Page images
PDF
EPUB

compréhensible, & vous vous êtes accoutumé à cette idée comme vous avez pris l'habitude de dire mouvement, quoiqu'il n'y ait point d'être qui foit mouvement; comme vous préférez tous les mots abftraits, quoiqu'il n'y ait point d'êtres abstraits.

X I.

Examen du principe d'action appelé ame.

IL Y a pourtant un principe d'action dans l'homme. Oui; & il y en a par-tout. Mais ce principe peut-il être autre chofe qu'un reffort, un premier mobile fecret qui fe développe par la volonté toujours agiffante du premier principe auffi puiffant que fecret, auffi démontré qu'invifible, lequel nous avons reconnu être la cause effentielle de toute la nature?

Si vous créez le mouvement, fi vous créez des idées, parce que vous le voulez ; vous êtes Dieu pour ce moment-là; car vous avez tous les attributs de DIEU; volonté, puiffance, création. Or figurez-vous l'abfurdité où vous tombez en vous fefant Dieu.

Il faut que vous choififfiez entre ces deux partis, ou d'être Dieu quand il vous plaît, ou de dépendre continuellement de DIEU. Le premier eft extravagant, le fecond feul eft raisonnable.

S'il y avait dans notre corps un petit dieu nommé ame libre, qui devient fi fouvent un petit diable, il faudrait, ou que ce petit dieu fût créé de toute éternité, ou qu'il fût créé au moment de votre conception, ou qu'il le fût pendant que vous êtes embryon, ou quand vous naiffez, ou quand vous

commencez à fentir. Tous ces partis font également ridicules.

Un petit Dieu fubalterne, inutilement exiftant pendant une éternité paffée, pour defcendre dans un corps qui meurt fouvent en naiffant ; c'eft le comble de la contradiction & de l'impertinence.

Si ce petit dieu-ame eft créé au moment que votre père darde je ne fais quoi dans la matrice de votre mère, voilà le maître de la nature, l'être des êtres occupé continuellement à épier tous les rendez-vous, toujours attentif au moment où un homme prend du plaifir avec une femme, & faififfant ce moment pour envoyer vîte une ame fentante, penfante, dans un cachot, entre un boyau rectum & une veffie. Voilà un petit dieu plaisamment logé ! Quand madame accouche d'un enfant mort, que devient ce dieu-ame qui s'était enfermé entre des excrémens infects & de l'urine? Où s'en retourne-t-il ?

Les mêmes difficultés, les mêmes inconféquences, les mêmes abfurdités ridicules & révoltantes fubfiftent dans tous les autres cas. L'idée d'une ame telle que le vulgaire la conçoit ordinairement fans réfléchir, eft donc ce qu'on a jamais imaginé de plus fot & de plus fou.

Combien plus raisonnable, plus décent, plus refpectueux pour l'être fuprême, plus convenable à notre nature, & par conféquent combien plus vrai n'eft-il pas de dire?

,, Nous fommes des machines produites de tout temps les unes après les autres par l'éternel géo,, mètre; machines faites ainfi que tous les autres ,, animaux, ayant les mêmes organes, les mêmes

befoins, les mêmes plaifirs, les mêmes douleurs; 9 très-fupérieurs à eux tous en beaucoup de chofes, inférieurs en quelques autres; ayant reçu du grand être un principe d'action que nous ne pouvons connaître; recevant tout, ne nous donnant rien; & mille millions de fois plus foumis à lui ❞ que l'argille ne l'eft au potier qui la façonne.,,

Encore une fois, ou l'homme eft un dieu, ou il eft exactement tout ce que je viens de prononcer. (1)

X I I.

Si le principe d'action dans les animaux eft libre.

IL

Y a dans l'homme & dans tout animal un principe d'action comme dans toute machine; & ce premier moteur, ce premier reffort eft néceffairement, éternellement difpofé par le maître, fans quoi tout ferait chaos, fans quoi il n'y aurait point de monde.

