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Et pourtant, par la seule logique des idées, par cette muette activité des causes invisibles (“), qui a donné naissance au proverbe italien : Il mondo va da se, tous ces éléments hostiles l'un à l'autre composent une nation forte et disciplinée, de laquelle on peut affirmer avec certitude qu'elle donnera encore au monde un grand exemple. La vertu des institutions libres, bien que mal comprises et mal appliquées, y suffira. La liberté de la presse, elle seule, nous assure aujourd'hui que pas une souffrance, pas une iniquité, ne saurait demeurer longtemps cachée, que pas une idée ne saurait périr : magnifique certitude qui centuple la puissance de notre vie nationale et légitime nos plus hardies espé

rances.

Dans la classe populaire, dans ces régions obscures, inconnues à la plupart d'entre nous, où l'impulsion du gouvernement ne se fait presque plus sentir, où nulle influence de parti ne pé

nètre, une action lente s'opère, inappréciable mais continue; quelque chose s'accomplit, qui, dans l'ordre abstrait des idées, peut se comparer à la mystérieuse migration des peuples. Les idées vont à cette beure invinciblement et invariablement à la liberté, comme jadis les peuples du Nord, attirés par un magnétisme indéfinissable, allaient vers le soleil.

Ceux qui pressentent l'avenir, mais qui s'en effrayent, disent, en se rappelant avec terreur le peuple rude, violent, brutal, qu'on a vu dans nos révolutions sanguinaire et carnassier comme la bête féroce Dieu nous garde de l'invasion des Barbares ! L'image est juste, et je l'accepte. Nos mœurs sont dissolues, nos courages amollis; nous sommeillons dans les délices d'une civilisation énervée. Les Barbares sont à la porte, je me trompe, ils sont dans l'enceinte et je ne

vois point se lever le signe sauveur devant lequel se courbera le fier Sicambre.

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F

Religion, art, poésie, élément féminin, comme parle le grand poëte germanique, pénétrez donc ces masses menaçantes. Heureux du siècle, puissants et riches, si l'amour de la justice ne vous y a point encore conviés, que votre intérêt du moins vous le suggère : allez au peuple; éclaircz le peuple; soulagez, élevez le peuple. Ne faisons à son sujet ni idylles ni bucoliques; ne le poétisons pas, comptons-le. Je ne sais point, pour ma part, d'éloquence plus écrasante que cette muette et inflexible rigueur du chiffre.

XXVI

DES INFLUENCES INDIVIDUELLES DANS LA SOCIÉTÉ

FRANÇAISE

Au sein de la société troublée dans ses profondeurs, quoique paisible à la surface, en dehors des influences de gouvernement et de partis qui se réduisent à peu de chose, engagés comme ils le sont, dans de mauvaises voies, trois missionnaires pacifiques sembleraient appelés, par leur caractère et leur situation, à l'éducation du peuple, cette grande œuvre de la liberté moderne le prêtre, le médecin, la

femme. Le prêtre des campagnes surtout, malgré l'incrédulité des esprits forts de village et les refrains voltairiens qui se chantent au cabaret, malgré sa pauvreté, malgré la discipline sacerdotale qui l'entrave, serait encore en mesure, le jour où il le voudrait sincèrement et où il s'inspirerait d'un esprit plutôt évangélique que catholique, de reprendre sur la population une influence considérable. On peut dire qu'il règne encore, si ce n'est sur les idées, du moins sur les habitudes de la classe laborieuse. Le peuple n'a guère admis jusqu'ici qu'il fût possible de ne pas faire baptiser ses enfants, enterrer ses morts en terre sainte; il regarde la première communion comme un acte officiel aussi indispensable que l'acte de naissance, et préfère encore, après deux révolutions, le mariage religieux au mariage civil. Par le baptême, la première communion, les noces, les funérailles, le prêtre fait acte d'autorité sur les quatre principales époques

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