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Qu'est-ce que la vérité émanée de l'être suprême? La vérité eft un mot général, abftrait, qui fignifie les chofes vraies. Qu'eft ce qu'une chofe vraie? une chose exiftante ou qui a exifté, & rapportée comme telle. Or, quand je cite cette chofe, je dis vrai : mon intelligence agit conformément à l'intelligence fuprême.

Qu'est-ce que la vertu? un acte de ma volonté qui fait du bien à quelqu'un de mes femblables. Cette volonté eft de DIEU, elle eft conforme alors à fon principe.

Mais le mal phyfique & le mal moral viennent donc auffi de ce grand être, de cette cause universelle de tout effet?

Pour le mal physique, il n'y a pas un seul système, pas une seule religion qui n'en fasse DIEU auteur. Que le mal vienne immédiatement ou médiatement de la première cause, cela eft parfaitement égal. Il n'y a que l'abfurdité du manichéifme qui fauve DIEU de l'imputation du mal; mais une abfurdité ne prouve rien. La cause univerfelle produit les poifons comme les alimens, la douleur comme le plaifir. On ne peut en douter.

Il était donc néceffaire qu'il y eût du mal? Oui, puifqu'il y en a. Tout ce qui exifte eft néceffaire: car quelle raifon y aurait-il de fon existence?

Mais le mal moral, les crimes! Néron, Alexandre VI! Hé bien, la terre eft couverte de crimes comme elle l'eft d'aconit, de ciguë, d'arfenic; cela empêche-t-il qu'il y ait une cause universelle? cette exiftence d'un principe dont tout émane eft démontrée, je fuis fâché des conféquences. Tout le monde dit: Comment fous un Dieu bon y a-t-il tant de fouffrances? Et là-deffus

chacun bâtit un roman métaphyfique; mais aucun de ces romans ne peut nous éclairer fur l'origne des maux, & aucun ne peut ébranler cette grande vérité, que tout émane d'un principe univerfel.

Mais fi notre raison est une portion de la raison univerfelle, fi notre intelligence eft une émanation de l'être fuprême, pourquoi cette raifon ne nous éclaire-t-elle pas fur ce qui nous intéresse de fi près ? pourquoi ceux qui ont découvert toutes les lois du mouvement, & la marche des lunes de Saturne, reftent-ils dans une fi profonde ignorance de la cause de nos maux? C'eft précisément parce que notre raison n'est qu'une très-petite portion de l'intelligence du grand être.

On peut dire hardiment, & fans blafphème, qu'il y a de petites vérités que nous favons auffi-bien que lui; par exemple, que trois eft la moitié de fix, & même que la diagonale d'un quarré partage ce quarré en deux triangles égaux &c. L'être fouverainement intelligent ne peut favoir ces petites vérités ni plus lumineusement, ni plus certainement que nous; mais

il

y a une fuite infinie de vérités, & l'être infini peut feul comprendre cette fuite.

Nous ne pouvons être admis à tous fes fecrets, de même que nous ne pouvons foulever qu'une quantité déterminée de matière.

Demander pourquoi il y a du mal fur la terre, c'est demander pourquoi nous ne vivons pas autant que les chênes.

Notre portion d'intelligence invente des lois de fociété bonnes ou mauvaises, elle fe fait des préjugés ou utiles ou funeftes; nous n'allons guère au-delà. Le

grand

grand être eft fort, mais les émanations font néceffairement faibles. Servons-nous encore de la comparaison du foleil. Ses rayons réunis fondent les métaux ; mais quand vous réuniffez ceux qu'il a dardés fur le difque de la lune, ils n'excitent pas la plus légère chaleur. Nous fommes auffi néceffairement bornés que le grand être eft néceffairement immense.

Voilà tout ce que me montre ce faible rayon de lumière émané dans moi du foleil des efprits. Mais fachant combien ce rayon eft peu de chose, je soumets incontinent cette faible lueur aux clartés fupérieures de ceux qui doivent éclairer mes pas dans les ténèbres de ce monde.

Fin du Commentaire fur Mallebranche.

Philofophie &c. Tome I.

P

Par Soranus médecin de Trajan.

I.

Pour découvrir, ou plutôt pour chercher quelque

faible notion fur ce qu'on eft convenu d'appeler ame il faut d'abord connaître, autant qu'il eft poffible notre corps qui paffe pour être l'enveloppe de cette ame, & pour être dirigé par elle. C'est à la médecine qu'il appartient de connaître le corps humain, puifqu'elle travaille continuellement fur lui.

Si la médecine pouvait être une fcience auffi certaine que la géométrie, elle nous ferait voir tous les refforts de notre être; elle nous dévoilerait notre premier principe auffi clairement qu'elle nous a fait connaître la place & le jeu de nos vifcères.

Mais le plus habile anatomiste, quand il ne peut plus rien difcerner, eft obligé d'arrêter fa main & fa penfée. Il ne peut deviner où commence le mouvement dans le corps humain; il fuit un nerf jusque dans le cervelet où est son origine. Mais cette origine fe perd dans ce cervelet ; & c'eft dans cette fource même où tout aboutit, que tout échappe à nos regards. Nous avons épié l'œuvre de la nature jufqu'au dernier point. où il eft permis à l'homme de pénétrer; mais nous n'avons pu favoir le fecret de DIEU.

Il n'y a point aujourd'hui de médecin à Rome & à Athènes qui ne fache plus d'anatomie qu'Hippocrate; mais il n'y en a pas un feul qui ait jamais pu approcher vers ce premier principe dont nous tenons la vie, le fentiment, & la pensée.

Si nous y étions arrivés, nous ferions des Dieux & nous ne fommes que des aveugles qui marchons à tâtons , pour enfeigner le chemin enfuite à d'autres aveugles.

Notre fcience n'eft donc autre chofe que la fcience des probabilités ; & c'est ce qui fait que de plufieurs médecins appelés auprès d'un malade, celui qui fait le pronoftic le plus avéré par l'événement, est toujours réputé avec justice le plus favant de son art.

La plus grande des probabilités, & la plus reffemblante à une certitude, eft qu'il exifte un être fuprême & puiffant, invifible pour nous, un régulateur de la grande machine, qui a formé l'homme & tous les autres êtres.

Il faut bien que cet être formateur & inconnu existe, puisque ni l'homme, ni aucun animal, ni aucun végétal, n'a pu fe faire foi-même.

Il faut que cette puissance formatrice foit unique; car s'il y en avait deux, ou elles agiraient de concert, ou elles fe contrarieraient. Si elles étaient conformes, c'eft comme s'il n'en exiftait qu'une feule; fi elles étaient oppofées, rien ne ferait uniforme dans la nature : or tout eft uniforme. C'est la même loi du mouvement qui s'exécute dans l'homme, dans tous les animaux, dans tous les êtres: par-tout les leviers agiffent fuivant la règle qui veut que les poids à foulever foient en raifon inverse de la diftance du pouvoir mouvant; & fuivant cette autre loi, que ce qu'on gagne en force, on le perd en temps; & ce qu'on gagne en temps, on le perd en force.

Toute action a fes lois. La lumière eft dardée du foleil & de toute étoile fixe avec la même célérité ;

Pa

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