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que, parvenu au dernier anneau de la chaîne des universaux, il s'élançait au delà des limites naturelles de la raison humaine, où il voyait encore des types chimériques à travers le mirage de ses illusions (1).

La loi de la ressemblance intervient jusque dans la doctrine leibnitzienne de la raison suffisante, ce quid inconcussum, qu'on appelle plus simplement la raison des choses, et que bien des philosophes regardent comme le critérium absolu de la certitude. « Le grand principe des mathématiques, dit Leibnitz, est le principe de la contradiction ou de l'identité, c'est-à-dire qu'une énonciation ne saurait être vraie et fausse en même temps, et qu'ainsi A est A et ne saurait être non A. Et ce seul principe suffit pour démontrer toute l'arithmétique et toute la géométrie, c'est-à-dire tous les principes mathématiques. Mais pour passer de la mathématique à la physique, il faut encore un autre principe, qui est celui de la raison suffisante; c'est que rien n'arrive sans qu'il y ait une raison pourquoi cela arrive ainsi plutôt qu'autrement. C'est pourquoi Archimède, en voulant passer de la mathématique à la physique dans son livre de l'équilibre, a été obligé d'employer un cas particulier du grand principe de la raison suffisante. Il prend pour accordé que s'il

(1) Cf. Whately's Logic, p. 63.

y a une balance où tout soit de même de part et d'autre, et si l'on suspend ainsi des poids égaux de part et d'autre aux deux extrêmités de cette balance, le tout demeurera en suspens. C'est parce qu'il n'y a aucune raison pourquoi un côté descende plutôt que l'autre (1).

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L'intervention nécessaire du principe de similitude se manifeste suffisamment ici par les expressions où tout soit de même de part et d'autre, des poids égaux de part et d'autre. C'est qu'en effet l'esprit n'a plus rien à chercher, que son activité est sans objet, quand il se trouve en face de la ressemblance parfaite des choses, qui se présentent à lui sous une forme unique et se confondent nécessairement dans un même type idéal. De plus, il est ici question d'un phénomène physique où l'identité de deux causes ou de deux forces, agissant en sens contraires, et se détruisant l'une l'autre, est évidente. La raison suffisante n'est autre chose qu'un rapport de similitude parfaite, d'identité subjective, et l'intuition de ce rapport constitue le dernier degré d'évidence et de vérité humaine.

(1) Réplique au premier écrit de M. Clarke, dans la Correspondance de Leibnitz et de Clarke, t. 1er, p. 13 de l'édit. de Demaizeaux.

CHAPITRE XI.

De la ressemblance dans la construction et dans la signification des formes du langage. Rôle de la ressemblance dans la rhétorique.

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De même que la loi de la ressemblance préside à la généralisation des idées et constitue la signification des termes qui les expriment, nous trouvons aussi une application constante de ce principe dans la formation des signes, dans les uniformités de construction et dans les inflexions symétriques qu'affectent les parties du langage qui correspondent aux formes générales et aux tendances instinctives de l'esprit humain. Les règles grammaticales ne sont que des uniformités de ce genre, que des applications de la loi de la ressemblance. Ainsi, dans certains idiomes, les noms forment leur pluriel par l'addition de la lettres ; ainsi les verbes se conjuguent sur tel ou tel modèle. A un mot composé de tel ou tel élément, de telle ou telle manière, ayant telle ou telle désinence, s'attache telle signification générale, etc. Toutefois des causes et des accidents divers viennent trop souvent détourner de son objet et morceler en

quelque sorte cette tendance naturelle de l'esprit, et il est regrettable que la tyrannie de l'usage, en consacrant toutes les innovations anormales, n'ait pas permis jusqu'ici de subordonner les règles grammaticales à une généralisation plus étendue et plus favorable à la prompte acquisition des langues. On eût ainsi fait disparaître sinon en totalité (car il faut faire sa part à l'imperfection de nos facultés) au moins en grande partie les exceptions souvent très-nombreuses et très-compliquées qui en rendent l'étude si difficile et si longue. Les formules générales qui ne souffrent pas d'exceptions ont cet avantage inappréciable dans l'enseignement de toute science que, la loi de ressemblance une fois signalée dans un cas, l'esprit l'applique sans travail à mille autres, et par ce procédé naturel multiplie indéfiniment ses connaissances. Quand un enfant s'est familiarisé avec les formes d'un verbe régulier, il connaît tous ceux qui se conjuguent sur le même modèle ; il applique avec la même facilité toute règle générale. Les exceptions sont pour lui autant de contradictions et d'entraves stériles, et, si elles se multiplient et se compliquent, il s'y perd et se décourage.

Les études qu'on a coutume de faire sur les langues se bornent presque exclusivement à des recherches d'antiquaires et à de vagues dissertations sur les phases du développement intellectuel, moral

et esthétique qu'elles révèlent chez les peuples qui les ont parlées. La philosophie et la science semblent n'avoir rien autre chose à y voir: elles les acceptent et s'en servent avec toutes les irrégularités, toutes les superfétations qu'y ont introduites le hasard des circonstances et les caprices de l'arbitraire. On dirait qu'elles n'ont accès dans le domaine des langues que pour y constater et enregistrer les bizarreries de l'usage, et qu'elles ont abdiqué tout droit d'exercer sur lui le moindre contrôle.

Mais, bien que la formation des langues paraisse due exclusivement au hasard, et qu'elles se soient toujours développées en dehors de toute direction scientifique, il est loin d'être démontré que la phi- ́ losophie soit impuissante à remédier aux vices inhérents à la construction et à la combinaison des signes, que la logique ne puisse imposer certaine limite à l'empire de l'arbitraire, certain frein aux fantaisies de l'imagination, aux mouvements désordonnés de la pensée, et par là concourir pour sa part à une organisation plus simple, à un développement plus régulier du langage.

Nous ne prétendons pas qu'on parvienne jamais à enchaîner la spontanéité et l'initiative de l'esprit humain à un ensemble systématique de signes et de formules générales, ni à réaliser les projets d'une caractéristique universelle, tels que les ont conçus Wilkins, Dolgarno, Leibnitz et d'autres; mais nous

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