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SUR LA VIE ET LES ÉCRITS

DE MIRABEAU.

LIVRE TROISIÈME.

DEPUIS LA SORTIE DE MIRABEAU DE SA PRISON DE

VINCENNES JUSqu'a son voyage en PRUSSE.

(13 décembre 1780-4 juillet 1786.)

Le principal objet qui occupait Mirabeau à sa sortie de prison étant sa réconciliation avec sa femme, il se hâta de faire part de sa liberté au marquis de Marignane, son beau-père, par une lettre qui doit trouver place ici'.

« Monsieur le marquis, je viens de franchir le

113 décembre 1780.

>>

» seuil fatal, et c'est à vous que je dois le pre>> mier hommage de ma reconnaissance, puisque >> sans vous mon père n'eût jamais pu, malgré » le vœu de son noble cœur, m'accorder ce bien» fait. Si l'ordre du roi, qui change mon sort, ne » me mettait pas à la disposition absolue de mon » père, j'aurais supplié que l'on me mît à la vô>>tre. Croyez, monsieur le marquis, daignez > croire que je mettrai autant de joie à mériter >> désormais vos bontés, que j'ai eu le malheur » de mettre de suite à les perdre, et que je ne me >> permettrai de vous demander, et à tout ce qui » vous appartient, que ce que vous jugerez à prode m'accorder vous-même. >>

» pos

Madame de Mirabeau était retirée chez M. de Marignane, et par conséquent dans sa dépendance morale; la réconciliation que sollicitait le comte dépendait donc de la manière dont ce beau-père prendrait la demande que celui-ci faisait. Il ne pouvait lui montrer trop de déférence, et la première preuve qu'il lui en donnait était cette lettre pleine de soumission, et qui l'instruisait le premier d'un événement aussi intéressant pour la famille que celui de la liberté du prisonnier.

Mirabeau, avec sa confiance ordinaire, comptait sur un prochain raccommodement: il en

lui un

était si convaincu, qu'il en écrivit avec pleine assurance à tous ses amis. C'était pour coup de maître et un inestimable avantage, après la vie pénible et vagabonde qu'il avait menée, de rentrer au sein de sa famille et de vivre réuni à sa femme, à la tête de sa maison: mais nous ne tarderons pas à voir qu'ici sa logique fut en défaut, que l'événement trompa ses désirs, et que toutes ses tentatives n'aboutirent qu'à un long et scandaleux procès qu'il perdit.

D'autres soins moins importants, mais plus chers à son cœur, partageaient ses moments au milieu de ces sérieuses occupations: Sophie était toujours l'objet de sa pensée ; il était plein de ses traits, et le tracas des affaires n'en avait point encore affaibli l'impression. Il aurait désiré avoir la permission de correspondre librement avec elle; mais nous avons vu que cette liberté lui fut refusée, et qu'il fut ainsi réduit à une correspondance clandestine et gênée. On alla plus loin encore; comme on soupçonnait que, malgré la défense, il écrivait à Sophie et en recevait des lettres, ses parents et ses amis, qui s'intéressaient à son raccommodement avec sa femme, lui signifièrent qu'il fallait qu'il renonçât de bonne foi à toute relation suspecte avec madame de Monnier, et qu'à la moindre preuve d'une conduite

différente on cesserait de le servir et de travailler au bien de ses affaires.

Il mit donc la plus grande réserve dans ses rapports épistolaires avec Sophie'; il n'y employait que des voies sûres et détournées : mais cette gêne n'influa en rien sur l'intérêt qu'il prenait au sort de son amie dans les arrangements de famille ou judiciaires qui devaient résulter de ce qu'il préparait. Il l'instruisait de ses espérances et des avantages qu'il comptait lui assurer pour son état et son indépendance. Mais Sophie était trop spirituelle, trop résignée, pour fonder quelque espoir de bonheur sur des chances aussi incertaines. D'ailleurs, Mirabeau, lancé désormais au milieu des procès, des sollicitations de famille, des agitations du monde, pourraitil long-temps faire d'elle l'objet d'un attachement exclusif et de toutes ses pensées? Dans la position gênée, surveillée où elle se trouvait, pouvait-elle espérer de le voir? et quand elle l'aurait pu, qu'attendre d'une liaison traversée par tant d'incidents, et qui dorénavant ne pourrait avoir le caractère que d'une intrigue commune et déshonorante? Son coeur et son âme

1 Elle était toujours au couvent des dames de SainteClaire de Gien.

étaient donc dans une souffrance habituelle: le chagrin et l'abandon d'espérances qui avaient fait le charme de ses rêveries la consumaient dans sa retraite; le passé la pénétrait de douleur, l'avenir de crainte et d'anxiété. Tel était l'état de cette femme, que tant de qualités devaient mettre à l'abri d'un sort aussi rigoureux.

Si Mirabeau ne put lui tenir parole sur toutes les promesses qu'il lui avait faites, au moins soutint-il ses droits civils jusqu'à la fin, et nous le verrons, dans la transaction sur le procès de Pontarlier, exiger pour Sophie les avantages qu'elle pouvait, dans son état, espérer comme épouse du marquis de Monnier.

Pendant les deux à trois mois à peu près que Mirabeau resta encore au château de Vincennes après sa sortie du donjon, il donna beaucoup de temps à ses travaux littéraires : il y recourait toujours comme à un moyen de se procurer de l'argent, et de donner de lui une idée avantageuse. Il substitua M. de Vitry, un de ses amis, employé aux affaires étrangères, à M. Boucher pour le placement des ouvrages qu'il avait à faire imprimer, et pour d'autres services de confiance. Il trouvait sans doute sa convenance à ce changement; mais on n'apprendra pas sans humeur que, dès son début dans le monde, il ait parlé de M. Bou

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