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terre dans le voisinage; & fut traité en homme qui devait être cardinal un jour.

Comme il n'y a point de maifon dans fon prieuré, il tenait fa cour dans un cabaret du voifinage. Il écrivit une lettre pleine de dignité & de bonté au feigneur de la paroiffe, qui fe mêle de profe & de vers tout comme l'abbé d'Etrée. Il avertiffait ce voifin qu'un jeune homme de fa maison avait ofé chaffer fur les terres du prieuré, qui ont, je crois, cent toifes d'étendue; qu'il accorderait volontiers le droit de chaffe à la feule perfonne du voifin en qualité de littérateur; parce qu'il avait foixante & onze ans, & qu'il était à-peu-près aveugle; mais nul autre ne devait effaroucher le gibier de monfieur le prieur, qui n'a pas plus de gibier que de basse-cour. Le jeune homme qui avait imprudemment tiré à deux ou trois cents pas des terres de l'églife, était un gentilhomme qui ne crut point devoir de réparation. Autre lettre de monfieur le prieur au voifin; pas plus de réponse à cette feconde qu'à la première.

Mon homme part en méditant une noble vengeance. Il va en Picardie chez un feigneur, à la généalogie duquel il travaillait. Un magiftrat confidérable du parlement de Paris était dans le voisinage. M. l'abbé d'Etrée accufe auprès de ce magiftrat celui qui n'avait pas pu lui écrire une lettre;

D'avoir fait un gros livre, un livre abominable,

Un livre à mériter la dernière rigueur,

Dont le traître a le front de le faire l'auteur.

Mifanthrope, acte IV. (n)

(a) Voyez comme du temps de Molière on était auffi méchant que du

nôtre,

Voilà monfieur le prieur qui triomphe, & qui écrit à un intendant de fes Etats: Il eft perdu, il ne s'en relevera pas, fon affaire eft faite. Il fe trompa; mais on a lieu d'efpérer qu'il réuffira mieux une autre fois.

Pauvres gens de lettres, voyez ce que vous vous attirez, foit que vous écriviez, foit que vous n'écriviez pas. Il faut non - feulement faire fon devoir, taliter qualiter, comme dit Rabelais; & dire toujours du bien de monfieur le prieur; mais il faut encore répondre aux lettres qu'il vous écrit. Cette négligence a ulcéré quelquefois plus d'un grand cœur; & vous voyez avec quelle nobleffe un prieur se venge.

Dix-neuvième honnêteté.

L'AUTEUR de l'Hifloire de Charles XII l'avait publiée il y a environ vingt ans, avant que le père Barre donnât fon hiftoire d'Allemagne; cependant le père Barre jugea à propos de fondre dans fon ouvrage presque tout Charles XII, batailles, fiéges, difcours, caractères, bons mots même. Quelques journalistes ayant entendu parler à quelques lecteurs de cette fingulière reffemblance, ne fongeant pas à la date des éditions, & n'ayant pas même lu le père Barre qu'on ne lit guère, ne doutèrent pas que M. de Voltaire n'eût volé le père Barre, ou du moins feignirent de n'en pas douter, appelèrent l'auteur de Charles XII plagiaire; mais c'est une bagatelle qui ne mérite pas d'être relevée. Ces petits menfonges font le profit des folliculaires; il faut que tout le monde

vive.

Vingtième honnêteté.

C'EST encore un fecret admirable que celui de déterrer un poëme manufcrit, qu'on attribue à un auteur auquel on veut donner des marques de fouvenir, & de remplir ce poëme de vers dignes du postillon du cocher de Vertamon; d'y inférer des tirades contre Charlemagne & contre St Louis; d'y introduire au quinzième siècle Calvin & Luther, qui font du feizième; d'y gliffer quelques vers contre des miniftres d'Etat ; & enfin de parler d'amour comme on parle dans un corps-de-garde. Les éditeurs espèrent qu'ils vendront avantageufement ces beaux vers & libelles de taverne, & que l'auteur à qui ils les imputent fera infailliblement perdu à la cour.

