Page images
PDF
EPUB

les véritables mathématiques doivent être les mêmes dans l'étoile Sirius & dans notre petite loge.

Si je porte ma vue ici-bas fur le règne animal, tous les quadrupèdes, & les bipèdes qui n'ont point d'ailes, perpétuent leur espèce par la même copulation, toutes les femelles font vivipares.

Tous les oifeaux femelles pondent des œufs.

Dans toute espèce, chaque genre peuple & fe nourrit uniformément.

Chaque genre de végétal a le même fond de propriétés.

Certes le chêne & le noifetier ne fe font pas entendu pour naître & croître de la même façon, de même que Mars & Saturne n'ont pas été d'intelligence pour obferver les mêmes lois. Il y a donc une intelligence unique, univerfelle, & puiffante, qui agit toujours par des lois invariables.

Perfonne ne doute qu'une fphère armillaire, des payfages, des animaux deffinés, des anatomies en cire colorée, ne foient des ouvrages d'habiles artiftes. Se pourrait-il que les copiftes fuffent d'une intelligence, que les originaux n'en fuffent pas? Cette feule idée me paraît la plus forte démonftration ; & je ne conçois pas comment on peut la combattre.

&

I I.

Du principe d'action néceffaire & éternel.

CE moteur unique eft très-puiffant, puifqu'il dirige une machine fi vafte & fi compliquée. Il est trèsintelligent, puifque le moindre des refforts de cette

machine ne peut être égalé par nous qui fommes intelligens.

Il est un être nécessaire, puisque sans lui la machine n'existerait pas.

Il est éternel, car il ne peut être produit du néant, qui n'étant rien ne peut rien produire; & dès qu'il exifte quelque chofe, il eft démontré que quelque chofe eft de toute éternité. Cette vérité fublime eft devenue triviale. Tel a été de nos jours l'élancement de l'esprit humain, malgré les efforts que nos maîtres d'ignorance ont faits pendant tant de fiècles pour nous abrutir.

I I I.

Quel est ce principe?

Je ne puis me démontrer l'existence du principe d'action, du premier moteur, de l'Etre fuprême, par la fynthèse, comme le docteur Clarke. Si cette méthode pouvait appartenir à l'homme, Clarke était digne peut-être de l'employer; mais l'analyse me paraît plus faite pour nos faibles conceptions. Ce n'eft qu'en remontant le fleuve de l'éternité, que je puis effayer de parvenir à fa fource.

Ayant donc connu par le mouvement qu'il y a un moteur; m'étant prouvé par l'action qu'il y a un principe d'action, je cherche ce que c'eft que ce principe univerfel; & la première chofe que j'entrevois avec une fecrète douleur, mais avec une réfignation entière, c'est qu'étant une partie imperceptible du grand tout,

étant, comme dit Timée, un point entre deux éternités, il me fera impoffible de comprendre ce grand tout & fon maître, qui m'engloutiffent de toutes parts.

Cependant, je me raffure un peu en voyant qu'il m'a été donné de mefurer la diftance des aftres, de connaître le cours & les lois qui les retiennent dans leurs orbites. Je me dis: Peut-être parviendrai-je, en me fervant de bonne foi de ma raifon, jufqu'à trouver quelque lueur de vraisemblance qui m'éclairera dans la profonde nuit de la nature. Et fi ce petit crépuscule que je cherche ne peut m'apparaître, je me consolerai en fentant que mon ignorance est invincible, que des connaissances qui me font interdites, me font trèsfurement inutiles, & que le grand Etre ne me punira pas d'avoir voulu le connaître, & de n'avoir pu y parvenir.

I V.

Où eft le premier principe? Eft-il infini?

