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ecclésiastiques, des évêques même, égarés par la passion de la domination, continueraient à nous prodiguer toutes les calomnies, nous n'en répéterions pas moins: la religion de Jésus-Christ est par elle-même une religion adorable, et la vie de Jésus-Christ est notre meilleur modèle à tous, grands et petits, riches et pauvres, ignorants et savants, ouvriers, paysans, commerçants, législateurs, ministres et rois. Telle est notre profession de foi nous la faisons hautement devant tous les philosophes; mais nous sommes aussi très résolu à défendre inébranlablement la philosophie. Car la philosophie ne nous est pas moins chère que la religion. Elles diffèrent, elles ne sont point opposées. La philosophie, avec ses procédés et son langage scientifique, est presque condamnée à se renfermer dans l'école. La religion, grâce à ses augustes symboles, répand les plus sublimes vérités à travers les peuples. Et qui de nous n'est pas toujours du peuple par mille côtés? Qui de nous, la main sur la conscience, est bien sûr de se pouvoir passer de la sainte discipline du christianisme? Un jour, dans un instant de délire, de prétendus philosophes abolirent parmi nous le culte chrétien; le lendemain, comme l'âme humaine a soif de religion, ces mêmes philosophes furent réduits à inventer le culte de la déesse Raison et la religion des théophilanthropes. Plus tard, d'autres insensés entreprirent de cacher leur honteux athéisme sous cette imitation sacrilége des formes chrétiennes qu'on appelle le saintsimonisme. Impuissantes extravagances qui ont disparu. bien vite, et qui ont laissé debout le christianisme et la philosophie. La philosophie commence avec la raison humaine et ne finira qu'avec elle: elle en est l'expression fidèle, la compagne inséparable et immortelle. Le christianisme durera tant qu'il restera une âme à laquelle la philosophie ne

suffira point. Le christianisme est à sa manière une philosophie populaire et pratique, et la philosophie est le fondement éternel de la vraie religion, celle de l'esprit. C'est donc une folie, c'est un crime de les mettre aux prises et de tourner l'une contre l'autre ces deux puissances diversement nécessaires, qui ne peuvent se détruire, et qui pourraient être si heureusement unies pour la paix du monde et le service du genre humain '.

Selon nous, le vrai courage, la vraie sagesse est d'être tour à tour pour celle des deux qui est attaquée par l'autre. Nous nous adressons à tout homme de bonne foi: qui attaque aujourd'hui et qui est attaqué? Évidemment la philosophie n'attaque point; elle se défend. Voilà pourquoi plus que jamais nous sommes avec elle; et, qu'il nous soit permis de le dire, en évoquant un adversaire tel que Pascal, nous avons assez fait voir que nous sommes peu disposé à reculer devant les autres.

Décembre 1844.

1. Tel est le langage que nous avons toujours tenu, et une conviction toujours croissante nous y attache de jour en jour davantage. Voyez l'Avertissement de la 3e édition des PREMIERS ESSAIS DE PHILOSOPHIE, la fin de la xvie leçon Du Vrai, du Beau et DU BIEN, et particulièrement nos DISCOURS A LA CHAMBRE DES PAIRS POUR LA DÉFENSE DE L'UNIVERSITÉ ET DE LA PHILOSOPHIE.

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DE LA NECESSITÉ

D'UNE NOUVELLE ÉDITION

DES PENSÉES DE PASCAL

RAPPORT A L'ACADÉMIE FRANÇAISE

Lu dans les séances du 1er avril, 1er mai, 1er juin, 1er juillet, 1er août 1842.

Plus d'une fois l'Académie m'a entendu exprimer le vœu que, pour préparer et soutenir son beau travail du dictionnaire historique de la langue française, elle-même se chargeât de donner au public des éditions correctes de nos grands classiques, comme on le fait en Europe depuis deux siècles pour ceux de l'antiquité. Le temps est malheureusement venu de traiter cette seconde antiquité, qu'on appelle le siècle de Louis XIV, avec la même religion que la première, de l'étudier en quelque sorte philologiquement, de rechercher avec une curiosité éclairée les vraies leçons, les leçons authentiques que le temps et la main. d'éditeurs inhabiles ont peu à peu effacées. Quand on compare la première édition de tel grand écrivain du

1. A l'occasion du concours ouvert pour l'éloge de Pascal.

XVIIe siècle avec celles qui en circulent aujourd'hui, on demeure confondu de la différence qui les sépare. Où la pensée dans son jet puissant, une logique sévère, une langue jeune et flexible encore, avaient produit une phrase riche, nombreuse, profondément synthétique, l'analyse, qui décompose sans cesse et réduit tout en poussière, a substitué plusieurs phrases assez mal liées. D'abord on avait cru changer seulement la ponctuation, et au bout d'un siècle il s'est trouvé que les vices de la ponctuation avaient insensiblement passé dans le texte et corrompu le style lui-même. Un mot, quelquefois même un tour, c'està dire ce qui caractérise le plus vivement le génie d'un temps et d'un écrivain, ayant paru moins faciles à saisir au premier coup d'œil, pour épargner un peu d'attention et d'étude, on a ôté les tours les plus vrais, les locutions les plus naturelles, pour mettre en leur place des façons de parler qu'on a crues plus simples, et qui presque toujours s'écartent de la raison ou de la passion. Défendus par le rhythme, les poëtes ont été un peu plus respectés; et pourtant, je n'hésite pas à le dire, il y a bien peu de fables de La Fontaine qui soient demeurées intactes dans les modernes éditions'. Mais pour la prose, ne pouvant faire la même résistance, elle a été traitée sans pitié. Où sont aujourd'hui ces longues et puissantes périodes du Discours de la Méthode, semblables à celle de Cinna et de Polyeucte; qui se déroulaient comme de larges fleuves ou comme des torrents impétueux? On a rompu leur cours, on les a appauvries en les divisant outre mesure. Il appartient à l'Académie française de s'opposer à cette dégradation toujours croissante de nos grands écrivains, et il lui serait glorieux,

1. Il faut en excepter celle de M. Valkenaer.

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