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longue période du moyen-âge, aucun de leurs disciples ait soumis le phénomène intellectuel de l'association à un examen plus approfondi. Hobbes est le premier qui, dans une analyse nouvelle et lumineuse du travail de la pensée, ait attiré l'attention des philosophes modernes sur l'enchaînement de nos idées; et à ce titre, l'auteur du Léviathan peut être regardé comme le père de cette branche si importante de la psychologie. Après lui vinrent Locke, Hume et Hartley, suivis de toute l'école écossaise; puis Condillac, Maine de Biran, Jouffroy, Herbart, et leurs disciples, dont les travaux jetèrent de nouvelles lumières sur le problême; et la théorie de l'association alla ainsi s'élargissant et s'élevant de plus en plus jusqu'à nos jours, où elle a pris un développement si considérable que quelques-uns des plus profonds métaphysiciens dont notre siècle s'honore, tels que MM. J.-St. Mill, Spencer et Alex. Bain, croient pouvoir ramener à ce principe unique toutes les opérations de l'entendement.

C'est de ce point de vue général que nous considérerons le problême de l'association des idées, et que nous en étudierons les lois. L'observation de la nature sera notre point de départ, et les révélations de l'expérience les fondements de nos conclusions. Nous prendrons à tâche de mettre nos principes en lumière par de nombreux exemples empruntés aux diverses branches du savoir humain; et si, en

dehors de quelques aperçus que nous ne jugeons pas indignes d'examen, notre travail ajoute peu par lui-même aux résultats obtenus par nos devanciers, du moins nous aurons appelé l'attention sur les progrès dont la science psychologique est redevable à leurs patientes recherches, et contribué ainsi, dans la mesure de nos faibles moyens, à ses progrès futurs.

CHAPITRE Ier.

Considérations préliminaires. -Rôle et importance de la loi de la continuité et de la loi de la ressemblance dans la génération et la détermination des idées.

L'étude attentive de la nature extérieure nous montre que toutes les œuvres de la création, et, par conséquent, l'homme lui-même, qui en fait partie, sont soumis à une loi générale, en vertu de laquelle tout change sans cesse (1) sous l'action continuelle et plus ou moins compliquée de causes dont la plupart nous sont inconnues. Les modifications diverses que subissent les choses et que nous subissons nous-mêmes, sont loin de s'offrir toujours à nous sous la forme de phénomènes sensibles. Nous

(1) Ἐκ δὲ δὴ φορᾶς τε καὶ κινήσεως καὶ κράσεως πρὸς ἄλληλα, γίγνεται πάντα ἃ δή φαμεν εἶναι, οὐκ ὀρθῶς προσαγορεύοντες· ἔστι μὲν γὰρ οὐδέποτ ̓ οὐδὲν, αἰεὶ δὲ γίγνεται.

(Plat., Theaet., 153 A.)

Ἐν μεταλλαγᾷ δὲ πάντες ἐντὶ πάντα τὸν χρόνον.

Καὶ τὰ δὴ κἀγὼ χθὲς ἄλλοι καί νυν ἄλλοι τελέθομες.
(Epich. ap. Diog. Laert., III, 12.)

Pour les conséquences de cette perpétuelle métamorphose, au point de vue de la sensation et de la connaissance, voyez le Théétète de Platon.

sommes constitués de manière à ne saisir dans le développement de la loi de continuité, que les phases saillantes des phénomènes, que des unités ou des parties distinctes, accommodées à la nature et à la portée de nos sens et de notre entendement. Il s'en faut de beaucoup que l'esprit humain soit, comme on l'a dit, un microcosme, une sorte de miroir qui reflète fidèlement le monde extérieur. Etant sujet au changement comme tout ce qui l'entoure, il ne saurait trouver en lui-même la représentation et la mesure invariable des choses (1). Mais, outre cette imperfection radicale de notre esprit, la marche ou trop lente, ou trop rapide, de la nature, lui échappe également, ainsi que la complication infinie de ses moyens. Le chêne qui croît sous nos yeux nous paraîtra demain le même qu'aujourd'hui ; et cependant la nature aura continué son œuvre à notre insu, et nous n'arriverons à connaître son action qu'au moyen d'un résultat sensible, c'est-à-dire, quand elle aura produit dans cet arbre, à l'aide de forces et de combinaisons qui nous sont inconnues,

(1) Falso asseritur sensum humanum esse mensuram rerum; quia contra, omnes perceptiones, tam sensus quam mentis, sunt ex analogia hominis, non ex analogia universi. Estque intellectus humanus instar speculi inæqualis ad radios rerum, qui suam naturam naturæ rerum immiscet, eamque distorquet et inficit. '(Bac., Nov. Org., 1. 1, aphor. 41.)

un changement assez considérable pour que l'image de son nouvel état fasse contraste avec le souvenir qui nous est resté du premier. Nous ne voyons pas le mouvement de l'étoile polaire, l'accroissement progressif des phases de la lune, le développement d'une plante, pas plus que nous ne nous apercevons des changements qui s'opèrent continuellement dans notre constitution et dans celle de nos semblables. Il en est de même d'un mouvement trop rapide: nos yeux ne voient pas un boulet qui fend les airs, et notre esprit ne comprend pas des paroles prononcées avec une excessive volubilité.

L'homme ne peut donc voir les choses qu'en gros. Il n'est pas donné à ses facultés de pénétrer et de contrôler les combinaisons infinitésimales de la nature. Il n'aperçoit rien, ne sent rien, ne comprend rien, là où il n'y a point pour lui matière à contraste. Ce que nous appelons phénomène, changement, action, effet, n'est que la manifestation sensible d'un développement continuel dû à mille causes secrètes, et nous ne sommes nous-mêmes que les éclosions passagères de cette loi universelle de la continuité.

Quand les objets se présentent sous des formes discontinues ou sous des caractères suffisamment tranchés, ils tombent alors, du moins par quelquesunes de leurs qualités, dans la sphère de nos moyens de connaître; nous pouvons les comparer entre eux

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