Je ne vois point le premier principe moteur & intelligent d'un animal appelé homme, lorfqu'il me démontre une propofition de géométrie, ou lorsqu'il foulève un fardeau. Cependant, je juge invinciblement qu'il y en a un dans lui, tout fubalterne qu'il eft. Je ne puis découvrir fi ce premier principe est dans fon cœur, ou dans fa tête, ou dans fon fang, ou dans tout fon corps. De même, j'ai deviné un premier principe de la nature, j'ai vu qu'il eft impoffible qu'il ne foit pas éternel. Mais où eft-il?

S'il anime toute existence, il est donc dans toute exiftence cela me paraît indubitable. Il eft dans tout ce quieft, comme le mouvement eft dans tout le corps d'un animal, fi on peut fe fervir de cette miférable comparaifon.

Mais, s'il eft dans ce qui exifte, peut-il être dans ce qui n'existe pas? L'univers eft-il infini? on me le dit, mais qui me le prouvera? Je le conçois éternel, parce qu'il ne peut avoir été formé du néant, parce que ce grand principe, rien ne vient de rien, eft auffi vrai que deux & deux font quatre; parce qu'il y a, comme nous avons vu ailleurs, une contradiction abfurde à dire, l'être agiffant a paffé une éternité fans agir; l'être formateur a été éternel fans rien former; l'être néceffaire a été pendant une éternité l'être inutile.

Mais je ne vois aucune raifon pourquoi cet être néceffaire ferait infini. Sa nature me paraît d'être partout où il y a existence ; mais pourquoi, & comment une existence infinie? Newton a démontré le vide qu'on n'avait fait que fuppofer jufqu'à lui. S'il y a du vide dans la nature, le vide peut donc être hors de la nature. Quelle néceffité que les êtres s'étendent à l'infini? que ferait-ce que l'infini en étendue? il ne peut exifter non plus qu'en nombre. Point de nombre, point d'extenfion à laquelle je ne puiffe ajouter. Il me femble qu'en cela le fentiment de Cudworth doit l'emporter fur celui de Clarke.

DIEU eft préfent par-tout, dit Clarke. Oui, fans doute; mais par-tout où il y a quelque chofe, & non pas où il n'y a rien. Etre préfent à rien me paraît une contradiction dans les termes, une abfurdité. Je fuis Philofophie &c. Tome I..

L

forcé d'admettre une éternité, mais je ne fuis pas forcé d'admettre un infini actuel.

Enfin, que m'importe que l'efpace foit un être réel ou une fimple appréhenfion de mon entendement ? Que m'importe que l'être néceffaire, intelligent puiffant, éternel, formateur de tout être, foit dans cet espace imaginaire ou n'y foit pas? en fuis-je moins fon ouvrage? en fuis-je moins dépendant de lui? en eft-il moins mon maître? Je vois ce maître du monde par les yeux de mon intelligence, mais je ne le vois point au-delà du monde.

On difpute encore fi l'espace infini eft un être réel ou non. Je ne veux point affeoir mon jugement fur un fondement auffi équivoque, fur une querelle digne des fcolaftiques; je ne veux point établir le trône de DIEU dans les efpaces imaginaires.

S'il eft permis, encore une fois, de comparer les petites chofes qui nous paraiffent grandes, à ce qui est si grand en effet, imaginons un alguazil de Madrid qui veut perfuader à un caftillan fon voifin que le roi d'Efpagne eft le maître de la mer qui eft au nord de la Californie, & que quiconque en doute eft criminel de lèfe-majefté. Le caftillan lui répond: Je ne fais pas feulement s'il y a une mer au-delà de la Californie. Peu m'importe qu'il y en ait une, pourvu que jaie de quoi vivre à Madrid. Je n'ai pas befoin qu'on découvre cette mer pour être fidelle au roi mon maître fur les bords du Manfanarès. Qu'il y ait, ou non des vaiffeaux au-delà de la baie d'Hudfon, il n'en a pas moins le pouvoir de me commander ici;je fens ma dépendance de lui dans Madrid, parce que je fais qu'il eft le maître de Madrid,

« PreviousContinue »