Page images
PDF
EPUB

Arrivé au milieu de sa carrière, le Ghirlandajo donna tous les soins domestiques à David, son frère et son élève. « Charge-toi de recevoir l'argent, et de nous faire vivre, lui disait-il; maintenant que je commence à connaître cet art sublime, je voudrais qu'on me donnât à couvrir de tableaux tous les murs de Florence. >>

Aussi prescrivait-il à ses élèves de ne refuser aucun des travaux qu'on apporterait à la boutique, fût-ce même de simples coffres à mettre du linge. Artiste d'une pureté de contours, d'une gentillesse dans les formes, d'une variété dans les idées, d'une facilité de travail, et en même temps d'un soigné vraiment étonnants, digne précurseur des Léonard et des André del Sarto, Michel-Ange, Ridolfo Ghirlandajo son fils, et les meilleurs peintres de l'âge suivant sont comptés parmi ses élèves. La chapelle Sixtine n'a de lui qu'une Vocation de Saint-Pierre et de SaintAndré. Il y avait une Résurrection, qui a péri.

En revanche, Florence est remplie de ses ouvrages. Le plus connu, à juste titre, c'est le choeur de Santa-Maria-Novella. D'un côté on voit la vie de saint Jean; de l'autre quelques scènes de la vie de la Madone, et enfin ce Massacre des Innocents qui passe pour son chef-d'œuvre. On y trouve les portraits de tous les citoyens alors célèbres. Les y a-t-il mis par goût ou par nécessité? On dit, pour l'excuser, que les têtes sont parlantes et pleines de ces vérités de nature qui plus tard firent la réputation de Van Dyck. On ajoute qu'il sut choisir les formes et leur donner de la noblesse. Qu'importe? Ghirlandajo était fait pour sentir que mettre des portraits, c'est, d'une main, enchaîner à la terre l'imagination, que de l'autre on veut ravir au ciel. L'essor de l'école de Florence fut quelque temps arrêté par ces portraits. On peut dire toutefois qu'ils font aujourd'hui le seul mé

objets qu'il a le plus aimés : avantage immense de la musique, qui passe comme les actions humaines.

O debolezza dell' uom, o natura nostra mortale!

Les sentiments divins ne peuvent exister ici-bas qu'autant qu'ils durent peu.

rite des peintres médiocres, et qu'entraînés qu'ils étaient par la fatale habitude de copier les tableaux du maître, cette mode les força du moins à regarder quelquefois la nature.

Dans les draperies des fresques, Ghirlandajo supprima cette quantité d'or dont les chargeaient ses prédécesseurs. On voit partout un esprit enflammé de l'amour du beau, et qui secoue la poussière du siècle; il ne tient au sien que par l'incorrection des extrémités de ses figures, qui ne répondent pas à la beauté du reste. Ce perfectionnement était réservé à l'aimable André del Sarto, chez lequel je crois voir la manière du Ghirlandajo agrandie et embellie. Dominique, inventeur en peinture, réforma aussi la mosaïque; il disait que la peinture, avec ses couleurs périssables, ne doit être regardée que comme un dessin, que la véritable peinture pour l'éternité, c'est la mosaïque. Né en 1451, il cessa de vivre en 1495.

CHAPITRE XXIX.

PRÉDÉCESSEURS IMMÉDIATS DES GRANDS HOMMES.

Il ne faudrait que céder à la tentation. Raphaël et le Corrége sont déjà nés; mais l'ordre, l'ordre cruel, sans lequel on ne peut percer un sujet si vaste, nous force à finir Florence avant d'en venir à ces hommes divins.

Ove voi me, di numerar già lasso, rapite?

TASSO, 1, 56.

Pour la gloire du Ghirlandajo, il ne faut pas le confondre avec son école. Ses frères et ses autres élèves 1 ne le suivirent que de bien loin, ce qui n'empêche pas beaucoup de galeries de donner sous son nom des Saintes Familles qui ne sont que leur

1 Voici les noms de ces élèves: David et Benedetto, ses frères; le dernier peignit beaucoup en France; Mainardi, Baldinelli, Cicco, Jacopo del Tedesco, les deux Indachi.

ouvrage. Rosselli, le plus médiocre des peintres appelés par Sixte IV, désespérant d'égaler les beautés de dessin que ses camarades répandaient dans leurs tableaux, chargea les siens d'ornements dorés et de vives couleurs. Il crut, comme nos peintres, que de belles couleurs sont un beau coloris. S'il offensait le bon goût, il plaisait au pape. En conséquence, il eut plus de louanges et de présents qu'aucun des Florentins. On dit qu'il fut aidé par Pierre de Cosimo, autre barbouilleur dont le nom a survécu, parce qu'il est le maître d'André del Sarto.

On cite Pierre et Antoine Pollajuoli, statuaires et peintres. Il est sûr que l'on doit à ce dernier un des meilleurs tableaux du quinzième siècle; c'est le Martyre de saint Sébastien, dans la chapelle des marquis Pucci, aux Servites de Florence. La coueur n'est pas excellente; mais la composition sort de la routine du temps, et le dessin des parties nues montre qu'Antoine s'était appliqué à l'anatomie. Il fut peut-être le premier des Italiens qui osa étudier la forme des muscles, un scalpel à la main.

