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On n'a rien tiré de la lettre vine, mais la 1x et dernière est la source de deux grands morceaux, l'un sur les prédictions que fournit l'Ecriture pour le temps présent, et l'autre sur le mérite des reliques des saints: « Le SaintEsprit repose invisiblement dans les reliques de ceux qui sont morts, etc. »

Sans nous arrêter à signaler d'innombrables variantes que nous fournissent nos manuscrits, et qui changeraient la face du texte imprimé, il nous suffit d'avoir montré que voilà bien des pages étrangères aux Pensées, et que la critique la plus superficielle doit se faire un devoir de rétablir dans leur forme primitive, c'est-à-dire séparément et sous la forme de lettres intimes et confidentielles, écrites par Pascal à sa sœur et à la duchesse de Roannez, lettres qui, rapprochées de plusieurs autres encore inédites', feraient. paraître dans toute sa grandeur et aussi dans toute sa misère ce personnage extraordinaire, sublime mais sans mesure, ardent et extrême en tout, comme le dit la seule personne qui l'ait bien connu et qui ait osé le juger, une femme de son sang et de son ordre, Jacqueline Pascal, inférieure à sa sœur Gilberte comme femme, mais presque l'égale de son frère par la puissance de l'esprit et de la passion 2.

1. Voyez plus bas Lettres de Pascal.

2. Voyez, dans JACQUELINE PASCAL, ch. iv, p. 235, une lettre de Jacqueline à sa sœur Gilberte, où elle parle de l'humeur bouillante de leur frère. Partout elle le juge avec une indépendance qui n'ôte rien à la tendresse. Dans une autre lettre, en faisant remarquer les progrès que Pascal faisait particulièrement en humilité, en soumission, en défiance, en mépris de soi-même, en désir d'étre anéanti dans l'estime et dans la mémoire des hommes, elle ajoute ces mots significatifs de telle sorte que je ne le connoissois plus. Gilberte, madame Périer quoiqu'elle eût beaucoup d'instruction et d'esprit, et qu'elle fût belle, comme l'avait été Jacqueline, était natu

:

Concluons: il est démontré qu'il faut ôter des Pensées proprement dites et publier à part :

1° De l'édition de Bossut, les trois premiers articles: De l'autorité en matière de philosophie, Réflexions sur la géométrie en général; De l'art de persuader, traités distincts, complets et achevés, et probablement écrits avant les Provinciales; l'article xn, sur la condition des grands, discours tenus au duc de Roannez et rédigés longtemps après par Nicole; l'article x1, sur Epictète et Montaigne, qui est une conversation entre Pascal et Sacy, rédigée par Fontaine; enfin un bon nombre de paragraphes d'autres articles, qui ne sont point de la main de Pascal, et qui sont des propos tenus par lui et recueillis ou par sa sœur Gilberte, ou par sa nièce Marguerite, ou par Port-Royal, ou par d'autres auteurs.

2. De l'édition même de Port-Royal, la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies; les Pensées sur la mort, extraites d'une lettre à madame Périer sur la mort de leur père, ainsi que la plus grande partie des deux chapitres Sur les miracles et Pensées chrétiennes, débris de la correspondance de Pascal avec mademoiselle de Roannez.

Nous croyons donc avoir établi de la manière la plus irréfragable cette proposition, qu'un quart ou peut-être un tiers des Pensées, considérées aujourd'hui comme des fragments du grand ouvrage de Pascal, sont entièrement étrangères à cet ouvrage, à son plan et à son objet, ne se trouvent point dans le manuscrit autographe, et appartiennent à des époques différentes de sa vie; que plusieurs

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rellement douce et humble; elle ne jugeait pas son frère, elle s'était dévouée à son service.

même n'ont jamais été écrites par lui, et ne sont que des échos souvent éloignés et toujours affaiblis de ouï-dire recueillis souvent à un assez long intervalle par des personnes très diverses.

Nous allons maintenant nous renfermer dans les pensées, qui sont communes à nos deux éditions et au manuscrit autographe, et nous démontrerons avec une égale évidence qu'ici, où tout est de la main de Pascal, le grand style de l'incomparable écrivain a été perpétuellement altéré et affaibli, sans que pourtant on soit parvenu à le faire disparaître; tant l'empreinte primitive était vive et ineffaçable!

DEUXIÈME PARTIE.

Dcs altérations de toute espèce qu'ont subies un très grand nombre de

Pensées. Restitution de ces Pensées dans leur forme vraie.

