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Je rencontre à Goa une espèce encore plus fingulière que toutes celles-ci; c'eft un homme vêtu d'une longue foutane noire, & qui fe dit fait pour inftruire les autres. Tous ces différens hommes, me dit-il, que vous voyez font tous nés d'un même père; & de-là il me conte une longue histoire. Mais ce que me dit cet animal, me paraît fort fufpect. Je m'informe fi un nègre & une négreffe, à la laine noire & au nez épaté, font quelquefois des enfans blancs, portant cheveux blonds, & ayant un nez aquilin & des yeux bleus; fi des nations fans barbe font forties des peuples barbus, & fi les blancs & les blanches n'ont jamais produit des peuples jaunes. On me répond que non, que les nègres tranfplantés, par exemple, en Allemagne ne font que des nègres, à moins que les Allemands ne fe chargent de changer l'efpèce, & ainfi du refte. On m'ajoute que jamais homme un peu inftruit n'a avancé que les espèces non-mélangées dégénéraffent, & qu'il n'y a guère que l'abbé Dubos qui ait dit cette fottife dans un livre intitulé: Réflexions fur la peinture & fur la poëfie &c.

Il me femble alors que je fuis afsez bien fondé à croire qu'il en eft des hommes comme des arbres; que les poiriers, les fapins, les chênes, & les abricotiers, ne viennent point d'un même arbre, & que les blancs barbus, les nègres portant laine, les jaunes portant crins, & les hommes fans barbe, ne viennent pas du même homme. (1)

(1) Toutes ces différentes races d'hommes produifent ensemble des individus capables de perpétuer, ce qu'on ne peut pas dire des arbres d'espèce differente; mais y a-t-il eu un temps où il n'exiftait qu'un ou deux individus de chaque espèce? c'eft ce que nous ignorons complètement.

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Nous avons à examiner ce que c'est que la faculté

de penfer dans ces espèces d'homme différentes ; comment lui viennent fes idées, s'il a une ame distincte du corps, fi cette ame eft éternelle, fi elle est libre, fi elle a des vertus & des vices &c. : mais la plupart de ces idées ont une dépendance de l'exiftence ou de la non-existence d'un Dieu. Il faut, je crois, cominencer par fonder l'abyme de ce grand principe. Dépouillons-nous ici plus que jamais de toute paffion & de tout préjugé, & voyons de bonne foi ce que notre raison peut nous apprendre fur cette question: Y a-t-il un Dieu n'y en a-t-il pas?

:

Je remarque d'abord qu'il y a des peuples qui n'ont aucune connaiffance d'un Dieu créateur; ces peuples à la vérité font barbares, & en très-petit nombre mais enfin ce font des hommes; & fi la connaiffance d'un Dieu était néceffaire à la nature humaine, les fauvages hottentots auraient une idée auffi fublime que nous d'un être fuprême. Bien plus, il n'y a aucun enfant chez les peuples policés qui ait dans fa tête la moindre idée d'un Dieu. On la leur imprime avec peine; ils prononcent le mot de Dieu fouvent toute leur vie fans y attacher aucune notion fixe; vous voyez d'ailleurs que les idées de Dieu different autant chez les hommes que leurs religions & leurs lois, fur quoi je ne puis m'empêcher de faire cette réflexion : eft-il poffible que la connaissance

d'un Dieu notre créateur, notre confervateur, notre tout, foit moins néceffaire à l'homme qu'un nez & cinq doigts? tous les hommes naiffent avec un nez & cinq doigts, & aucun ne naît avec la connaiffance de Dieu: que cela foit déplorable ou non, telle eft certainement la condition humaine.

Voyons fi nous acquérons avec le temps la connaiffance d'un Dieu, de inême que nous parvenons aux notions mathématiques & à quelques idées métaphyfiques. Que pouvons-nous mieux faire, dans une recherche fi importante, que de pefer ce qu'on peut dire pour & contre, de nous décider pour ce qui nous paraîtra plus conforme à notre raison?

Sommaire des raifons en faveur de l'exiflence de Dieu.

