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Ainfi notre dépendance du grand être ne vient point de ce qu'il eft préfent hors du monde, mais de ce qu'il eft préfent dans le monde. Je demande feulement pardon au maître de la nature de l'avoir comparé à un chétif homme pour me mieux faire entendre.

V.

Que tous les ouvrages de l'être éternel font éternels.

LE principe de la nature étant néceffaire & éternel, & fon effence étant d'agir, il a donc agi toujours. Car, encore une fois, s'il n'avait pas été toujours le Dieu agissant, il aurait été toujours le Dieu indolent, le Dieu d'Epicure, le Dieu qui n'eft bon à rien. Cette vérité me paraît démontrée en toute rigueur.

Le monde fon ouvrage, fous quelque forme qu'il paraiffe, eft donc éternel comme lui, de même que la lumière eft auffi ancienne que le foleil, le mouvement auffi ancien que la matière, les alimens auffi anciens. que les animaux; fans quoi le foleil, la matière, les animaux auraient été non feulement des êtres inutiles, mais des êtres de contradiction, des chimères.

Que pourrait-on imaginer en effet de plus contradictoire qu'un être effentiellement agissant qui n'aurait pas agi pendant une éternité; un être formateur qui n'aurait rien formé, & qui n'aurait formé quelques globes que depuis très-peu d'années, fans qu'il parût la moindre raison de les avoir formés plutôt en un temps qu'en un autre? Le principe intelligent ne peut rien faire fans raison; rien ne peut exifter fans une

raifon antécédente & néceffaire. Cette raison antécédente & néceffaire a été éternellement; donc l'univers eft éternel.

Nous ne parlons ici que philofophiquement; il ne nous appartient pas feulement de regarder en face ceux qui parlent par révélation.

V I.

Que l'être éternel, premier principe, a tout arrangé

volontairement.

IL eft clair que cette fuprême intelligence néceffaire, agiffante, a une volonté, & qu'elle a tout arrangé parce qu'elle l'a voulu. Car comment agir & former tout fans vouloir le former? ce ferait être une pure machine, & cette machine fuppoferait un autre premier principe, un autre moteur. Il en faudrait toujours revenir à un premier être intelligent, quel qu'il foit. Nous voulons, nous agiffons, nous formons des machines quand nous le voulons; donc le grand Demiourgos très-puiffant a tout fait parce qu'il l'a

voulu.

Spinofa lui-même reconnaît dans la nature une puiffance intelligente néceffaire. Mais une intelligence deftituée de volonté ferait une chofe abfurde, parce que cette intelligence ne fervirait à rien; elle n'opérerait rien, puifqu'elle ne voudrait rien opérer. Le grand être néceffaire a donc voulu tout ce qu'il a opéré.

J'ai dit tout-à-l'heure qu'il a tout fait néceffairement parce que fi fes ouvrages n'étaient pas néceffaires,

ils feraient inutiles. Mais cette néceffité lui ôterait-elle fa volonté? non, fans doute; je veux néceffairement être heureux; je n'en veux pas moins ce bonheur ; au contraire je le veux avec d'autant plus de force que je le veux invinciblement.

Cette néceffité lui ôte-t-elle fa liberté? point du tout. La liberté ne peut être que le pouvoir d'agir. L'être fuprême étant très-puiffant eft donc le plus libre des êtres.

Voilà donc le grand artifan des chofes reconnu néceffaire, éternel, intelligent, puiffant, voulant, & libre.]

VII.

Que tous les êtres, fans aucune exception, font foumis aux lois éternelles.

QUELS font les effets de ce pouvoir éternel réfidant effentiellement dans la nature? Je n'en vois que de deux efpèces. les infenfibles & les fenfibles.

Cette terre, ces mers, ces planètes, ces foleils paraiffent des êtres admirables, mais brutes, deftitués de toute fenfibilité. Un colimaçon qui veut, qui a quelques perceptions & qui fait l'amour, paraît en cela jouir d'un avantage fupérieur à tout l'éclat des foleils qui illuminent l'efpace.

Mais tous ces êtres font également foumis aux lois éternelles invariables.

Ni le foleil, ni le colimaçon, ni l'huître, ni le chien, ni le finge, ni l'homme, n'ont pu fe donner

rien de ce qu'ils poffèdent, il eft évident qu'ils ont tout reçu.

L'homme & le chien font nés malgré eux d'une mère qui les a mis au monde malgré elle. Tous deux tettent leur mère fans favoir ce qu'ils font, & cela par un mécanisme très-délicat, très-compliqué, dont même très-peu d'hommes acquièrent la connaissance.

Tous deux au bout de quelques temps ont des idées, de la mémoire, une volonté, le chien beaucoup plus tôt, l'homme plus tard.

Si les animaux n'étaient que des pures machines, ce ne ferait qu'une raifon de plus pour ceux qui penfent que l'homme n'est qu'une machine auffi; mais il n'y a plus perfonne aujourd'hui qui n'avoue que les animaux ont des idées, de la mémoire, une mesure d'intelligence, qu'ils perfectionnent leurs connaissances; qu'un chien de chaffe apprend fon métier, qu'un vieux renard eft plus habile qu'un jeune &c.

De qui tiennent-ils toutes ces facultés, finon de la caufe primordiale éternelle, du principe d'action, du grand être qui anime toute la nature?

L'homme a les facultés des animaux beaucoup plus tard qu'eux, mais dans un degré beaucoup plus éminent; peut-il les tenir d'une autre cause?

Il n'a rien que ce que le grand être lui donne. Ce ferait une étrange contradiction, une fingulière abfurdité que tous les aftres, tous les élémens, tous les végétaux, tous les animaux obéiffent fans relâche irréfiftiblement aux lois du grand être, & que l'homme feul pût fe conduire par lui-même.

VIII.

Que l'homme eft effentiellement foumis en tout aux lois éternelles du premier principe.

VOYONS donc cet animal homme avec les yeux de la raison que le grand être nous a donnée.

Qu'est-ce que la première perception qu'il reçoit ? celle de la douleur ; enfuite le plaifir de la nourriture. C'eft-là toute notre vie, douleur & plaifir. D'où nous viennent ces deux refforts qui nous font mouvoir jufqu'au dernier moment, finon de ce premier principe d'action, de ce grand Demiourgos? Certe, ce n'est pas nous qui nous donnons de la douleur; & comment pourrions-nous être la caufe du petit nombre de nos plaifirs? Nous avons dit ailleurs qu'il nous eft impoffible d'inventer une nouvelle forte de plaifir, c'eft-àdire un nouveau fens. Difons ici qu'il nous eft également impoffible d'inventer une nouvelle forte de douleur. Les plus abominables tyrans ne le peuvent pas. Les Juifs, dont le bénédictin Calmet a fait graver les fupplices dans fon dictionnaire, n'ont pu que couper, déchirer, mutiler, tirer, brûler, étouffer, écrafer: tous les tourmens fe réduifent là. Nous ne pouvons donc rien par nous-mêmes, ni en bien ni en mal; nous ne fommes que les inftrumens aveugles de la nature.

Mais je veux penfer & je penfe, dit au hafard la foule des hommes. Arrêtons-nous ici. Quelle a été notre première idée après le fentiment de la douleur? celui de la mammelle que nous avons fucée ; puis le visage de notre nourrice; puis quelques autres faibles objets & quelques befoins ont fait des impreffions.

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