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là, en fixer les conditions, la montrer et la proclamer divine, ce n'est pas encore s'y élever et toute cette critique est loin d'avoir donné l'absolu. Notre raison a beau abstraire en idée de tout ce qui est humain, ce qu'elle donne en réalité étant humain et ne pouvant être autre chose, ne saurait être le divin, l'absolu. Quoi qu'en dise Hegel, la raison universelle à laquelle nous devons nous élever et la vérité universelle que nous devons connaître, ne sont que ce que les lois de la pensée humaine nous permettent de concevoir, C'est la plus grande aberration de la philosophie que de se transporter dans un enthousiasme poétique au delà de nos facultés. Sa vraie mission au contraire, c'est de reculer au moyen d'une méthode assurée les obstacles qu'elle rencontre à mesure qu'elle avance, afin de faire disparaître ceux de ces obstacles qui ne sont pas les infranchissables limites de la raison ellemême.

Une autre gloire incontestable de la spéculation allemande, c'est que la philosophie de la religion et celle de la nature ont reçu dans les écoles de la famille kantienne la plus vive impulsion. En effet, l'Allemagne a nonseulement donné à la métaphysique, dans les écoles de Kant, de Fichte, de Schelling et de Hegel, les plus riches développements, mais encore elle en a cultivé toutes les branches même dans celles de ses écoles qui ont abandonné le nom de métaphysique, ou qui ont confondu cette étude avec d'autres, si bien qu'aujourd'hui, la métaphysique domine toute la science germanique. Toutefois le mouvement des esprits s'est appliqué surtout aux spéculations de philosophie religieuse. Ce mouvement surpasse en Allemagne celui du moyen âge et celui de l'antiquité orientale, et il y présente une suite de doctrines. aussi variées, aussi sérieuses et aussi continues.

En effet, des trois systèmes principaux sont sorties une foule de théories secondaires qui prennent aussi le nom de

systèmes, quoique ce soient de simples nuances les unes du criticisme, les autres, du scepticisme. Quelques-uns sont profondément empreints de l'esprit du christianisme. D'autres sont animés encore d'un certain esprit religieux même dans leur indépendance de toute doctrine biblique. Et de ceux-là même qui, dans leur éloignement de ce dogme, vont jusqu'à la négation de la transcendance de Dieu, de l'immortalité et de la personnalité de l'âme, il en est qui soutiennent néanmoins les doctrines spiritualistes et combattent le sensualisme comme le matérialisme.

Ce qui forme les caractères communs des écoles allemandes, c'est qu'elles conçoivent l'idéal de la métaphysique d'une manière analogue; qu'elles sont toutes d'accord sur ce point, qu'avec la métaphysique s'élève ou tombe la science humaine, et enfin qu'elles ont foi en ce point fondamental : la raison humaine portée à sa plus haute expression, à son plus grand développement, perçoit les vérités éternelles d'une manière immédiate et dans toute leur beauté. On le sait, la métaphysique est chère au génie allemand. Les penseurs de cette nation, les plus excentriques comme les plus sages, n'ont cessé de cultiver cette science en vue de la religion, qui est toujours et partout la grande affaire de l'humanité, quelles que soient les éclipses de son horizon, et qui partout où le christianisme s'est fait jour est dominé par l'Evangile. Aussi tous ceux qui professent la philosophie de la religion, consultent le christianisme, les uns en modifiant ses anciennes doctrines, les autres en les noyant dans les théories d'un panthéisme renouvelé de Spinoza, d'autres encore en les maintenant en accord avec la métaphysique à l'instar de Malebranche et de Leibniz. Nul ne fait complétement abstraction de ces doctrines. Et ce résultat aussi est dû à la famille de Kant.

LA NOUVELLE PHILOSOPHIE DE LA NATURE. LA PHYSIOGNOMIQUE. - OCKEN. GOETHE. CUVIER. GEOFFROY

LA PHRÉNOLogie.

SAINT-HILAIRE. LAVATER. GALL. SPURZHEIM.

On a vu que les connaissances cosmologiques de Kant étaient fort étendues. Celles de Hegel, d'un caractère plus spéculatif, furent également remarquables. Celles de Schelling sur les forces de la nature en général et en particulier sur ses puissances magnétiques, électriques et chimiques, sur les lois de la gravitation et de la lumière, furent adoptées avec un esprit très créateur par Steffens, que nous avons déjà nommé; par Ocken, qui les appliqua aux détails; par Wagner, qui laissa une théorie curieuse de l'univers, et par OErsted, le plus illustre de tous et supérieur même à ses maîtres. Tous ces travaux fécondèrent l'observation et les méthodes de classification dans les diverses branches de la physique générale et de l'histoire naturelle. La puissance de cette excitation atteignit jusqu'au génie de Goethe, qui se délassa de ses créations poétiques dans de curieuses investigations et d'intéressantes correspondances. La France, entraînée par le génie de Buffon, et l'Angleterre, par celui de Newton, applaudirent peu à ces travaux; elles s'y associèrent néanmoins comme malgré elles. L'anatomie comparée et les vues cosmologiques de Cuvier n'ont pas ignoré ceux de Schelling et Hegel, élevés à la même époque et dans le même pays que l'illustre naturaliste.La Philosophie de la nature de Geoffroy Saint-Hilaire est un des monuments qui en attestent le plus l'influence parmi nous. Cet esprit si hardi eût préféré le mot kantien de monde phénoménal à celui de monde des détails, qui fut jeté un jour comme une objection contre les vues générales du génie de Newton par le

