Page images
PDF
EPUB

DES EDITEUR S.

Nous avons raffemblé dans une feule partie les ouvrages de M. de Voltaire qui ont pour objet la métaphyfique, la morale, & la religion.

Le premier, intitulé Traité de métaphysique, n'a jamais été imprimé; il avait été composé pour Mme la marquife du Châtelet, à qui M. de Voltaire l'offrit avec cet envoi :

L'auteur de la métaphyfique

Que l'on apporte à vos genoux, Mérita d'être cuit dans la place publique, Mais il ne brûla que pour vous.

Cet ouvrage eft d'autant plus précieux, que n'ayant point été destiné à l'impreffion, l'auteur a pu dire fa pensée toute entière. Il renferme fes véritables opinions, & non pas feulement celles de fes opinions qu'il croyait pouvoir développer fans fe compromettre.

On y voit qu'il était fortement perfuadé de l'existence d'un être fuprême, & même de l'immortalité de l'ame; mais fans fe diffimuler les difficultés qui s'élèvent contre ces deux

opinions, & qu'aucun philofophe n'a encore complètement réfolues.

La métaphyfique eft la feule partie de la philofophie qui ait été cultivée en Europe dans les fiècles d'ignorance, parce que fa liaison avec les études théologiques, ne permit pas de la négliger; & l'on doit aux fcolastiques la juflice d'avouer que nous avons appris d'eux à employer dans la philofophie des définitions précises, à fuivre une marche régulière, à claffer nos idées, & même à en faire l'analyse, quoique leur méthode pour cette analyse ait été défectueufe. Le fage Locke nous enfeigna la véritable méthode; mais à peine fon ouvrage fut-il connu, que frappés des vérités utiles. qu'il renferme, convaincus par lui des bornes étroites où la nature nous a refferrés, dégoûtés enfin pour jamais de tous les vains systèmes dont il leur avait montré le vide ou l'extravagance, la plupart des philosophes crurent que Locke avait dit tout ce qu'on pouvait savoir; qu'il n'y avait rien de plus à trouver en métaphysique; & qu'il fallait se borner à l'entendre & à l'éclaircir.

Cette opinion devenue prefque générale nous paraît peu fondée. La métaphyfique n'eft que l'application du raifonnement aux faits

que l'obfervation nous fait découvrir en réfléchiffant fur nos fenfations, nos idées, nos fentimens ; & perfonne ne peut supposer que tous ces faits aient été obfervés, analyfés, comparés entre eux. Il ferait même peu philofophique de regarder comme invariables les bornes que Locke a données à l'efprit humain. Il en est de la métaphyfique comme des autres sciences, dont elle ne diffère que par fon objet, & non par fa certitude ou par fa méthode. On peut dire de chacune voilà ce à quoi, dans l'état actuel des lumières, l'efprit humain peut espérer de parvenir; s'il creuse plus avant, il court risque de fe perdre. Mais il ferait téméraire de fixer la limite de ce qui fera poffible un jour.

La manière dont nos paffions naissent, se développent, se changent en véritables habitudes, font exaltées par l'enthousiasme, abandonnent leur objet pour s'attacher à ce qui ne peut être confidéré que comme un moyen ; les effets de cette erreur qui n'eft point seulement perfonnelle, mais qui embraffe quelquefois des fiècles & des nations entières ;

La nature de l'évidence, de la probabilité, & les moyens d'en évaluer les différens degrés dans les différens genres de nos connaissances;

La véritable origine de nos idées morales; le degré de précision dont elles font fufceptibles; les vérités générales & indépendantes de l'opinion qui en résultent; la méthode de tirer de ces vérités des conféquences qui embrassent toute l'étendue de la légiflation & de l'administration politique, fans prefque rien laisser d'arbitraire à décider par des vues d'utilité particulière ou d'intérêt local & paffager;

Les phénomènes de la mémoire & de la liaison des idées, fur lefquels il nous refte encore tant de chofes à découvrir ;

La différence qui fépare par des nuances infiniment petites, l'état de veille, celui de fommeil, le fommeil plus profond des rêves, la méditation même de l'état de veille ordinaire où l'ame eft ouverte aux impreffions des objets extérieurs; les phénomènes que préfentent ces différens états qu'il faut comparer avec ceux d'évanouiffement, d'apoplexie, de mort apparente;

La manière de concilier la fimplicité de l'ame, qui paraît prouvée par le fentiment du moi, avec cette foule de phénomènes qui femblent annoncer qu'elle eft en quelque forte une espèce de résultat de l'organisation, & furtout avec ces expériences fur les animaux, qui

montrent qu'un être coupé en deux, en trois, forme autant d'êtres vivans séparés, à chacun defquels appartient, dès cet instant, un moi diftinct du moi général, qui femblait appartenir à la réunion de toutes ces parties;

Les questions relatives à la liberté, à la nature de nos opérations, questions qu'une analyse plus exacte de nos idées peut réfoudre, en nous apprenant, non à tout expliquer, mais à bien nous entendre, & à diftinguer ce qu'il nous reste à chercher ou ce qu'il faut fe réfoudre à ignorer;

L'examen de la question fi importante de la perfectibilité indéfinie de l'efprit humain, envisagée non-feulement comme la fuite de la perfection des méthodes, de l'étendue toujours croiffante de la maffe des vérités connues, mais comme une perfectibilité vraiment physique;

Les questions enfin qu'on peut fe proposer fur la permanence des ames, fur la fin qu'on croit apercevoir dans l'univers; l'examen de l'espèce de probabilité qu'on peut acquérir fur ces questions dont la folution directe nous échappe, & des moyens de parvenir à ce degré de probabilité ou d'en approcher;

Tous ces objets & bien d'autres encore offrent aux métaphyficiens de grandes recherches à

« PreviousContinue »