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rieures, il semble, au premier aspect, que l'imitation de la nature, dans l'invention des signes, aurait dû imprimer primitivement à toutes les langues un caractère général et permanent de ressemblance qui témoignât de leur origine commune. Mais les objets ont des propriétés distinctes et ne s'offrent pas à tous les hommes sous les mêmes aspects et dans les mêmes "conditions; leurs qualités diffèrent selon les lieux, et présentent des caractères plus ou moins frappants selon les dispositions naturelles ou les habitudes des peuples. Turgot (1) fait observer que les métaphores ont dû être empruntées à des objets différents, selon les circonstances au milieu desquelles se trouvaient les hommes; qu'elles ont dû varier selon qu'un peuple était chasseur, pasteur ou laboureur, et suivant le spectacle que le pays déployait à ses yeux. De même dans l'invention des mots, telle qualité qui n'a pas arrêté l'attention d'un Français a pu frapper celle d'un Chinois. La différence de l'organisation corporelle, des goûts, des sentiments, des habitudes, des associations d'idées, du développement intellectuel, et surtout la libre initiative de la volonté, suffisent pour rendre compte de la différence des signes du langage. La diversité et la complication des éléments qui ont présidé à la formation des signes font que

(1) Voy. M. Garnier, Traité des facultés de l'âme, vol. II, P. 478.

souvent le rapport du signe à la chose nous échappe, mais nous ne devons pas moins admettre pour principe, avec M. Renan, que l'homme, en donnant dès noms aux objets, a obéi à une faculté naturelle et s'est toujours laissé conduire par des raisons tirées des objets eux-mêmes.

Et en effet, après les modifications successives et les métamorphoses que la plupart des signes du langage ont dû subir, en traversant les siècles, les climats, les révolutions, et surtout le labyrinthe de la pensée humaine, il n'est guère possible de remonter jusqu'aux traces sensibles de l'imitation primitive. Mais l'observation et l'expérience nous montrent que lorsque les objets extérieurs s'offrent à l'homme avec des caractères saillants que ses aptitudes intellectuelles et physiques lui permettent de représenter, il les prend aussitôt pour modèles, et s'étudie à en reproduire les images à l'aide de l'organe vocal, des gestes, du dessin, de la peinture et des arts plastiques, c'està-dire par l'application directe du principe de la ressemblance. Nous avons déjà vu que, quand cette application n'a pas son point de départ ou son origine dans la nature externe, elle le trouve dans la volonté et dans la convention des hommes, et que, dans les deux cas, l'esprit suit invariablement la même loi. On verra plus loin, quand nous parlerons, non plus de la formation, mais de l'emploi des signes du langage, comment, dans l'acquisition et la transmis

sion de nos connaissances, nous les attachons, comme des marques ou des étiquettes communes, aux rapports de similitude que nous remarquons dans les choses, et qu'ils deviennent ainsi de puissants auxiliaires de la mémoire et de l'enchaînement de nos idées.

Tel est le rôle, tel est le concours du principe de la ressemblance dans la détermination des notions complexes de simultanéité, de cause et d'effet, et du signe à la chose signifiée. Descendons maintenant dans quelques détails, étudions cette loi à l'origine même de ses applications, et signalons l'influence qu'elle exerce sur nos premières associations, lorsque nous prenons connaissance des phénomènes extérieurs par l'intermédiaire de nos organes.

CHAPITRE III.

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Application de la loi de la continuité et de la ressemblance dans la génération des idées sensibles. Sentiment des mouvements. - Action intime et réciproque entre l'âme et Dualité indivisible de l'être animé. — Mouve

le corps.

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Dans un ouvrage d'un rare mérite, publié il y a quelques années à Londres (1), nous trouvons sur ce sujet des explications si détaillées et si lumineuses, qu'elles ne sauraient manquer d'intéresser tout lecteur curieux de s'initier intimement aux procédés que suit l'esprit humain lorsque ses sens le mettent en rapport avec le monde extérieur. Les emprunts que nous allons faire à l'éminent auteur sont de nature à confirmer pleinement notre doctrine sur la loi générale qui préside à l'association de nos idées.

M. Bain considère d'abord le phénomène de l'association des idées dans son rapport avec la loi de continuité, qu'il regarde comme le fondement de la mémoire, de l'habitude et de toutes nos facultés

(1) The senses and the Intellect, by Al. Bain, London, 1855.

acquises. Nous avons déjà vu, et M. Bain le remarque lui-même dans une autre partie de son ouvrage, que les applications de la loi de contiguïté ou de continuité supposent toujours la loi de la ressemblance. Voici comment il définit ce principe d'association :

Les faits, les sensations, les modifications internes, qui ont lieu simultanément ou dans une succession immédiate, tendent à se développer ensemble, et contractent un tel degré d'adhérence, que, lorsque ensuite l'un de ces états se présente à l'esprit, il y éveille en même temps l'idée des autres.

L'auteur remarque avec raison que, parmi les circonstances et les conditions diverses qui règlent et modifient l'application de ce principe, on doit considérer la répétition comme la plus importante, en ce qu'elle est éminemment propre à produire dans l'esprit la liaison la plus étroite d'une suite d'idées ou d'un groupe d'images. Tels sont, par exemple, les aspects successifs d'une voie publique, que la répétition peut enchaîner entre eux avec une telle force, que la présence ou même l'idée de l'un de ces aspects suffit pour suggérer l'idée des autres. Le degré de répétition nécessaire dépend, entre autres circonstances, de l'aptitude de l'esprit qui en est l'agent.

La répétition a son origine dans l'initiative propre, dans l'impulsion indépendante de la spontanéité ou de la volonté, et se manifeste par les mouvements

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