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Des monades &c.

LE même allemand fe reffaifit alors de moi; il m'endoctrina, m'apprit clairement ce que c'est que mon ame. Tout eft compofé de monades dans la nature; votre ame eft une monade; & comme elle a des rapports avec toutes les autres monades du monde, elle a néceffairement des idées de tout ce qui s'y paffe; ces idées font confuses, ce qui eft très-utile ; & votre monade, ainfi que la mienne eft un miroir concentré de cet univers.

Mais ne croyez pas que vous agiffiez en conféquence de vos penfées. Il y a une harmonie préétablie entre la monade de votre ame & toutes les monades de votre corps, de façon que, quand votre ame a une idée, votre corps a une action, fans que l'une foit la fuite de l'autre. Ce font deux pendules qui vont enfemble; ou, fi vous voulez, cela reffemble à un homine qui prêche tandis qu'un autre fait les geftes. Vous concevez aifément qu'il faut que cela foit ainsi dans le meilleur des mondes. Car.... (5)

(5) Ce qu'on appelle le système des monades eft à plusieurs égards la manière la plus fimple de concevoir une grande partie des phénomènes que nous prefente l'observation des êtres fenfibles & intelligens. En supposant en effet à tous les êtres une égale capacité d'avoir des idees, en fefant dépendre toute la difference entr'eux de leurs rapports avec les autres objets, on conçoit très-bien comment il peut fe produire à chaque inftant un grand nombre d'êtres nouveaux, ayant la confcience diftin&te du moi ; comment ce fentiment peut ceffer d'exifter fans que rien foit anéanti, fe reveiller après avoir ete tufpendu pendant des intervalles plus ou moins longs, &c. &c.

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Des formes plaftiques.

COMME je ne comprenais rien du tout à ces admirables idées, un anglais nommé Cudworth s'aperçut de mon ignorance, à mes yeux fixes, à mon embarras, à ma tête baiffée. Ces idées, me dit-il, vous semblent profondes parce qu'elles font creufes. Je vais vous apprendre nettement comment la nature agit. Premièrement, il y a la nature en général, enfuite il y a des natures plastiques qui forment tous les animaux & toutes les plantes, vous entendez bien? -Pas un mot, Monfieur.- Continuons donc.

Une nature plaftique n'eft pas une faculté du corps, c'est une fubftance immatérielle qui agit fans favoir ce qu'elle fait, qui eft entièrement aveugle, qui ne fent ni ne raifonne, ni ne végète; mais la tulipe a fa forme plaftique qui la fait végéter; le chien a fa forme plaftique qui le fait aller à la chaffe, & l'homme a la fienne qui le fait raifonner. Ces formes font les agens immédiats de la Divinitė, il a point de miniftres plus fidelles au monde : car elles donnent tout, & ne retiennent rien pour elles. Vous voyez bien que ce font-là les vrais principes des chofes, & que les natures plastiques valent bien l'harmonie préétablie & les monades, qui font les miroirs concentrés de l'univers. Je lui avouai que l'un valait bien l'autre.

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De Locke.

APRÈS tant de courfes malheureuses, fatigué, harraffé, honteux d'avoir cherché tant de vérités, & d'avoir trouvé tant de chimères, je fuis revenu à Locke, comme l'enfant prodigue qui retourne chez fon père ; je me fuis rejeté entre les bras d'un homme modefte, qui ne feint jamais de favoir ce qu'il ne fait pas ; qui, à la vérité, ne poffède pas des richeffes immenfes, mais dont les fonds font bien affurés ; & qui jouit du bien le plus folide fans aucune oftentation. Il me confirme dans l'opinion que j'ai toujours eue, que rien n'entre dans notre entendement que par nos fens.

Qu'il n'y a point de notions innées.

Que nous ne pouvons avoir l'idée ni d'un efpace infini, ni d'un nombre infini.

Que je ne pense pas toujours, & que par conféquent la penfée n'eft pas l'effence, mais l'action de mon entendement. (6)

Que je fuis libre quand je peux faire ce que je

veux.

