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tent sous l'influence de certaines associations; elles se dissolvent et s'évanouissent sous l'influence d'associations plus puissantes. Des doctrines, telles que l'idéalisme de Berkeley, la gravitation newtonienne, le dynanisme de Leibnitz et des philosophes modernes, les hypothèses de l'âme dans la plante (1), de la génération spontanée, les nouveaux dogmes religieux, etc., peuvent bien à leur apparition recevoir un mauvais accueil, et même un fort mauvais traitement; elles peuvent d'abord révolter les philosophes comme le vulgaire, en heurtant des opinions profondément enracinées, ou en s'attaquant à de chères illusions; mais qu'elles obtiennent ou non la confirmation des faits, qu'elles se refusent ou non à toute explication logique, qu'on les repousse même ut somnia optantis, non docentis, l'histoire prouve que ces difficultés ne constituent pas un obstacle insurmontable à l'adoption d'hypothèses de ce genre, et que l'incompréhensibilité n'est pas incompatible avec la croyance. L'histoire nous fournit, en effet, des exemples nombreux et frappants d'hypothèses ou de conceptions qui, n'ayant d'autre origine que des apparences sensibles, d'autre fondement que l'élaboration toute subjective à laquelle ces apparences ont donné lieu, se sont pourtant converties par une association constante, en des croyances

(1) Voir la Revue Germanique de mars 1861.

robustes, en une foi agissante, passionnée, exclusive, au point d'opposer, pendant une longue suite de siècles, une résistance presque invincible aux arguments les plus solides de la raison et de l'expérience; et cela est vrai non-seulement des dogmes religieux, mais encore de la philosophie, de l'astronomie, de la physique, de la médecine, de la politique, et de tout ce que nous répudions aujourd'hui comme des erreurs ou des préjugés du temps passé. Toutes ces doctrines trouvent place et créance dans l'esprit humain, et s'y établissent au même titre que la foi aux puissances surnaturelles, tout en s'affranchissant comme elle, en dépit de Leibnitz, de l'autorité infaillible ou du contrôle suprême de ce qu'il appelle la raison suffisante des choses. (1)

Nous avons essayé de mettre en lumière les différents rôles que joue la sensation dans l'association

(1) On a voulu distinguer l'ordre de la foi de l'ordre de raison, bien qu'il soit impossible a priori de les mettre en opposition l'un avec l'autre. Comme la raison est un don de Dieu aussi bien que la foi, leur combat ferait combattre Dieu contre Dieu; et si les objections de la raison contre quelque article de foi sont insolubles, il faut dire que ce prétendu article sera faux et non révêlé; ce sera une chimère de l'esprit humain ; et le triomphe de cette foi pourra être comparé aux feux de joie que l'on fait après avoir été battu. (Leibnitz, Discours sur la conformité de la foi avec la raison.)

des idées en vertu de la double loi de la continuité et de la ressemblance (1); nous allons maintenant considérer le phénomène de l'association comme la manifestation ou l'application spéciale et directe de la loi de la ressemblance proprement dite.

(1) Rappelons ici que l'esprit ne peut concevoir la continuité sans ressemblance, ni la ressemblance sans continuité. Mais il peut analyser cette notion complexe, en abstraire les éléments et les considérer à part, comme font les géomètres quand ils s'occupent d'un angle, d'un triangle ou de l'une des dimensions des corps.

CHAPITRE VI.

Nécessité de la loi de la ressemblance pour l'acquisition de nos connaissances. Sans ressemblance pas de langage, pas de système scientifique. — Distinction des degrés de la ressemblance. Ressemblance parfaite. - Ressemblance partielle. Ambiguité des termes même et semblable.

La loi de contraste implique, comme nous l'avons déjà remarqué, la similitude et la diversité, c'està-dire des rapports qui naissent de la distinction de la différence, qui se complètent l'un l'autre, et dont la perception est nécessaire au sens intime et à l'exercice de notre activité, en même temps qu'elle est le point de départ, l'acte primordial de notre faculté cognitive. C'est la distinction de la différence qui révèle l'âme à elle-même, et qui suscite d'abord en elle les notions rudimentaires des choses qui lui sont étrangères. Hobbes a remarqué que si nous n'éprouvions qu'un mode unique et invariable de sensations ou de sentiments, cette impression se déroberait au regard et au contrôle de la conscience, comme, dans la conception mystique de Pythagore, l'harmonie des sphères célestes échappait au sens de l'ouïe par sa parfaite uniformité. Nous trouvons,

dans notre expérience personnelle, des exemples qui témoignent hautement en faveur de l'opinion du philosophe anglais, et lui prètent tous les caractères de la vérité elle-même. La terre nous emporte dans l'espace avec une rapidité immense; mais l'uniformité du mouvement nous y rend complètement insensibles. C'est ainsi que sur mer nous ne nous apercevons pas du mouvement du navire, tandis que dans une voiture nous en sommes avertis à chaque instant. La raison en est si simple qu'elle paraît sauter aux yeux. C'est le passage alternatif du repos au mouvement et du mouvement au repos qui éveille notre sensibilité. L'un ou l'autre de ces deux états est lui-même sans prise, sans aiguillon sur l'esprit. Nous avons un autre exemple de cette vérité dans la pression atmosphérique sur la surface de notre corps. Il se produit un effet très-puissant sur notre corps; son enveloppe est soumise à une influence identique à celle que provoque la sensation du toucher, et cependant nul indice de ce sentiment ne se manifeste. Diminuez la pression en vous élevant, par exemple, dans un aérostat, la sensibilité se développe aussitôt. Une impression constante et invariable est donc comme non avenue pour l'esprit. S'il existait quelque son unique et continu tombant sur l'oreille depuis le premier jusqu'au dernier instant de la vie, nous y serions tout aussi insensibles que nous le sommes à la pression de l'air, et l'existence

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