Les galans y trouvaient double profit à faire;
Leur bien premièrement, & puis le mal d'autrui.

Vous vous trompez, Meffieurs, on a plus de difcernement à Verfailles & à Paris que vous ne croyez ; & ceux quibus eft equus & pater & res, ne font pas vos dupes. On n'imputera jamais à l'auteur d'Alzire

ces vers.

Chandos fuant & foufflant comme un bœuf,
Cherche du doigt fi Jeanne eft une fille;
Au diable foit, dit-il, la fotte aiguille!
Bientôt le diable emporte l'étui neuf;
Il veut encor fecouer fa guenille. . . . .
Chacun avait fon trot & fon alure,
Chacun piquait à l'envi fa monture, &c.

On a pris la peine de faire environ trois cents vers dans ce goût, & de les attribuer à l'auteur de la Henriade: il y a des vers pour la bonne compagnie, y en a pour la canaille, & cela eft abfolument égal pour quelques libraires de Hollande & d'Avignon.

il

Pour mieux connaître de quoi la basse littérature eft capable, il faut favoir que les auteurs de ces gentillesses ayant manqué leur coup, firent à Liége une nouvelle édition du même ouvrage, dans lequel ils inférèrent les injures qu'ils crurent les plus piquantes contre Mme de Pompadour; ils lui en firent tenir un exemplaire qu'elle jeta au feu; ils lui écrivirent des lettres anonymes, qu'elle renvoya à l'homme qu'ils voulaient perdre. C'eft une grande reffource que celle des lettres anonymes, & fort ufitée chez les ames généreufes qui difent hardiment la vérité: les gueux de la littérature y font fort sujets; & celui qui écrit ces mémoires instructifs, conserve quatre-vingt-quatorze lettres anonymes qu'il a reçues de ces meffieurs.

Vingt-unieme honnêteté.

L'EX-REVEREND père ex-jéfuite Nonotte, auffi amateur de la vérité que Varillas, ou Maimbourg, ou Caveyrac, &c. n'étant pas content apparemment de la portion congrue, mais fuffifante, qu'on donne aux ci-devant frères de la fociété de Jéfus; se mit en tête, il y a quatre ans, de gagner quelque argent, en vendant à un libraire d'Avignon nommé Fez, une critique des œuvres de Voltaire ou attribuées à Voltaire.

Mais Nonolle aimant mieux encore l'argent que la vérité, fit propofer à M. de Voltaire de lui vendre

pour mille écus fon édition; ne doutant pas que M. de Voltaire, craignant un auffi grand adversaire que Nonotte, ne fe hâtât de fe racheter par cette petite fomme, après quoi Nonotte & conforts ne manqueraient pas de faire une nouvelle édition de leur libelle, corrigée & augmentée.

J'ai par malheur pour le petit Nonotte la lettre de Fez en original. Voici la copie mot pour mot.

MONSIEUR,

,, Avant que de mettre en vente un ouvrage qui " vous eft relatif, j'ai cru devoir décemment vous ,, en donner avis. Le titre porte: Erreurs de M. de Voltaire fur les faits hiftoriques, dogmatiques, &c. en , deux volumes in-12, par un auteur anonyme. "En conféquence, je prends la liberté de vous "propofer un parti; le voici. Je vous offre mon ,, édition de quinze cents exemplaires, à 2 liv. en ,, feuille, montant 3000 liv. L'ouvrage eft défiré " universellement. Je vous l'offre, dis-je, cette édition ,, de bon cœur, & je ne la ferai paraître que je n'aie ,, auparavant reçu quelque ordre de votre part. 99 J'ai l'honneur d'être, avec le refpect le plus profond,

Monfieur,

Avignon, 30 avril 1762.

Votre très-humble & très

obéiffant ferviteur, FEZ, imp. lib. à Avignon.

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