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elle arrive dans les yeux de tout animal avec les mêmes combinaisons. Il est donc de la plus grande probabilité que le même grand être préfide à la nature entière.

Par quelle fatalité connaiffons-nous toutes les lois du mouvement, toutes les routes de la lumière ordonnées par le grand être dans l'espace immense, toutes les vérités mathématiques propofées à notre entendement, & n'avons-nous pu parvenir encore à nous connaître nous-mêmes ? L'homme a deviné l'attraction (a) dans le fiècle de Trajan; eft-il impoffible de deviner l'ame? il eft bien fûr que nous n'en faurons jamais rien fi nous n'essayons pas. Ofons donc effayer.

I I.

L'ame eft-elle une faculté ?

Il faut commencer par avouer que toutes les qualités que le grand être nous a données, à nous & aux autres animaux, font des qualités occultes.

Comment tout animal fait-il obéir fes membres à fes volontés?

Comment les idées des chofes fe forment-elles dans l'animal par le moyen de fes fens ?

En quoi confifte la mémoire?

(a) On a dit en effet qu'on trouve dans Plutarque quelques expreffions ambiguës dont on pourrait inférer en les tordant, & en les expliquant très-mal, que les lois de Kepler & de Newton étaient alors connues ; mais ce font des chimères de demi-favans qui ne font pas des demijaloux & des demi-impertinens. Ces gens-là font capables de trouver l'invention de l'imprimerie & de la poudre à canon dans Pline & dans Athénée.

D'où viennent ces fympathies & ces antipathies. prodigieufes d'animal à animal? d'où viennent ces propriétés fi différentes dans chaque espèce?

Quel charme invincible attache une hirondelle, une fauvette à fes petits, la force à verfer dans leur gofier la pâture dont elle fe nourrit elle-même? & quelle indifférence, quel oubli fuccèdent tout d'un coup à un amour fi tendre, auffitôt que fes enfans n'ont plus befoin d'elle? tout cela eft qualité occulte pour nous. Toute génération eft, du moins jufqu'à préfent, un mystère très-occulte. Nous ne prétendons pas donner ce mot pour une raison; nous n'expliquons rien, nous difons ce que font les chofes.

Ayant avoué que nous ne favons rien de la manière dont le grand être nous gouverne, & que nous ne pouvons voir le fil avec lequel il dirige tout ce qui fe fait dans nous & hors de nous, que faut-il faire dans l'excès de notre ignorance & de notre curiofité? Nous en tenir à l'expérience bien avérée de tous les hommes & de tous les temps. Cette expérience eft que nous marchons par nos pieds & que nous fentons par tout notre corps, que nous voyons par nos yeux, que nous entendons par nos oreilles, & que nous penfons par notre tête. Ainfi l'a voulu l'éternel fabricateur de toutes chofes.

Qui le premier imagina dans nous un autre être, lequel s'y tient caché, & fait toutes nos opérations fans que nous puiffions jamais nous en apercevoir? Qui fut affez hardi, affez fupérieur au vulgaire pour inventer ce système fublime par lequel nous nous élevons au-deffus de nos fens, au-deffus de nousmêmes ?

Il est très-vraisemblable que cette idée, telle qu'on la conçoit aujourd'hui, ne tomba d'abord tout d'un coup dans la tête de perfonne. Les hommes furent occupés pendant trop de fiècles de leurs befoins & de leurs maux, pour être de grands métaphyficiens.

I I I.

Brachmanes, immortalité des ames.

Si quelque nation antique put prétendre à l'honneur d'avoir inventé ce que nous appelons chez nous une ame, il est à croire que ce fut la cafte des brachmanes fur les bords du Gange; car elle imagina la métempfycofe ; & cette métempfycofe ne peut s'exécuter que par une ame qui change de corps. Le mot même de métempfycofe qui eft grec, & qui ne peut être qu'une traduction d'après une langue orientale fignifie expreffément la migration de l'ame.

Les brachmanes croyaient donc l'existence des ames de temps immémorial.

