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a reçu ce don, nous en dirons autant du finge & de l'éléphant; nous en dirons autant de l'homme, & nous ne lui ferons point de tort.

J'ai lu dans un philofophe que l'homme le plus groffier eft au-deffus du plus ingénieux animal. Je n'en conviens point. On acheterait beaucoup plus cher un éléphant qu'une foule d'imbécilles; mais quand même cela ferait, qu'en pourrait-on conclure? que l'homme a reçu plus de talens du grand être, & rien de plus.

X VI I.

De l'immortalité.

QUE le grand être veuille perfévérer à nous continuer les mêmes dons après notre mort; qu'il puiffe attacher la faculté de penfer à quelque partie de nousmêmes qui fubfiftera encore, à la bonne heure : je ne veux ni l'affirmer, ni le nier: je n'ai de preuve ni pour ni contre. Mais c'eft à celui qui affirme une chose fi étrange à la prouver clairement; & comme jufqu'ici perfonne ne l'a fait, on me permettra de douter.

Quand nous ne fommes plus que cendre, de quoi nous fervirait-il qu'un atome de cette cendre paffât dans quelque créature, revêtu des mêmes facultés dont il aurait joui pendant fa vie? cette perfonne nouvelle ne fera pas plus ma perfonne, cet étranger ne fera pas plus moi que je ne ferai ce chou & ce melon qui fe feront formés de la terre où j'aurai été inhumé.

Pour que je fuffe véritablement immortel, il faudrait que je confervaffe mes organes, ma mémoire, toutes

mes facultés. Ouvrez tous les tombeaux, rassemblez tous les offemens, vous n'y trouverez rien qui vous donne la moindre lueur de cette espérance.

XVIII

De la métempsycofe.

POUR que la métempfycofe pût être admife, il faudrait que quelqu'un de bonne foi fe reffouvînt bien pofitivement qu'il a été autrefois un autre homme. Je ne croirai pas plus que Pythagore a été coq, que je ne crois qu'il a eu une cuiffe d'or.

Quand je vous dis que j'ai des facultés, je ne dis rien que de vrai; quand j'avoue que je ne me fuis point fait ces préfens, cela eft encore d'une vérité évidente; quand je juge qu'une cause intelligente peut feule m'avoir donné l'entendement, je ne dis rien encore que de très-plaufible, rien qui puisse effaroucher la raison : mais fi un charbonnier me dit qu'il a été Cyrus & Hercule, cela m'étonne, & je le prie de m'en donner des preuves convaincantes.

X I X.

Des devoirs de l'homme, quelque fecte qu'on embraffe.

TOUTES les fectes font différentes, mais la morale eft par-tout la même ; c'est de quoi nous fommes convenus fouvent dans nos entretiens avec Cotta & Balbus. Le fentiment de la vertu a été mis par la nature dans

le cœur de l'homme, comme un antidote contre tous les poifons dont il devait être dévoré. Vous favez que Céfar eut un remords quand il fut au bord du Rubicon. Cette voix fecrète qui parle à tous les hommes lui dit qu'il était un mauvais citoyen. Si Cefar, Catilina Marius, Sylla, Cinna, ont repouffé cette voix, Caton, Atticus, Marcellus, Cotta, Balbus, & vous, vous lui avez été dociles.

La connaissance de la vertu reftera toujours fur la terre, foit pour nous confoler quand nous l'embrafferons, foit pour nous accufer quand nous violerons fes lois.

Je vous ai dit fouvent, à Cotta & à vous, que ce qui me frappait le plus d'admiration dans toute l'antiquité était la maxime de Zoroaftre: Dans le doute fi une action eft jufte ou injufle, abfliens-toi.

Voilà la règle de tous les gens de bien; voilà le principe de toute la morale. Ce principe eft l'ame de votre excellent livre des Offices. On n'écrira jamais rien de plus fage, de plus vrai, de plus utile. Déformais ceux qui auront l'ambition d'inftruire les hommes, & de leur donner des préceptes, feront des charlatans s'ils veulent s'élever au-deffus de vous, ou feront tous vos imitateurs.

X X.

Que malgré tous nos crimes, les principes de la vertu font dans le cœur de l'homme.

CES préceptes de la vertu que vous avez enfeignés avec tant d'éloquence, grand Cicéron, font tellement

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gravés dans le cœur humain par les mains de la nature, que les prêtres même d'Egypte, de Syrie, de Chaldée, de Phrygie, & les nôtres, n'ont pu les effacer. En vain ceux d'Egypte ont confacré des crocodiles, des boucs, & des chats, & ont facrifié à leur ignorance, à leur ambition & à leur avarice; en vain les Chaldéens ont eu l'abfurde infolence de lire l'avenir dans les étoiles; en vain tous les Syriens ont abruti la nature humaine par leurs déteftables fuperftitions: les principes de la morale font reftés inébranlables au milieu de tant d'horreurs & de démences. Les prêtres grecs eurent beau facrifier Iphigénie pour avoir du vent; les prêtres de toutes les nations connues ont eu beau immoler des hommes; & c'eft en vain que nous-mêmes, nous Romains qui nous réputions fages, nous avons facrifié

depuis peu deux grecs & deux gaulois, pour expier le 'crime prétendu d'une vestale: malgré les efforts de tant de prêtres pour changer tous les hommes en brutes féroces, les lois portées par l'intelligence fouveraine de la nature, partout violées, n'ont été abrogées nulle part. La voix qui dit à tous les hommes, ne fais point ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît, fera toujours entendue d'un bout de l'univers à l'autre.

Tous les prêtres de toutes les religions font forcés eux-mêmes d'admettre cette maxime; & l'infame Calcas, en affaffinant la fille de fon roi fur l'autel, difait : C'est pour un plus grand bien que je commets ce parricide.

Toute la terre reconnaît donc la néceffité de la vertu. D'où vient cette unanimité, finon de l'intelligence fuprême, finon du grand Demiourgos qui, ne pouvant empêcher le mal, y a porté ce remède éternel & univerfel?

X X I.

Si l'on doit efpérer que les Romains deviendront plus

vertueux.

Nous fommes trop riches, trop puissans, trop ambitieux, pour que la république romaine puiffe renaître. Je fuis perfuadé qu'après Céfar il y aura des temps encore plus funeftes. Les Romains, après avoir été les tyrans des nations, auront toujours des tyrans; mais quand le pouvoir monarchique fera affermi, il faudra bien parmi ces tyrans qu'il fe trouve quelques bons maîtres. Si le peuple eft façonné à l'obéiffance, ils n'auront point d'intérêt d'être méchans; & s'ils lifent vos ouvrages, ils feront vertueux. Je me confole par cette espérance de tous les maux que j'ai vus, & de tous ceux que je prévois.

X X I I.

Si la religion des Romains fubfiftera.

Il y a tant de fectes, tant de religions, dans l'empire romain, qu'il eft probable qu'une d'elles l'emportera un jour fur toutes les autres. Quoique nous ayons un Jupiter maître des dieux & des hommes, que nous appelons le très-puiffant & le très-bon, cependant Homère & d'autres poëtes lui ont attribué tant de fottifes, & le peuple a tant de dieux ridicules, que ceux qui propoferont un feul Dieu pourront bien à la longue chaffer tous les nôtres. Qu'on me donne un platonicien enthoufiafte, & qui foit épris de la gloire d'être chef de parti, je ne défefpère pas qu'il réuffiffe.

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