s'écrier en soupirant que tous les hommes se précipiteraient à l'envi dans la mer, si la mer était l'amour de Jésus. Entraînée par cette douce erreur, elle allait souvent dans le jardin du monastère conter son bonheur aux arbres et aux fleurs. D'autres fois elle tombait à terre sous les arcades du cloître en s'écriant: «< Amour, amour, je n'en puis plus! >>

. L'excès de sa passion lui fit oublier le soin de se nourrir. Peu à peu elle fut hors d'état d'avaler même une goutte d'eau; une chaleur que rien ne pouvait éteindre lui ôtait le sommeil, et l'on peut dire d'elle, sans exagération poétique, qu'elle fut consumée par le feu de l'amour; elle cessa de parler, peu après de voir, et enfin s'éteignit au sein du plus parfait bonheur. C'est l'amour dégagé des contrariétés qui l'empoisonnent, et de la satiété qui l'éteint.

Anne de Garcias, qui a fondé plusieurs couvents en France; sainte Thérèse de Jésus, autre Espagnole, moururent aussi de cette mort charmante.

Armelle, Française, fut dans sa première jeunesse d'une complexion très-sensible, et même un peu plus portée qu'il ne faut aux erreurs de l'amour terrestre. Sa maîtresse lui conseillait, car elle était simple femme de chambre, de se livrer à des travaux pénibles; mais ces travaux, que le vulgaire regarde comme simplement fatigants, sont horribles pour les âmes tendres, qu'ils privent de leurs douces rêveries. L'auteur de la vie d'Armelle entre ici dans de grands détails. Il raconte qu'avant que son cœur fût enflammé de l'amour de Dieu, il brûlait d'une flamme infernale; que toute son âme était pleine de pensées obscènes et brutales; que les démons présentaient sans cesse à son imagination des images lascives; et, ajoute-t-il en soupirant, les démons obtenaient une victoire aussi complète qu'il pouvaient la désirer.

Elle se convertit. Le nom seul de l'objet aimé changea; elle s'écriait, dans les mêmes transports, qu'elle ne pouvait vivre un instant loin des embrassements de son divin époux. Je ne puis plus parler, disait-elle, l'amour me subjugue de toutes parts.

Une fois, il lui sembla que, pour donner à son bien-aimé une preuve de sa passion, elle se précipitait dans une fournaise ardente, auprès de laquelle les feux de la terre ne sont que glace. Ces illusions la faissaient plongée dans un évanouissement profond. Je vois que l'amour détruit ma vie, disait-elle souvent avec une joie vive et tendre.

Subjuguée par la douce force de cet amour, enivrée et comme plongée dans un abîme immense, elle veillait des nuits entières, attendant les baisers tendres que son céleste amant venait lui donner dans le fond le plus intime de son cœur. Enfin elle crut avoir entièrement perdu son être dans les bras de son amant, et ne plus faire qu'un avec lui. Cette heureuse erreur fut suivie de la réalité, car peu après elle quitta cette vallée de larmes pour voler dans le sein de son Créateur.

Une fois en sa vie, sainte Catherine de Sienne fit l'expérience de mourir. Son esprit monta dans les cieux, et trouva dans les bras de son céleste époux les plaisirs les plus ravissants. Après quatre heures de cet avant-goût du ciel, son âme revint sur la terre. On dit que ce genre d'évanouissement se retrouve bien encore; mais, dans ce siècle malheureux, le séjour au ciel ne dure qu'un instant.

Je trouve que les saintes du nord avaient le sang-froid nécessaire pour faire de l'esprit. Sainte Gertrude de Saxe, issue de la noble famille des comtes de Hakeborn, s'écriait dans ses froides extases:

<< O maître au-dessus de tous les maîtres! Dans cette pharmacie des aromes de la divinité, je veux me rassasier à tel point, je veux si fort me désaltérer dans cet aimable cabaret de l'amour divin, que je ne puisse plus remuer le pied. >>

Revenons dans le midi, où nous trouverons Marie de l'Incarnation avec des figures plus élégantes.

« Mon amant est un onguent étendu. Remplie de sa céleste douceur, je veux m'anéantir dans ses chastes embrassements. Mon âme sent continuellement ce charmant moteur qui, avec le plus aimable des feux, l'enflamme tout entière, la consume, cependant lui fait entonner un chant nuptial éternel. »

et

Elle ajoute: «La force de l'esprit arrêta les jouissances de

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