Leur climat eft fi doux, les fruits délicieux dont on s'y nourrit font fi abondans, les besoins qui occupent ailleurs toute la triste vie des hommes, y font fi rares, que tout y invite au repos, & ce repos à la méditation. Il en eft encore ainfi chez tous les brames defcendans des anciens brachmanes, qui n'ont point corrompu leurs mœurs par la fréquentation des brigands d'Europe que l'avarice a transplantés vers le Gange.

Ce repos & cette méditation, qui furent toujours le partage des brachmanes, leur fit d'abord connaître

l'aftronomie. Ils font les premiers qui calculèrent pour la poftérité les pofitions des planètes vifibles. On leur doit les premiers éphémérides, & ils les compofent encore aujourd'hui avec une facilité prompte qui étonne nos mathématiciens.

C'eft-là ce que ne favent ni nos marchands qui font allés dans l'Inde par le port de Bérénice, ni certains prêtres de Cybèle qui les ont accompagnés. Ces prêtres fe nourriffaient de la chair & du fang des animaux ; & ayant apporté leurs liqueurs enivrantes, par conféquent étant en horreur aux brames, ignorant leur langue, ne pouvant jamais bien l'apprendre, ne pouvant parler avec eux, ne furent pas plus inftruits de la fcience des brames & des anciens brachmanes que les mouffes de leurs vaiffeaux; ils fe bornèrent à mander en Europe que les brames adoraient les furies.

Ce n'était point ainfi que les premiers fages, foit les Zoroaftres, foit les Pythagores, voyagèrent dans l'Inde. Pythagore en rapporta le dogme de l'existence de l'ame & la fable de fes métempfycofes. D'autres philofophes y puifèrent des dogmes plus cachés; & quelques marchands même y apprirent un peu de géométrie, ce qui exigeait néceffairement un long féjour dans l'Inde.

N'entrons point ici dans la difcuffion épineufe des premiers livres des anciens brachmanes, écrits dans leur langue facrée. Nous devons cette connaiffance à deux favans qui ont demeuré trente ans fur les bords du Gange, & qui ont appris cette langue nommée le hanferit. Ils nous ont donné la traduction des paffages

les plus finguliers, les plus fublimes, & les plus intéreffans, de la première théologie des brachmanes, écrite depuis près de quatre mille ans. Ce livre, intitulé le Shafta, eft antérieur au Veidam de quinze cents années. Voici le commencement étonnant de ce Shafta.

L'Eternel, abforbé dans la contemplation de fon effence, réfolut de communiquer quelques rayons de fa félicité à des êtres capables de fentir & de jouir. Ils n'existaient pas encore; DIEU voulut, & ils furent.

Il est bien étrange qu'un monument auffi ancien & auffi refpectable foit à peine connu, qu'on l'ait déterré fi tard, & qu'on y ait fait fi peu d'attention.

DIEU Créa donc des fubftances douées du fentiment; & c'eft ce que nous appelons aujourd'hui des ames. Il les créa par fa volonté, fans employer, fans emprunter la parole. Ces fubftances fentantes, penfantes, agiffantes, ces ames favorites de DIEU, font les Debta dont les Perfans, voifins de l'Inde, firent depuis leurs Gin, leurs Peris ou leurs Feris. Ces Gin, ces Feris, ces ames, ces fubftances céleftes, fe révoltent enfuite contre leur créateur. DIEU pour les punir les précipite dans l'Ondéra, espèce d'enfer, pour des millions de fiècles. C'eft l'origine de la guerre des géans contre le grand Dieu Zeus, tant chantée chez les Grecs. C'est l'origine de ce livre apocryphe qui fe répandit du temps de l'empereur Tibère en Syrie, en Palestine, fous le nom d'Hénoc; feul livre où il foit parlé de la chute des demi-dieux; livre cité, dit - on, dans un livre nouveau écrit chez les Phéniciens.

Dans la fuite des fiècles DIEU pardonne à ces Debta; il les change en vaches & en hommes dans notre globe.

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