Page images
PDF
EPUB

Mon lecteur sentira que les tableaux du Frate, qui naguère ne pouvaient arrêter son attention, élèvent son âme; que ceux du Dominiquin la touchent. Il finira par être sensible même à l'Assassinat de l'inquisiteur Pierre, du Titien, et aux tableaux de Michel-Ange de Carravage.

Un jour viendra que, plaignant les peintres d'Italie d'avoir eu à traiter de si tristes sujets, il sera sensible aux seules parties de l'art dans lesquelles il a été libre à leur génie d'imiter la nature 1. Il aimera ses jouissances, que les sots ne peuvent lui profaner. Oubliant le sujet ou.

il aimera le clair-obscur du Guerchin, la belle couleur de Paris Bordone. C'est peut-être là le plus beau triomphe des arts 2.

CHAPITRE XXXV.

CARACTÈRE DES PEINTRES DE FLORENCE.

Voulez-vous, dès votre arrivée à Florence, prendre une idée de son style, allez sur la place de Saint-Laurent; examinez le bas-relief qui est à droite, en regardant l'église.

C'est un malheur pour Florence qu'on n'y arrive qu'après Bologue, cette ville des grands peintres. Une tête du Guide gâte furieusement les Salviati, les Cigoli, les Pontormo, etc., etc. II ne faut pas être dupe de tout ce que dit Vasari à l'honneur de son école florentine, la moindre de toutes, du moins à mon gré. Ses héros dessinent assez correctement; mais ils n'ont qu'un coloris dur et tranchant, sans aucune harmonie, sans aucun sentiment. Werther aurait dit : «Je cherche la main d'un homme, et je ne prends qu'une main de bois. »

Il faut excepter deux ou trois génies supérieurs.

Les draperies, dans cette école, ne sont ni brillantes par l'éclat des couleurs, ni d'une ampleur majestueuse. Venise, plaisantant les Florentins sur leur avarice connue, a dit que leurs draperies

1 Le clair-obscur et le coloris.

Voir la note de la page 43.

étaient choisies et taillées avec économie. Cette école ne marque pas non plus par le relief des figures, ou par la beauté. Les têtes ont de grands traits, mais peu d'idéal: c'est que Florence a été longtemps sans bonnes statues grecques. Elle vit tard la Vénus de Médicis, et ce n'est que de nos jours que le grand-duc de Léopold lui a donné l'Apollino et la Niobé. On peut dire, à cet égard, des Florentins, qu'ils ont copié la nature avec assez de vérité, et que quelques-uns ont su la choisir.

Le grand défaut de cette école, c'est le manque d'expression; sa partie triomphante, celle qui fut, pour ainsi dire, le patrimoine de tous ses peintres, c'est le dessin. Ils étaient portés à ce genre de perfection par le caractère national, exact et attentif aux détails, plutôt que passionné. La noblesse, la vérité, l'exactitude historique, brillent dans leurs tableaux avec la science du dessin. C'est que Florence fut de bonne heure la capitale de la pensée. Le Dante, Boccace, Pétrarque, Machiavel, et tant de gens d'esprit rassemblés par les Médicis, ou formés par les discussions politiques, répandirent les lumières. Ou les artistes furent des gens instruits, comme Michel-Ange, Léonard, le Frate, le Bronzino, ou la peur de la critique leur fit demander conseil. On n'eût pas représenté impunément aux rives de l'Arno les convives des noces de Cana vêtus à la mode du jour 1.

A Paris, on peut se faire une idée de la plupart des défauts de cette école par le tableau de Salviati, Jésus et saint Thomas 2, ou par cette réflexion qu'à la sensibilité près elle est en tout l'opposé des Hollandais.

L'école romaine fut grandiose à cause du Colysée et des autres ruines; Venise, voluptueuse; Florence, savante; le Corrége, tendre:

La terra molle e lieta e dilettosa,
Simili a se gli abitatori produce.

1 Noces de Cana de Paul Véronèse. Ancien Musée Napoléon, n° 1154.

(TASSO, I, 62.)

CHAPITRE XXXVI.

LA FRESQUE A FLORENCE.