L'édition de Port-Royal contient la plus grande partie des véritables Pensées de Pascal. Plus tard, le père Desmolets en publia un assez bon nombre qu'avait négligées Port-Royal. L'évêque de Montpellier mit au jour la plupart de celles qui se rapportent aux miracles. Condorcet en donna aussi quelques-unes d'un caractère différent. Bossut n'a guère fait autre chose que réunir et fondre ensemble tout ce que lui fournissaient Port-Royal, Desmolets, l'évêque de Montpellier et Condorcet. La part de ces deux derniers dans la publication successive des Pensées de Pascal est si

peu de chose, qu'il est inutile de s'y arrêter. Les extraits du père Desmolets sont en général d'une fidélité irréprochable. Le vrai coupable est donc ici Port-Royal; en effet c'est Port-Royal qui le premier a mis la main sur les Pensées de Pascal, et y a introduit une multitude d'altérations, grandes et petites, que Bossut a scrupuleusement reproduites, qui de Bossut ont passé dans toutes les éditions, et composent aujourd'hui le texte convenu de Pascal. Il n'y a pas un seul éditeur, pas un seul critique qui ait osé soupçonner une main étrangère dans des pages consacrées par une admiration séculaire, et qui pourtant ne ressemblaient pas toujours aux Provinciales. Nous l'avons déjà dit, et nous le répétons: le manuscrit autographe est exposé à tous les regards, à la Bibliothèque royale de Paris, et nul regard n'a daigné s'y arrêter; personne ne l'a consulté, et le texte donné par Port-Royal a traversé toutes les éditions sans exciter aucun autre sentiment que celui d'une vénération superstitieuse. C'est ici la première réclamation pour Pascal contre Port-Royal, pour l'original contre une copie infidèle.

Il faut d'abord faire bien connaître l'esprit qui a dirigé Port-Royal dans la première édition des Pensées.

La Préface de cette édition expose ainsi les différentes manières de publier les fragments laissés par Pascal, et celle qui fut préférée : « La première (manière) qui vint dans l'esprit, et celle qui étoit sans doute la plus facile, étoit de les faire imprimer tout de suite dans le même état où on les avoit trouvées... Une autre manière... étoit d'y travailler auparavant, d'éclaircir les pensées obscures, d'achever celles qui étoient imparfaites, et, en prenant dans tous ces fragments le dessein de M. Pascal, de suppléer en quelque sorte l'ouvrage qu'il en vouloit faire... L'on s'y est arrêté assez longtemps, et l'on avoit en effet

commencé à y travailler. Mais enfin l'on s'est résolu de la rejeter aussi bien que la première... L'on en a choisi une entre deux qui est celle que l'on a suivie dans ce Recueil. L'on a pris seulement, parmi ce grand nombre de pensées, celles qui ont paru les plus claires et les plus achevées, et on les donne telles qu'on les a trouvées sans y rien ajouter ni changer, si ce n'est qu'au lieu qu'elles étoient sans suite, sans liaison et dispersées confusément de côté et d'autre, on les a mises dans quelque sorte d'ordre et réduit sous les mêmes titres celles qui étoient sur les mêmes sujets... >>

Nous ne pouvons guère qu'approuver cette troisième manière de publier les Pensées de Pascal, que Port-Royal déclare avoir préférée et suivie. Il ne reste plus qu'à savoir si elle a été fidèlement pratiquée, et si on n'est pas souvent revenu à la seconde manière à laquelle on s'était arrété d'abord, d'après laquelle on avait commencé à travailler, et qui consistait à éclaircir et achever les pensées obscures et imparfaites et à suppléer Pascal. Ç'avait été l'avis du duc de Roannez, qui eut la principale part à cette édition. Il avait commencé à l'exécuter dans cet esprit et sur ce plan, et il ne s'était arrêté qu'à grand'peine sur le refus de M. et de Mme Périer. La troisième manière, dont parle la préface, n'est qu'une concession faite à M. et à Mme Périer, concession qui coûta beaucoup à celui qui la faisait, sans contenter entièrement ceux à qui elle était faite, et sur laquelle on disputa assez vivement de part et d'autre pendant l'année 1668. Voilà ce qu'établissent des documents authentiques, les uns déjà publiés, les autres encore inédits.

La préface promettait de donner les Pensées telles qu'on les a trouvées « sans y rien ajouter ni changer. » Le Recueil

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