Que cette liberté ne peut confifter dans ma volonté,

(6) Il n'est pas prouvé que nous ne fentions rien dans le fommeil le plus profond; il eft même très-vraisemblable que nous avons alors des fenfations trop faibles à la vérité pour exciter l'attention, ou refter dans la mémoire, trop mal ordonnées pour former un système suivi, ou qui puiffe fe raccorder à celui des idées que nous avons dans l'état de veille. Autrement il faudrait dire que l'attention nous fait fentir ou ne pas fentir les impreffions que nous recevons des objets, ce qui ferait peutêtre encore plus difficile à concevoir.

puifque lorfque je demeure volontairement dans ma chambre, dont la porte eft fermée, & dont je n'ai pas la clef, je n'ai pas la liberté d'en fortir; puifque je fouffre quand je veux ne pas fouffrir; puifque trèsfouvent je ne peux rappeler mes idées quand je veux les rappeler.

Qu'il eft donc abfurde au fond de dire, la volonté eft libre, puifqu'il eft abfurde de dire, je veux vouloir celte chofe; car c'eft précisément comme fi on difait, je défire de la défirer, je crains de la craindre: qu'enfin la volonté n'est pas plus libre qu'elle n'eft bleue ou quarrée. (Voyez la queft. XIII.)

Que je ne puis vouloir qu'en conféquence des idées reçues dans mon cerveau; que je fuis néceffité à me déterminer en conféquence de ces idées, puifque fans cela je me déterminerais fans raifon, & qu'il y aurait un effet fans caufe.

Que je ne puis avoir une idée pofitive de l'infini, puifque je fuis très-fini.

Que je ne puis connaître aucune substance, parce que je ne puis avoir d'idées que de leurs qualités, & que mille qualités d'une chofe ne peuvent me faire connaître la nature intime de cette chofe, qui peut avoir cent mille autres qualités ignorées.

Que je ne fuis la même perfonne qu'autant que j'ai de la mémoire, & le fentiment de ma mémoire; car n'ayant pas la moindre partie du corps qui m'appartenait dans mon enfance, & n'ayant pas le moindre fouvenir des idées qui m'ont affecté à cet âge, il est clair que je ne fuis pas plus ce même enfant que je ne fuis Confucius ou Zoroastre. Je fuis réputé la même perfonne par ceux qui m'ont vu croître, & qui ont

toujours demeuré avec moi; mais je n'ai en aucune façon la même existence; je ne fuis plus l'ancien moimême; je fuis une nouvelle identité: & de-là quelles fingulières conféquences!

Qu'enfin, conformément à la profonde ignorance dont je me fuis convaincu fur les principes des chofes, il eft impoffible que je puiffe connaître quelles font les fubftances auxquelles DIEU daigne accorder le don de fentir & de penfer. En effet ; y a-t-il des fubstances dont l'effence foit de penfer, qui pensent toujours, & qui penfent par elles-mêmes? En ce cas, ces fubftances, quelles qu'elles foient, font des dieux ; car elles n'ont nul befoin de l'être éternel & formateur, puifqu'elles ont leurs effences fans lui, puifqu'elles penfent fans lui.

Secondement, fi l'être éternel a fait le don de fentir & de penser à des êtres, il leur a donné ce qui ne leur appartenait pas effentiellement ; il a donc pu donner cette faculté à tout être quel qu'il foit.

Troisièmement, nous ne connaissons aucun être à fond; donc il eft impoffible que nous fachions fi un être eft incapable ou non de recevoir le fentiment & la pensée. Les mots de matière & d'efprit ne font que des mots; nous n'avons nulle notion conplète de ces deux chofes; donc au fond il y a autant de témérité à dire qu'un corps organifé par DIEU même ne peut recevoir la pensée de DIEU même, qu'il ferait ridicule de dire que l'efprit ne peut penfer.

Quatrièmement, je fuppofe qu'il y ait des fubftances purement spirituelles qui n'aient jamais eu l'idée de la matière & du mouvement, feront-elles bien reçues à nier que la matière & le mouvement puiffent

exifter?

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