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" Voici donc mes lettres fecrètes:
"Si fecrètes que pour lecteur
,, Elles n'ont que leur imprimeur,

,, Et ces meffieurs qui les ont faites. "

Nous voulons bien ne pas dire quel eft le galant homme qui fit imprimer en 1766 à Amsterdam, sous le titre de Genève, les Lettres de M. de Voltaire à fes amis du Parnaffe, avec des notes hiftoriques & critiques. Cet éditeur compte parmi fes amis du Parnaffe, la reine de Suéde, l'électeur Palatin, le roi de Pologne, le roi de Pruffe. Voilà de bons amis intimes & un beau Parnaffe. L'éditeur, non-content de cette extrême impertinence, y ajouta, pour vendre fon livre, la friponnerie dont la Beaumelle avait donné le premier exemple. Il falfifia quelques lettres qui avaient en effet couru, & entr'autres une lettre fur la langue française & l'italienne, écrite en 1761 à M. Tovazi Deodati, dans laquelle ce fauffaire déchire avec la plus platte groffièreté les plus grands feigneurs de France. Heureusement il prêtait fon ftyle à l'auteur, fous le nom duquel il écrivait pour le perdre. Il fait dire à M. de Voltaire que les dames de Verfailles font d'agréables commères, & que Jean-Jacques Rousseau eft leur toutou. C'est ainfi qu'en France nous avons eu de puiffans génies à deux fous la feuille, qui ont fait les lettres de Ninon, de Maintenon, du cardinal Albéroni, de la reine Chriftine, de Mandrin &c. Le plus naturel de ces beaux efprits, (*) était celui quidifait: Je m'occupe à présent à faire des pensées de la Rochefoucauld.

(*) Capron, dentiste très-connu dans fon temps.

D'UN ECRIT PERIODIQUE (*)

INTITULÉ:

NOUVELLE BIBLIOTHEQUE.

Novembre 1740.

MACHIAVEL publia fon Prince environ l'an 1515,

& le dédia à Laurent de Medicis, neveu du pape Léon X. Ce pape, loin de favoir mauvais gré à Machiavel d'avoir réduit en art la méchanceté des hommes, l'engagea à composer d'autres ouvrages.

Adrien VI & Clément VII firent cas du livre. Clément VII accorda à l'auteur un privilége daté du 23 août 1531. Dix papes confécutivement permirent le débit du Prince de Machiavel, tandis que d'excellens livres de morale étaient à l'index. Enfin Clement VIII condamna cet ouvrage dangereux lorfqu'il n'était plus temps, & qu'il y avait prescription.

Il paraît enfin, après plus de deux cents années, une réfutation en forme de cet ouvrage.

M. de Voltaire, éditeur de cette réfutation, nous infinue dans fa préface que l'auteur eft un homme d'un très-haut rang, & dans une très-grande place. Notre emploi de journaliste, confifte à rendre feulement compte au public des ouvrages qui peuvent l'inftruire & lui plaire. Nous ne prétendons pas jeter des regards indifcrets fur ce qu'on croit devoir dérober à nos yeux: mais s'il eft vrai, ce que l'on commence

(*) On a cru que cet article a été envoyé aux journalistes par M. de Voltaire.

à dire, que c'eft un prince qui a fait cet ouvrage, qu'il nous foit permis de remercier le ciel d'avoir infpiré de tels fentimens à un homme chargé du

bonheur des autres hommes.

Nous ne connaiffons aucun livre moral comparable à celui que nous annonçons. La plupart des autres livres peuvent former d'honnêtes citoyens; mais où font les livres qui forment les rois? Depuis le fage Antonin, il n'a paru rien de pareil fur la terre. On apprend ailleurs à régler fes mœurs, à vivre en homme fociable; ici on apprend à régner.

Nous fouhaitons que tous les fouverains & tous les miniftres lifent ce livre, parce que nous fouhaitons le bonheur du genre-humain, fi pourtant la lecture d'un bon livre peut fervir à rendre meilleur, & fi le poifon des cours n'eft pas plus fort que cette nourriture falutaire que nous confeillons

L'avant-propos de l'auteur eft écrit avec cette éloquence vraie que le cœur feul peut donner: en voici un exemple:

,, Combien n'est point déplorable la situation des ,, peuples, lorfqu'ils ont tout à craindre de l'abus du " pouvoir fouverain; lorsque leurs biens font en proie ,, à l'avarice du prince, leur liberté à fes caprices, ,, leur repos à fon ambition, leur fureté à fa perfidie, ,, & leur vie à fes cruautés ! C'eft-là le tableau tragique ,, d'un Etat où règnerait un prince comme Machiavel " prétend le former.

