Page images
PDF
EPUB

XLVII I.

De la paix née de la philofophie.

PUISQUE tous les philofophes avaient des dogmes différens, il est clair que le dogme & la vertu font d'une nature entièrement hétérogène. Qu'ils cruffent ou non que Thétis était la déeffe de la mer, qu'ils fuffent perfuadés ou non de la guerre des géans & de l'âge d'or, de la boîte de Pandore, & de la mort du ferpent Python &c., ces doctrines n'avaient rien de commun avec la morale. C'est une chofe admirable dans l'antiquité que la théogonie n'ait jamais troublé la paix des nations.

XLIX.

Autres queftions.

AH! fi nous pouvions imiter l'antiquité! fi nous fefions enfin à l'égard des difputes théologiques ce que nous avons fait au bout de dix-fept fiècles dans les belles-lettres!

Nous fommes revenus au goût de la faine antiquité, après avoir été plongés dans la barbarie de nos écoles. Jamais les Romains ne furent affez abfurdes pour imaginer qu'on pût perfécuter un homme parce qu'il croyait le vide ou le plein, parce qu'il prétendait que les accidens ne peuvent pas fubfifter fans sujet, parce qu'il expliquait en un fens un paffage d'un auteur, qu'un autre entendait dans un fens contraire.

Nous avons recours tous les jours à la jurifprudence des Romains; & quand nous manquons de lois, ( ce qui nous arrive fi fouvent) nous allons confulter le code & le digefte. Pourquoi ne pas imiter nos maîtres dans leur fage tolérance?

Qu'importe à l'Etat qu'on foit du fentiment des réaux ou des nominaux, qu'on tienne pour Scot ou pour Thomas, pour Ecolampade ou pour Mélandthon, qu'on foit du parti d'un évêque d'Ypres qu'on n'a point lu, ou d'un moine espagnol qu'on a moins lu encore? N'eft-il pas clair que tout cela doit être auffi indifférent au véritable intérêt d'une nation, que de traduire bien ou mal un paffage de Lycophron ou d'Hefiode?

L.

Autres queftions.

y

JE fais que les hommes font quelquefois malades du cerveau. Nous avons eu un musicien qui eft mort fou, parce que fa mufique n'avait pas paru affez bonne. Des gens ont cru avoir un nez de verre; mais s'il en avait d'affez attaqués pour penfer, par exemple, qu'ils ont toujours raison, y aurait-il affez d'ellébore pour une fi étrange maladie?

Et fi ces malades, pour foutenir qu'ils ont toujours raison, menaçaient du dernier fupplice quiconque pense qu'ils peuvent avoir tort, s'ils établiffaient des espions pour découvrir les réfractaires, s'ils décidaient qu'un père fur le témoignage de fon fils, une mère fur celui de fa fille, doit périr dans les flammes &c., ne faudrait-il pas lier ces gens-là, & les traiter comme ceux qui font attaqués de la rage?

L I.

Ignorance.

Vous me demandez à quoi bon tout ce fermon fi l'homme n'eft pas libre? D'abord je ne vous ai point dit que l'homme n'eft pas libre; je vous ai dit que fa liberté confifte dans fon pouvoir d'agir, & non pas dans le pouvoir chimérique de vouloir vouloir. Enfuite je vous dirai que tout étant lié dans la nature, la Providence éternelle me prédeftinait à écrire ces rêveries, & prédeftinait cinq ou fix lecteurs à en faire leur profit, & cinq à fix autres à les dédaigner, & à les laiffer dans la foule immenfe des écrits inutiles.

Si vous me dites que je ne vous ai rien appris, fouvenez-vous que je me fuis annoncé comme un ignorant.

LII.

Autres ignorances.

JE fuis fi ignorant que je ne fais pas même les faits anciens dont on me berce; je crains toujours de me tromper de fept à huit cents années au moins, quand je cherche en quel temps ont vécu ces antiques héros qu'on dit avoir exercé les premiers le vol & le brigandage dans une grande étendue de pays; & ces premiers fages qui adorèrent des étoiles, ou des poiffons, ou des ferpens, ou des morts, ou des êtres fantastiques.

Quel eft celui qui le premier imagina les fix Gahambars, & le pont de Tshinavar, & le Dardaroth, & le lac de Karon? en quel temps vivaient le premier Bacchus, le premier Hercule, le premier Orphée?

Toute l'antiquité eft fi ténébreufe jufqu'à Thucydide & Xenophon, que je suis réduit à ne favoir presque pas un mot de ce qui s'eft paffé fur le globe que j'habite, avant le court espace d'environ trente fiècles; & dans ces trente fiècles encore, que d'obscurités! que d'incertitudes! que de fables!

LII I.

Plus grande ignorance.

MON ignorance me pèse bien davantage, quand je vois que ni moi, ni mes compatriotes, nous ne favons abfolument rien de notre patrie. Ma mère m'a dit que j'étais né fur les bords du Rhin, je le veux croire. J'ai demandé à mon ami le favant Apédeutés, natif de Courlande, s'il avait connaissance des anciens peuples du Nord fes voifins, & de fon malheureux petit pays? Il m'a répondu qu'il n'en avait pas plus de notion que les poiffons de la mer Baltique.

Pour moi, tout ce que je fais de mon pays, c'eft que Céfar dit, il y a environ dix-huit cents ans, que nous étions des brigands, qui étions dans l'usage de facrifier des hommes à je ne fais quels dieux pour obtenir d'eux quelque bonne proie, & que nous n'allions jamais en courfe qu'accompagnés de vieilles forcières qui fefaient ces beaux facrifices.

Tacite, un fiècle après, dit quelques mots de nous, fans nous avoir jamais vus : il nous regarde comme les plus honnêtes gens du monde en comparaifon des Romains; car il affure que quand nous n'avions perfonne à voler, nous paffions les jours & les nuits à nous enivrer de mauvaise bière dans nos cabanes.

Depuis ce temps de notre âge d'or, c'est un vide immenfe jufqu'à l'hiftoire de Charlemagne. Quand je fuis arrivé à ces temps connus, je vois dans Goldstad une charte de Charlemagne datée d'Aix-la-Chapelle; dans laquelle ce favant empereur parle ainfi :

Vous favez que chaffant un jour auprès de cette ville, je trouvai les thermes & le palais que Granus, frère de Néron & d'Agrippa, avait autrefois bâtis.

Ce Granus & cet Agrippa, frère de Néron, me font voir que Charlemagne était auffi ignorant que moi; &

cela foulage.

LIV.

Ignorance ridicule.

L'HISTOIRE de l'Eglife de mon pays ressemble à celle de Granus frère de Néron & d'Agrippa, & eft bien plus merveilleufe. Ce font de petits garçons reffufcités, des dragons pris avec une étole comme des lapins avec un lacet; des hofties qui faignent d'un coup de couteau qu'un juif leur donne; des faints qui courent après leurs têtes quand on les leur a coupées. Une des légendes des plus avérées dans notre hiftoire eccléfiaftique d'Allemagne, eft celle du bienheureux Pierre de Luxembourg qui, dans les deux années 1388 & 89,

« PreviousContinue »