Tout animal, ainfi que toute machine, obéit néceffairement, irrévocablement à l'impulfion qui la dirige; cela eft évident, cela eft affez connu. Tout

(1) Le pouvoir d'agir dans un être intelligent eft uniquement la connaisfance acquife par l'expérience que le défir qu'il forme que tel effet exifte, eft conftamment fuivi de l'existence de cet effet. Nous ne pouvons avoir d'autre idée de l'action. Ainfi le raifonnement de M. de Voltaire fe réduit à ceci : Ce que je défire, ce que je veux a lieu d'une manière conftante, mais pour un bien petit nombre de cas ; & même cet ordre eft fouvent interrompu fans que je fache comment. Je dois donc fuppofer qu'il exifte un être dont la volonté est toujours fuivie de l'effet; c'eft la feule idée que je puis avoir d'un agent tout-puiffant, & fi je crois quelquefois être un agent borné, c'eft feulement lorique ma volonté eft d'accord avec celle de cet être fuprême.

[ocr errors][merged small][ocr errors][ocr errors]

animal eft doué d'une volonté, & il faut être fou pour croire qu'un chien qui fuit fon maître n'ait pas la volonté de le fuivre. Il marche après lui irréfiftiblement, oui, fans doute; mais il marche volontairement. Marche-t-il librement? oui, fi rien ne l'empêche ; c'est-à-dire, il peut marcher, il veut marcher, & il marche; ce n'eft pas dans fa volonté qu'eft fa liberté de marcher, mais dans la faculté de marcher à lui donnée. Un roffignol veut faire fon nid, & le construit quand il a trouvé de la mouffe. Il a eu la liberté d'arranger ce berceau ainfi qu'il a eu la liberté de chanter quand il en a eu envie, & qu'il n'a pas été enrhumé. Mais a-t-il eu la liberté d'avoir cette envie, a-t-il voulu vouloir faire fon nid? A-t-il eu cette abfurde liberté d'indifférence que des théologiens ont fait confifter à dire: Je veux ni ne veux pas faire mon nid, cela m'eft abfolument indifférent; mais je vais vouloir faire mon nid uniquement pour le vouloir, & fans y être déterminé par rien, & feulement pour vous prouver que je fuis libre. Telle eft l'absurdité qui a régné dans les écoles. Si le roffignol pouvait parler il dirait à ces docteurs: Je fuis invinciblement déterminé à nicher, je veux nicher, j'en ai le pouvoir & je niche; vous êtes invinciblement déterminés à raifonner mal, vous rempliffez votre deftinée comme moi la mienne.

Nous allons voir fi l'homme peut être libre dans un autre fens.

X II I.

De la liberté de l'homme, & du deflin.

UNE boule qui en pouffe une autre, un chien de chaffe qui court néceffairement & volontairement après un cerf, ce cerf qui franchit un foffé immense avec non moins de néceffité & de volonté; cette biche qui produit une autre biche, laquelle en mettra une autre au monde, tout cela n'est pas plus invinciblement déterminé que nous ne le fommes à tout ce que nous fefons; car fongeons toujours combien il ferait inconféquent, ridicule, abfurde, qu'une partie des chofes fût arrangée, & que l'autre ne le

fût pas.

Tout événement préfent eft né du paffé, & eft père du futur, fans quoi cet univers ferait abfolument un autre univers, comme le dit très-bien Leibnitz, qui a deviné plus jufte en cela que dans fon harmonie préétablie. La chaîne éternelle ne peut être ni rompue, ni mêlée. Le grand être qui la tient néceffairement ne peut la laiffer flotter incertaine, ni la changer: car alors il ne ferait plus l'être néceffaire, l'être immuable, l'être des êtres; il ferait faible, inconftant, capricieux; il démentirait fa nature, il ne ferait plus.

Un deftin inévitable eft donc la loi de toute la nature; & c'est ce qui a été fenti par toute l'antiquité. La crainte d'ôter à l'homme je ne fais quelle fausse liberté, de dépouiller la vertu de fon mérite, & le crime de fon horreur, a quelquefois effrayé des ames Philofophie &c. Tome I. M

« PreviousContinue »