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qu'elles provoquent en nous. Que je touche un objet sphérique, une orange, par exemple, l'attraction seule de la ressemblance peut porter ma pensée non-seulement sur une autre orange, mais sur un objet sphérique quelconque, sur une balle à jouer, un boulet de canon, etc. Ceux-ci, indépendamment de leur rapport avec l'orange, ont des qualités, des propriétés et même des accidents communs à d'autres objets, lesquels à leur tour en ont avec d'autres, et ainsi de suite à l'infini; de sorte que l'esprit peut passer en un clin-d'œil, du toucher ou même de l'odeur d'une orange, à l'idée de la poudre à canon, de la force de la vapeur et des mille circonstances qui s'y rattachent. Il est évident qu'il en est de même des sensations de l'ouïe et de la vue, ainsi que de toutes les idées ou réminiscences dont elles ont été l'occasion; et c'est dans ce sens, c'est-à-dire dans le sens de l'extension indéfinie et superficielle des concepts, qu'on peut dire avec une certaine apparence de vérité, que tout est dans tout; car, comme il n'y a rien dans la nature ou du moins dans notre pensée qui soit absolument isolé, ou qui ne soit lié à aucun autre objet par quelque trait de ressemblance, ce rapport est pour l'esprit le passage naturel d'une chose à une autre, d'un genre à l'espèce, de l'espèce aux individus, et vice versa; et il peut ainsi, en passant d'un anneau à un autre, monter ou descendre la chaîne immense des existences et des attributs que l'expérience lui a révélés.

Mais ces excursions oiseuses dans le champ illimité des qualités générales des choses, ne laissent dans l'esprit que des idées vagues et flottantes, et sont par là même frappées de stérilité. L'action d'un seul sens, la perception d'un attribut, d'une qualité intrinsèque ou accidentelle commune à plusieurs objets, d'une forme, d'une couleur, du mouvement, de la résistance, etc., n'en donne qu'une notion faible et superficielle, et n'en fait nullement connaitre la nature. Ces traits de ressemblance sont les points de départ, et non le but de l'activité intellectuelle. L'esprit n'arrive à la véritable connaissance des choses que par l'analyse de leurs différentes propriétés, et par la comparaison qu'il en fait avec les données de son expérience. Quelques exemples feront bientôt comprendre plus clairement la nature de ce procédé et ses conséquences inappréciables.

CHAPITRE VIII.

Vertu attractive de la ressemblance dans l'acquisition des sciences naturelles. - Rôle qu'elle joue dans la communication des êtres animés, et spécialement dans les rapports de la société humaine.

Comme la simple vue, ou plutôt la simple perception des ressemblances imparfaites et superficielles, préside aux classifications vulgaires, de même la recherche des ressemblances secrètes et intimes que la nature paraît dérober aux sens et à l'imagination, pour les révéler à l'intelligence et en faire la récompense de ses efforts, conduit aux découvertes et aux classifications scientifiques. Ce n'est pas aux inductions vulgaires et bornées qui ne reposent que sur l'observation d'une ressemblance partielle, que les sciences sont redevables de leurs progrès, mais bien aux généralisations plus étendues qui résultent de l'analyse profonde et de l'identification du plus grand nombre possible des propriétés essentielles des choses (1). L'histoire naturelle nous offre une preuve bien frappante de cette vérité.

(1) « Dès que nous avons reconnu par la comparaison quelque ressemblance, quelque chose qui puisse s'affirmer

Du temps d'Aristote, on définissait les animaux d'après l'élément qu'ils habitaient, une espèce appartenant à la terre, une autre à la mer, et la troisième à l'air, et ce caractère paraissait si naturel qu'il

en commun d'un certain nombre d'objets, nous possédons la base d'une opération inductive. Mais les uniformités ou les conséquences ultérieures où ces uniformités conduisent, peuvent différer considérablement en importance. Si, par exemple, nous nous contentons de comparer des animaux quant à la couleur, et de classer ensemble ceux qui ont cette couleur, nous formons les conceptions générales d'animal blanc, d'animal noir, etc., et ces conceptions sont légitimement formées; et si l'on se proposait d'arriver jusqu'aux causes des couleurs des animaux, cette comparaison serait la préparation convenable et nécessaire d'une telle induction, mais elle ne nous serait d'aucun secours pour nous faire connaître les lois d'aucune autre propriété des animaux. Si au contraire nous les comparons et nous les classons avec Cuvier d'après la structure du squelette, ou avec Blainville, d'après leurs téguments extérieurs, lcs ressemblances et les différences que nous observons alors sont non-seulement d'une grande importance en elles-mêmes; mais elles sont encore des signes de ressemblances et de différences dans plusieurs autres particularités importantes relativement à la structure et au mode de vie des animaux. Si donc nous nous proposons d'étudier leur conformation et leurs habitudes, les conceptions formées par les dernières comparaisons sont beaucoup plus convenables que celles qui ont leur origine dans les premières. » (M. Mill, Log., vol. II, p. 195).

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Voyez ce que dit le même auteur, vol. I, p. 136, sur la différence naturelle qui existe entre les objets de nos classifications.

attirait de prime-abord l'attention de tout le monde. Chacune de ces classes pouvait se subdiviser en groupes inférieurs, d'après des ressemblances plus limitées, de manière que sur la terre on eut des bipèdes, des quadrupèdes, des reptiles, etc., chaque groupe formant l'assemblage d'un certain nombre d'individus ' qui s'offraient à la vue avec certains caractères d'une identité spéciale. De même, dans l'air, la nombreuse tribu des insectes pouvait facilement se distinguer des diverses espèces d'oiseaux. Il n'était pas difficile, même pour l'observateur vulgaire, de former des classes sur de telles données. Mais un examen plus profond a mis en lumière des traits communs de ressemblance qui comportent une généralisation plus étendue et plus féconde que les groupements des anciens. L'identification, ou la classification des oiseaux, se fonde aujourd'hui, non sur leur vol dans l'air, mais sur les propriétés qu'ils possèdent d'engendrer leur progéniture dans un œuf, d'être couverts de plumes, d'avoir le sang chaud, etc. Au lieu de l'ancien groupe des quadrupèdes ou animaux marchant à quatre pattes, nous avons la classe des mammifères, qui comprend les hommes et les quadrupèdes, ainsi qu'un grand nombre des hôtes de la mer et des airs (1). Une

(1) Aujourd'hui les sciences naturelles s'élèvent à des généralisations qui non-seulement embrassent toutes les espèces

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