Ne fent-on pas fon cœur ému d'une tendreffe refpectueuse quand on lit ces paroles; & ne prodiguerait-on pas fon fang pour un prince qui penseraitainfi, qui parlerait des fouverains comme particulier, qui ferait pénétré de nos mêmes fentimens,

un

qui élèverait ainfi fa voix avec nous pour détefter la tyrannie?

Ce qui nous a étonnés, c'est ce langage fi pur, cet ufage fi fingulier d'une langue qui n'eft pas, dit-on, celle de l'auteur. Plufieurs morceaux nous ont femblé écrits dans des termes fi énergiques; le mot propre nous a paru fi fouvent employé, & fi fouvent mis à fa place, que nous avons douté quelque temps que l'ouvrage fût d'un étranger. Pour nous en inftruire, nous avons confulté l'éditeur lui-même, & nous avons vu entre fes mains la preuve évidente que ces traits dont nous parlons font en effet de la main refpectable dont nous doutions.

L'Effai de critique fur Machiavel a autant de chapitres que l'ouvrage de cet italien, intitulé le Prince: mais ce n'eft pas une réfutation continuelle: ce font fouvent des réflexions à l'occafion de celles de l'italien; ce font mille exemples tirés de l'histoire ancienne & moderne; c'est un raifonnement fort & fuivi, c'eft par-tout la vertu la plus pure, par-tout la preuve que la meilleure politique eft d'être vertueux.

Une de ces chofes qui nous a le plus frappés, c'est ce que nous avons trouvé au chapitre III.

"Si aujourd'hui parmi les chrétiens il y a moins ,, de révolutions, c'eft que les principes de la faine ,, morale commencent à être plus répandus; les ,, hommes ont plus cultivé leur efprit, ils en font moins féroces; & peut-être eft-ce une obligation ,, qu'on a aux gens de lettres qui ont poli l'Europe. "

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Il femblerait à la première lecture, que c'eft un homme de lettres qui a écrit ce paffage, foit par un intérêt particulier, foit pour le goût, que l'on fent toujours pour fa profeffion, & par ce défir naturel

de la rendre plus recommandable. Il eft pourtant très-certain, & nous en fommes convaincus par le témoignage de nos yeux & par la confrontation la plus fcrupuleufe, que ce n'eft point un homme de lettres, un fimple philofophe qui parle ainfi; c'eft un homme né dans un rang où il eft ordinaire de méprifer les gens de lettres, de les compter pour rien dans l'Etat, d'ignorer même s'ils existent.

Quelle bonté, & quelle magnanimité dans tout le refte de l'ouvrage! comme la vertu qui y règne est indulgente! qu'elle eft éloignée de cette fuperftition pédantefque qui s'effarouche de tout! qu'on fent bien que c'est un homme qui écrit, & non pas un pédagogue qui veut fe mettre au-deffus de l'homme!

Plus d'un prince à la vérité a honoré les fciences par des écrits qui ont paffé à la poftérité. Les Céfars de Julien, ce philofophe couronné, vivront tant qu'il y aura du goût fur la terre; mais ce n'est qu'une fatire ingénieuse. Ses autres écrits feront eftimés des favans, mais la vertu & l'éloquence qui y règnent font employées à foutenir une caufe que nous réprouvons. Henri VIII d'Angleterre écrivit contre Luther; mais on ne lit ni l'un ni l'autre. Jacques I compofa des ouvrages; mais ni fon règne ni fes écrits n'ont eu l'approbation univerfelle. Si nous remontons jufqu'à Jules Cefar, nous avons perdu fa tragédie d'Oedipe, & nous avons fes commentaires ; ils font le bréviaire, dit-on, des moins lus peutgens de guerre, moins lus être qu'eftimés. Après tout, c'eft l'ouvrage d'un ufurpateur, & l'hiftoire des malheurs qu'il a caufés, non moins que des belles actions qu'il a faites; mais il n'y a pas une page dans le livre que nous annonçons,

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