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de l'allusion, etc. Les artifices de l'art, tels que les arguments et les précautions oratoires, le rang et l'importance qu'on leur assigne, attestent le besoin constant qu'éprouve l'esprit humain de s'appuyer sur le principe de la ressemblance pour introduire l'ordre et la clarté dans l'exposition de ses idées. Sans nous arrêter aux preuves ou arguments formels qui appartiennent au syllogisme, voyons comment l'orateur doit s'y prendre pour parler aux passions. Voulez-vous exciter la passion de l'amour, disent les maîtres de l'art, il faut peindre l'objet avec des qualités agréables et utiles à ceux à qui l'on s'adresse. On inspire l'amour de la campagne, de la liberté, du repos, du travail, de la vertu, lorsqu'on en peint fortement les avantages. On exalte la haine par les moyens opposés à ceux qui produisent l'amour, etc.

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‹ Les ressorts qui produisent l'amour ou la haine servent de même à exciter les passions qui en dépendent, la joie, la compassion, la terreur, l'indignation, la colère, etc. (1) Qui ne voit là un appel aux passions au moyen de l'imitation ou de la ressemblance? Il est à peine besoin de parler des mœurs oratoires: il est évident que, si elles ont quelque efficacité, elles la doivent à la ressemblance réelle ou simulée. Il en est de même de l'induction

(1) M. V. Leclerc, Rhét., p. 48.

et de l'exemple. C'est de la ressemblance que ce dernier argument tire toute sa force, comme le précepte iter per præcepta longum, per exempla breve, y puise toute sa vérité.

Telle est, en effet, la vertu de la ressemblance, que la vérité elle-même ne peut s'en passer, et qu'elle a besoin, pour se faire admettre, d'en revêtir la livrée. Il ne suffit pas que le vrai soit vrai; il faut encore qu'il soit vraisemblable, comme nous l'enseigne la rhétorique, et comme le prouve d'ailleurs l'histoire de maintes découvertes qui n'ont été accueillies avec tant de défaveur et de discrédit que parce que la vraisemblance leur faisait défaut.

Il y a, sans doute, dans la rhétorique, comme dans toutes les branches de l'art ou de la science, des procédés, des combinaisons, des artifices qui ne paraissent point être des applications aussi directes du principe de la ressemblance, où son rôle est moins apparent, et par suite plus difficile à saisir. C'est que la ressemblance varie en intensité selon les rapports plus ou moins nombreux, plus ou moins sensibles et distincts qui rattachent les uns aux autres, dans notre esprit, les phénomènes, les qualités et les existences que lui présente la nature. Il y a une multitude de cas où le fil qui les unit est tellement subtil qu'il ne fait qu'effleurer la sensibilité, n'offre presque aucune prise à la comparaison, et échappe à la détermination précise de notre faculté

de connaître. La ressemblance et son contraire comportent des degrés infinis qui varient selon la nature des objets, la complexité de leurs éléments et les lois de la constitution de notre esprit. Il y a un ordre de choses qui, comme les propriétés des genres naturels, et les uniformités patentes de la nature, présentent à notre intelligence des caractères saillants et fixes, servant pour ainsi dire de points de repère et de jalons à son activité. Il y a, d'un autre côté, des choses et des phénomènes instables, irréguliers, transitoires, qui se montrent rebelles à l'analyse et à la classification, et dont les éléments, bien que divers dans la réalité, semblent se confondre pour nous en une sorte d'unité homogène. L'action de nos facultés intellectuelles est limitée comme celle des sens qui en sont les organes. A une certaine distance, nous ne distinguons plus l'un de l'autre deux objets qui, plus rapprochés de nous, diffèrent considérablement; d'autres sont par euxmêmes imperceptibles, quelque rapprochés qu'on les suppose. De même il existe entre certaines choses ou certains phénomènes des rapports tellement intimes ou tellement compliqués qu'ils se dérobent au contrôle de l'intelligence. Cela se présente surtout dans la sphère des opérations et des affections de l'âme, où le passage d'une modification à l'autre est tellement rapide et fugitif, qu'il ne laisse pas plus de trace dans la mémoire que le sillage du

il

navire ou le vol de l'hirondelle n'en laisse dans les champs mobiles de l'Océan ou de l'air. Aussi n'estpas sans intérêt d'examiner certains phénomènes internes dont les psychologues ne peuvent rendre compte qu'en les attribuant au développement continu d'une force secrète dont les éléments primordiaux ne tomberaient pas dans le domaine de la conscience, avant d'arriver par leur concentration à un état de consistance assez efficace pour provoquer la sensibilité, arrêter l'attention, et constituer ainsi le primum cognitum (1), ou la première assise de l'édifice de nos connaissances. S'il était permis d'appliquer la langue des chimistes à un ordre de phénomènes où l'expérience trouve si difficilement accès, on pourrait dire que ces éléments infinitésimaux sont comme les parties intégrantes de nos perceptions, et celles-ci les parties constituantes de notre savoir.

(1) Les premiers principes de nos connaissances, dit Aristote, sont nécessairement incompréhensibles; car s'ils ne l'étaient, il faudrait qu'ils fussent compris dans quelque notion plus élevée ; et celle-ci ensuite, si elle n'est pas ellemême incompréhensible, doit être aussi renfermée dans une notion encore plus élevée, et ainsi à l'infini, ce qui est absurde. (Métaph., 1. III, ch. 4.)

CHAPITRE XII.

De l'association latente.

La vertu mystérieuse dont nous venons de parler a reçu des psychologues modernes le nom d'association latente. Cette élaboration secrète de l'intelligence n'avait pas échappé à l'observation profonde de Leibnitz. Il y a, dit-il, mille marques qui font juger qu'il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception, sans réflexion; c'est-à-dire des changements dans l'âme même, dont nous ne nous apercevons pas, parce que ces impressions sont ou trop petites ou en trop grand nombre, ou trop unies, en sorte qu'elles n'ont rien d'assez distinguant à part; mais jointes à d'autres, elles ne laissent pas de se faire sentir dans l'assemblage, au moins confusément. Toute attention demande de la mémoire, et, quand nous ne sommes pas avertis, pour ainsi dire, de prendre garde à quelques-unes de nos perceptions présentes, nous les laissons passer sans réflexion, et même sans les remarquer; mais si quelqu'un nous avertit

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