Luca Signorelli peignit à fresque la cathédrale d'Orvietto. Il suffit à sa gloire que Michel-Ange n'ait pas dédaigné de prendre le mouvement de quelques-unes de ses figures. Celles dont il remplit cette cathédrale sont supérieurement dessinées, pleines de feu, d'expression, de connaissance de l'anatomie, quoique toujours avec un peu de sécheresse. Il sentait sa force, et fut avare de draperies. Les dévots murmurèrent, mais sans succès. L'on serait moins tolérant1 de nos jours. On peut voir, en passant à la Sixtine, le Voyage de Moïse avec Seffora. Pour moi, c'est celui de tous ces peintres dont les ouvrages m'arrêtent le plus.

Il travailla à Volterre, à Urbin, à Florence. Je sais bien qu'il ne choisit pas ses formes, qu'il ne fond pas ses couleurs; mais celle Communion des Apôtres, à Crotone, sa patrie, pleine d'une grâce, d'un coloris, d'une beauté qui semblent de l'âge suivant, me confirme toujours dans mon sentiment.

1 Voyez les ordonnances de Léopold, ce prince libertin, contre la pauvre Comedia dell' arte. Les convenances rendent tartufe, mais les sots sont punis par l'ennui, qui ne quitte plus la cour. (Note de sir W. E.)

Barthélemy della Gatta ne peignit rien de son invention à la Sixtine; il aidait seulement Signorelli et le Pérugin. Mais il eut l'esprit de faire sa cour au pape, et d'accrocher une bonne abbaye. Devenu riche, l'abbé de Saint-Clément d'Arezzo cultivait à la fois l'architecture, la musique et la peinture. Je fus présent, en 1794, au transport de son Saint Jérôme, le seul tableau qui reste de lui, et qui, peint à fresque dans une des chapelles du dôme, fut transporté avec le crépi de la muraille dans la sacristie. Une des curiosités de la bibliothèque de Saint-Marc, à Venise, c'est un volume de miniatures charmantes, ouvrage d'Attavante, élève de l'abbé de Saint-Clément 1.

CHAPITRE XXX.

ÉTAT DES ESPRITS.

Tel était en Toscane l'état de la peinture vers l'an 1500. Les hommes, encore éblouis de la renaissance des arts, admiraient, comme Psyché, une chose si charmante 2; mais, s'ils avaient son ravissement, ils avaient son ignorance. On avait beaucoup fait, puisqu'on était parvenu à copier exactement la nature, sur

L'Abbé donna des leçons à Pecori et à Luppoli, gentilshommes d'Arezzo. Le premier a des figures qu'on dirait du Francia. Girolamo et Lancilao firent la miniature presque aussi bien que l'aimable Attavante. Lucques réclame une ligne pour deux de ses peintres, Zacchia il Vecchio, et Zacchia il Giovane. Je parlerai, à l'article du Pérugin, de plusieurs élèves qu'il donna à la Toscane pendant le séjour qu'il y fit. Voici leurs noms: Rocco, Ubertini son frère, le Bacchiaca, duquel le joli Martyre de saint Arcadius, à Saint-Laurent; Soggi, qui eut beaucoup de science et peu de génie, ainsi que Gérino, Montevarchi et Bastiano da San-Gallo, et enfin ce Ghiberti qui, tandis que les Médicis, qui se croyaient souverains légitimes, prenaient Florence à coups de canon, manqua de respect au point de peindre à la potence le pape Clément VII. Les nobles écrivains, toujours fidèles au pouvoir, n'ont pas manqué de honnir le pauvre Ghiberti, et de louer dans la même page Clément VII, qui, Florence pris, n'exécuta aucun des articles de la capitulation.

Dans le joli tableau de M. Gérard.

tout dans les têtes, dont la vivacité surprend encore. Mais les peintres n'aspiraient qu'à être des miroirs fidèles. Rarement choisissaient-ils.

Qui aurait pu songer au beau idéal?

L'idée assez obscure que nous attachons à ce mot est brillante de lumière si on la compare à l'idée du quinzième siècle. Sans cesse, si on lit les livres de ce temps-là devant les ouvrages dont ils parlent, on voit donner le nom de beau à ce qui est fidèlement imité. Ce siècle voulait-il honorer un peintre, il l'appelait le singe de la nature 1.

Si l'on vient à parler de beauté dans un salon de Paris, les exemples de l'Apollon et de la Vénus volent sur toutes les lèvres. Cette comparaison est même descendue à ce point de trivialité, qu'elle est une ressource pour les couplets du vaudeville. Il est triste pour une majesté aussi sublime que l'Apollon de se trouver en tel lieu. Cela montre toutefois que, même dans le peuple, on sait que, pour qu'une statue soit bien faite, il faut qu'elle ressemble à l'Apollon. Et, si cette idée ne se trouve pas parfaitement exacte, elle est du moins aussi vraie que peuvent l'être les idées du vulgaire.

Les gens du monde citent fort bien les têtes de la famille de Niobé, les madones de Raphaël, les sibylles du Guide, et quelques-uns même les médailles grecques. On ne saurait mieux citer. Tout au plus peut-on remarquer qu'il n'est jamais question que du beau idéal des contours. Ce mot semble n'être que pour la sculpture. On admire le Saint Pierre du Titien; mais personne ne songe à l'idéal de la couleur; on est ravi par la Nuit du Corrége, mais on ne dit point: « C'est le beau idéal du clair-obscur. » A l'égard de ces deux grandes parties de la peinture qui lui sont propres, qui sont plus elle-même que la beauté des contours, nous sommes comme les Italiens de l'an 1500. Nous sentons le charme sans remonter à la cause 1.

1 Stefano Fiorentino, petit-fils de Giotto, qui, le premier, essaya les raccourcis, en eut le surnom de Scimia della natura.

2 Rendre l'imitation plus intelligible que la nature, en supprimant les détails, tel est le moyen de l'ideal.

« PreviousContinue »