génie de Napoléon. Geoffroy Saint-Hilaire, séduit par la langue de l'idéalisme, eût même préféré au terme newtonien de gravitation celui d'attraction de soi pour soimême, qui offrait suivant lui la meilleure formule de la loi universelle. [Philosophie de la Nature, p. XXV.] « Ces anciennes lois dites vitales, qui élevaient un mur de séparation entre la physique des corps bruts et celle des corps animés s'évanouiraient bientôt. L'attraction-soi par soi [qui rappelle le moi générateur de tout] se pose dans l'univers comme une essence d'un genre inconnu jusque-là, remplissant le monde comme Dieu lui-même, cause des causes ou ministre d'une puissance infiníe, inflexible et inexorable comine le Destin, par le génie de Tycho Brahe et de Kepler sous le nom d'âmes motrices et de forces tractoires, qualifiée d'attraction par Newton » [Ib., p. 66.]

Les sciences naturelles et physiques, la gloire de nos derniers temps, auraient fait des progrès non moins admirables même sans les excitations de l'enseignement philosophique. Mais grâce à cet enseignement elles ont pris partout un caractère d'élévation qui les a fait aboutir à la plus haute métaphysique, à la philosophie de la religion elle-même. S'élever aux principes suprêmes et aux causes dernières, qui ne sauraient se trouver que dans le monde intellectuel; arriver au spiritualisme et par lui expliquer le monde matériel: tel fut désormais l'ambition commune. S'il y eut quelques esprits en retard, élèves d'un matérialisme passé et toujours enchaînés encore à la vieille erreur d'une philosophie matérialiste, ce furent de rares exceptions. A quelque branche de l'arbre de la science qu'on s'attachât, on voulut monter jusqu'au faîte et arriver au ciel.

Cela se voit surtout dans ces spécialités secondaires qui jusqu'ici n'ont pu encore se faire classer dans l'enseignement philosophique [la physiognomique, la phrénologie et le magnétisme psychique], ou dans d'autres qui n'ayant pu

s'y maintenir après y avoir joué un rôle, ont essayé d'y rentrer avec éclat, par exemple la pneumatologie.

En effet, la grande ambition de Lavater [né en 1741, mort en 1801], le noble ami de Klopstock et de Goethe, de Mendelsohn et de Jacobi, de Kirchberger et de SaintMartin, ce fut de montrer le spiritualisme dominant le matérialisme, l'âme se dessinant dans ses organes. C'est dans ce but qu'il essaya d'élever à une sorte de système les vues jetées en avant par Porta et Huarte. [Fragments physiognomoniques, 1774, 4 vol. in-40]. Et quelque exagération qu'on ait apportée dans ce point de vue, on n'est -point parvenu à fausser ce qu'il contient de vérité.

Echapper au matérialisme et mettre son étude favorite, l'organologie, d'accord avec l'éthique chrétienne, ce fut aussi la grande préoccupation de Gall [né en 1758, mort en 1828] qui rencontra à Paris la même opposition qu'il avait trouvée à Vienne, à Berlin, à Dresde, à Halle, à léna, à Copenhague, à Amsterdam, à Leyde, à Heidelberg et à Zurich. C'est qu'en dépit des apparences contraires, le même besoin de spiritualisme régnait partout; et les transformations de l'organologie, depuis la simple cranioscopie de Gall jusqu'à la phrénologie de Spurzheim, qui sut faire entrer jusqu'à seize organes dans la région antérieure du cerveau, durent s'inspirer du désir de répondre à cette puissante nécessité. [Gall, Recherches sur le système nerveux, 1809. Gall et Spurzheim, Anato-mie et Physiologie du système nerveux en général et du cerveau en particulier, 1810-1820, 4 vol. in-4o.- Gall sur les Fonctions du cerveau, 1822-25, 6 v. in-8°]. Ce spiritualisme ne pouvait que tourmenter un naturaliste dont le système se résumait dans cinq propositions qu'il formulait ainsi : 1. Les qualités morales et les facultés intellectuelles sont innées; 2. L'exercice ou la manifestation des facultés ou qualités morales dépend de l'organisation; 3. Le cerveau est l'organe de tous les penchants, de tous

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