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sans aucune intervention apparente de la volonté ou de la conscience. Il nous répugne de les considérer, avec Reid et Hartley, comme des effets purement mécaniques; et une telle hypothèse tombe d'ellemême dès qu'il est prouvé que le principe de l'association latente suffit pour en rendre compte. Entia non sunt multiplicanda præter necessitatem.

Il semble aussi résulter de ce fait que l'association latente, si rapide et si efficace qu'elle soit dans l'état habituel, est susceptible de se développer et de se perfectionner par la pratique, au point de communiquer aux organes eux-mêmes l'extrême mobilité de son action, et de se produire au dehors par des phénomènes physiques qui soient eux-mêmes insaisissables aux sens. Les mouvements des prestidigitateurs, les tours de passe-passe des escamoteurs deviennent aussi latents pour le spectateur que les modifications mentales dont ils sont l'expression.

CHAPITRE XIII.

De l'association vulgaire.

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Ses causes diverses : l'autorité, l'opinion, le milieu social, l'usage, l'exemple des supérieurs, la mode. Idées accompagnées d'émotions. Digression sur un passage de Cicéron. Influence de la passion, de l'intérêt, et principalement de la vaine gloire, sur l'association des idées.

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Mais quittons la région ténébreuse, the obscure sojourn, de l'association secrète pour rentrer dans le domaine de l'association patente, et pour y observer l'influence qu'exercent sur les idées, l'autorité, les croyances, les opinions, les coutumes, le plaisir et la peine, les affections, les goûts, les modes, et même les actions les moins importantes de la vie.

Nous contractons nos habitudes de penser et d'agir à un âge où nos facultés rationnelles ne sont pas assez développées ni assez sûres d'elles-mêmes pour nous servir de guides; nous nous reposons instinctivement sur la raison d'autrui; nous obéissons à son autorité; nous recevons avec docilité l'enseignement de sa parole et de son exemple; et nous sommes tellement pénétrés de cette influence étrangère que, même quand nous jouissons de la

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plénitude de notre raison, elle se révèle dans la plupart des actes de notre vie en dépit de nos efforts pour y échapper. L'esprit, accoutumé à obéir sans en chercher le motif, ne possède en lui-même aucun critérium de ses jugements, de ses déterminations. Il lui est pénible de soupçonner d'erreur ce qu'il a si longtemps vénéré, et c'est pour lui une sorte de mutilation et de déchirement personnel que de se détacher de ce qui a jeté des racines si profondes dans sa vie intellectuelle et morale. Ponere difficile quæ placere diu. L'adulte ne juge pas plus pour lui-même que l'enfant, et la tyrannie de l'autorité et de l'exemple continue à exercer son empire pendant tout le cours de la vie. (1) De là cette puissance de la coutume et de l'opinion que les philosophes et les poètes ont si souvent condamnée, tout en y sacrifiant comme le commun des hommes.

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Coutume, opinion, reines de notre sort,

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Vous réglez des mortels et la vie et la mort (2).

Il

y a dans toute société, grande ou petite, une

(1) Hamiltons' Logic, v. 1, p. 86.

(2) Regnier. Toute opinion est assez forte pour avoir ses martyrs. (Montaigne.)

L'opinion dispose de toutes choses: elle constitue la beauté, le juste, le bonheur, et c'est tout ce qu'il y a dans le monde. (Pascal, Pensées, 1re partie, art. 6.)

sorte de gravitation des opinions vers un centre commun. De même que toutes les parties du corps sont unies dans un lien sympathique, et forment par leur concours un tout harmonique, il y a dans les membres du corps social une prédisposition puissante à se mettre par la pensée et par l'action à l'unisson des autres. Cette sympathie universelle est la cause principale de l'esprit différent qui domine à des époques diverses, et varie selon les pays, le rang, le sexe et les âges de la vie. C'est elle qui communique à l'enthousiasme politique et religieux, à l'exemple bon ou mauvais, aux caprices de la mode, la vertu de se répandre si facilement et d'exercer une influence si puissante. Les hommes, portés à s'imiter les uns les autres, regardent comme importantes ou sans valeur, comme honorables ou déshonorantes, comme vraies ou fausses, comme bonnes ou mauvaises, les choses que ceux qui les entourent considèrent sous le même point de vue. (1) »

De même que la cire reçoit l'empreinte du sceau, notre jeune âge prend toutes les formes que l'enseignement de ses maîtres lui imprime. Il adopte indifféremment le croissant ou la croix, et nous pouvons écrire avec la même facilité sur cette tablerase le nom de musulman ou de chrétien. Nous déterminons notre croyance en apprenant celle de

(1) Hamilton, ibid.

notre pays, et il ne s'agit plus que de la garder; ce que nous recevons ainsi, nous ne pensons guère plus à le soumettre à l'examen que les enfants leur catéchisme. Nous saisissons avec une avidité aveugle, et nous absorbons indistinctement toute pâture qui nous est offerte; car la foi implicite est une vertu là où l'orthodoxie en est l'objet. Les uns ne prennent point la peine de l'examiner, et les autres redoutent de le faire. C'est ainsi que, semblables à l'ermite, nous pensons que le soleil ne brille que dans notre cellule, et que le monde entier, excepté nous, est plongé dans les ténèbres. Nous croyons que la vérité ne s'étend pas au delà de notre croyance et des doctrines dans lesquelles nous avons été élevés. (1)

‹ Pendant mon séjour à Alep, dit M. W. Newman (2), j'entrai un jour avec un constructeur mahométan dans une discussion religieuse qui fit sur moi une impression durable. Je tenais surtout à le désabuser du préjugé si commun dans son pays que nos Evangiles sont des récits falsifiés de date récente. J'avais beaucoup de difficulté à m'exprimer, mais il m'écoutait avec une grande attention, ce qui m'engagea à redoubler d'efforts. Après avoir attendu patiemment la fin de mon discours: Voici, Mon

(1) Voy. Glanvil., Scepsis scientifica, p. 95. (2) Newman, Phases of failh, p. 32.

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