IL
y a

deux manières de parvenir à la notion d'un être qui préfide à l'univers. La plus naturelle & la plus parfaite pour les capacités communes, eft de confidérer non-feulement l'ordre qui eft dans l'univers, mais la fin à laquelle chaque chofe paraît se rapporter. On a compofé fur cette feule idée beaucoup de gros livres, & tous ces gros livres ensemble ne contiennent rien de plus que cet argument-ci : Quand je vois une montre dont l'aiguille marque les heures, je conclus qu'un être intelligent a arrangé les refforts de cette machine, afin que l'aiguille marquât les heures. Ainfi, quand je vois les refforts du corps humain, je conclus qu'un être intelligent a arrangé ces organes pour être reçus & nourris neuf mois dans la matrice; que les yeux font donnés pour voir, les mains pour prendre &c. Mais de ce feul argument

je ne peux conclure autre chofe, finon qu'il eût probable qu'un être intelligent & fupérieur a préparé & façonné la matière avec habileté; mais je ne peux conclure de cela feul, que cet être ait fait la matière avec rien, & qu'il foit infini en tout fens. J'ai beau chercher dans mon efprit la connexion de ces idées : Il eft probable que je fuis l'ouvrage d'un être plus puiffant que moi, donc cet être exifle de toute éternité, donc il a créé tout, donc il eft infini &c. je ne vois pas la chaîne qui mène droit à cette conclufion; je vois feulement qu'il y a quelque chofe de plus puiffant que moi, & rien de plus.

Le second argument eft plus métaphyfique, moins fait pour être faifi par les efprits groffiers, & conduit à des connaissances bien plus vaftes: en voici le précis.

J'exifte, donc quelque chofe exifte. Si quelque chofe exifte, quelque chofe a donc exifté de toute éternité; car ce qui eft, ou eft par lui-même, ou a reçu fon être d'un autre. S'il eft par lui-même, il eft néceffairement, il a toujours été néceffairement, & c'est Dieu; s'il a reçu fon être d'un autre, & ce fecond d'un troisième, celui dont ce dernier a reçu fon être, doit néceffairement être Dieu. Car vous ne pouvez concevoir qu'un être donne l'être à un autre, s'il n'a le pouvoir de créer; de plus fi vous dites qu'une chofe reçoit, je ne dis pas la forme, mais fon exiftence d'une autre chofe, & celle-là d'une troisième, cette troisième d'une autre encore, & ainfi en remontant jnfqu'à l'infini, vous dites une abfurdité. Car tous ces êtres alors n'auront aucune caufe de leur existence. Pris tous enfemble, ils n'ont aucune cause externe de leur exiftence; pris chacun en

par

foi

particulier, ils n'en ont aucune interne : c'est-à-dire, pris tous enfemble, ils ne doivent leur exiftence à rien; pris chacun en particulier, aucun n'existe même: donc aucun ne peut exifter néceffairement. Je fuis donc réduit à avouer qu'il y a un être qui exifte néceffairement par lui-même de toute éternité, & qui eft l'origine de tous les autres êtres. Delà il fuit effentiellement que cet être eft infini en durée, en immenfité, en puiffance; car qui peut le borner? Mais, me direz-vous, le monde matériel eft précifément cet être que nous cherchons. Examinons de bonne foi fi la chofe eft probable.

Si ce monde matériel eft existant par lui-même d'une néceffité abfolue, c'eft une contradiction dans les termes que de fuppofer que la moindre partie de cet univers puiffe être autrement qu'elle eft, car fi elle eft en ce moment d'une néceffité abfolue, ce mot feul exclut toute autre manière d'être : or, certainement cette table fur laquelle j'écris, cette plume dont je me fers n'ont pas toujours été ce qu'elles font; ces pensées que je trace fur le papier n'exiftaient pas même il y a un moment, donc elles n'exiftent pas néceffairement. Or fi chaque partie n'existe pas d'une néceffité abfolue, il est donc impoffible que le tout existe par lui-même. Je produis du mouvement, donc le mouvement n'exiftait pas auparavant; donc le mouvement n'est pas effentiel à la matière ; donc la matière le reçoit d'ailleurs, donc il y a un Dieu qui le lui donne. De même l'intelligence n'eft pas effentielle à la matière; car un rocher ou du froment ne penfent point. De qui donc les parties de la matière qui penfent & qui fentent auront - elles reçu la

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