Michel-Ange disait, en comparant deux peintures à la fresque et à l'huile, que cette dernière n'est qu'un jeu. Ce sont deux talents divers. La fresque cherche de plus grands résultats en suivant la nature de moins près.

Le maçon prépare une certaine quantité de plafond; il faut la remplir en un jour; la chaux boit la couleur; l'on ne peut plus y toucher. Ce genre n'admet ni retard ni correction. Le peintre est obligé de faire vite et bien, ce qui partout est le comble de la difficulté1.

Les églises et les palais de Florence font foi que cette difficulté a été emportée d'une manière brillante par un grand nombre de ses peintres.

Quant à ces vastes ouvrages que, dans le dix-septième siècle, et lorsque l'art avançait déjà vers sa décadence, on appela quadri di machina (tableaux de machine), on a reproché aux Florentins de ne pas assez grouper leurs figures, et de mettre trop de personnages. Mais ces grands tableaux, qui ont fait la gloire de Pierre de Cortone et de Lanfranc 2, forment un genre inférieur par lui-même. C'est à peu près comme les beautés de style que l'on peut mettre dans des pièces officielles. Un bavardage sonore et vague n'y est point déplacé, et la céleste pureté de Virgile y serait pauvreté.

1 Exemple à Paris, les plafonds de la galerie des Antiques. Cette condition est ce qu'il y a de mieux dans la gloire militaire.

2 Pierre de Cortone, mort en 1669; Lanfranc en 1647. C'est com musique de Paër.

CHAPITRE XXXVII.

DIFFÉRENCE ENTRE FLORENCE ET VENISE.

L'école de Venise paraît être née tout simplement de la contemplation attentive des effets de la nature et de l'imitation presque mécanique et non raisonnée des tableaux dont elle enchante nos yeux.

Au contraire, les deux lumières de l'école de Florence, Léonard de Vinci et Michel-Ange, aimèrent à chercher les causes des effets qu'ils transportaient sur la toile 1. Leurs successeurs regardèrent plutôt leurs préceptes que la nature. Cela était bien loin de l'idée de Léonard, que toute science ne consiste qu'à voir les circonstances des faits.

La méthode de raisonner dans laquelle les préceptes avaient été donnés se trouvant vicieuse, les peintres ne virent presque jamais la pensée du maître. Le peu qu'on en comprit fit que les Vasari, au lieu d'être plats à leur manière, furent détestables en outrant les défauts du maître. Il faudrait être profond dans la connaissance de la nature de l'homme, et non dans la connais sance du talent d'un certain nomme. Il est vrai que la première de ces études demande autant d'esprit que la seconde de patience.

L'école de Florence, malgré sa science, ou plutôt à cause de sa science, ne brilla qu'un instant. Du vivant encore de MichelAnge, vers 1530, Vasari et ses complices prirent fièrement 2

1 Comment, à Paris, M. G***, peignant une touffe de lilas dans le portrait de la belle duchesse de B***, n'a-t-il pas l'idée d'attacher à sa toile une branche de lilas, et de s'éloigner à dix pas ?

2 C'est exactement le même genre de révolution qui arrive aujourd'hui en musique. Les Mayer, les Weigl, les Paër, succèdent fièrement aux Cimarosa et aux Buranello.

la place des grands hommes1; mais voyons l'époque heu

reuse.

1 Michel-Ange, né en 1474, mort en 1563; pontificat d'Alexandre VI, de 1492 à 1503.

Léonard, né en 1452, mort en 1519; pontificat de Jules II, de 1503 à 1513.

Le Frate, né en 1469, mort en 1517; pontificat de Léon X, de 1513 à 1521.

André-del-Sarto, né en 1488, mort en 1530; Louis XII, de 1498 à

1515.

Pontormo, né en 1493, mort en 1558; François Ier, de 1515 à 1547. Daniel de Volterre, le meilleur imitateur de Michel-Ange, mort en 1556; Henri VIII, de 1509 à 1547.

Le Franciabigio, né en 1483, mort en 1524.

Le Rosso, mort en 1541.

Salviati, né en 1510, mort en 1563.

Bronzino, mort en 1567,

Allori.

« PreviousContinue »