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l'Hyver que feftins, que bains, que débauches avec les femmes, & qu'une molle oifiveté que P'habitude rend tous les jours plus charmante & par-là plus invincible. Les plus habiles dans le métier de la guerre, trouverent cette derniere faute d'Annibal beaucoup plus grande que la premiere, lorsqu'après la bataille de Cannes il n'avoit pas marché contre Rome. Car cette premiere faute auroit pû ne faire que differer fa victoire, au lieu que la derniere avoit entierement abbattu & lié les forces, & l'avoit mis hors d'état de pouvoir vaincre. Auffi quand il fortit de Capouë à la fin de l'Hyver, on auroit crû que c'étoit une autre Armée. Il n'y avoit plus aucune ombre de P'ancienne difcipline, & quand il fallut camper & reprendre fes travaux militaires, fes Soldats n'avoient plus ni force ni courage; la plûpart abandonnerent même leurs drapeaux; & l'idée pleine de leurs maîtreffes qu'ils venoient de quitter, ils retournerent à Capouë pour jouïr de leur commerce. On rapporte qu'Annibal dit en cette occafion, que jusques-là il avoit eu une Armée d'hommes, mais qu'il n'avoit plus qu'une Armée de femmes. Cependant le blocus avoit réduit Cafilinum à une disette extrême. Gracchus qui étoit campé près delà avec un corps de troupes pendant que le Dictateur étoit allé à Rome pour les Aufpices, apprenoit tous les jours que les habitans ne pouvant fupporter la famine, fe précipitoient des toits, ou montoient fur les murailles, & offroient leurs corps fans armes aux traits des asfiégeans. Il étoit d'autant plus affligé de leur état, qu'il ne pouvoit y apporter aucun remede. Car d'un côté de vouloir mener en plein jour

jour des convois dans la Place, cela ne fe pouvoit fans combat, & le Dictateur lui avoit défendu abfolument de combattre; de l'autre côté il n'étoit pas poffible d'y en faire paffer fecretement, tant toutes les avenuës étoient exactement gardées. Enfin voici l'expedient qu'il imagina: Il remplit de bled plufieurs tonneaux, & après avoir fait avertir les Casilins, il abandonna la nuit ces tonneaux au courant de la riviere qui les portoit dans la Place avant le point du jour. Cela fut repeté le lendemain, & le jour d'après, avec le même bonheur. Mais le troifième jour, la riviere enflée par les pluyes fe déborda, & le courant pouffa ces tonneaux par le travers fur la rive où étoient les ennemis qui les apperçurent parmi les faules & les rofeaux. Cela fut rapporté à Annibal, qui ordonna que l'on veillât avec plus de foin à empêcher que la riviere ne portât aucun fecours aux affiégés. Les Romains ne fe rebuterent point; ils jetterent dans le fleuve une grande quantité de noix, que les courans portoient dans la ville, & que l'on ramaffoit avec des clayes. Mais enfin la famine devint fi grande, qu'on mangeoit les cuirs & les couvertures des boucliers après les avoir fait bouillir, qu'on fe nourriffoit des rats, & de tous les autres animaux les plus étranges, & des herbes & des racines qu'on alloit chercher au pied des murs & des mafures. Comme les Carthaginois avoient labouré autour de la ville tout le terroir qui pouvoit porter de l'herbe, les affiégez y femerent une grande quantité de graine de raves; ce que voyant Annibal: Eb quoi, dit-il, je ferai donc réduit à demeurer devant cette Place jusqu'à ce que ces raves foient

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venues Cela le dispofa à écouter des propos fitions. Il fut convenu que les Cafilins rendroient la Place, & qu'ils retireroient leurprifonniers moyennant fept onces d'or pour chaque homme libre. Annibal mit dans la Place une garnifon de fept cens hommes pour la défendre, fi les Romains l'attaquoient après que fon Armée feroit partie.

Delà il alla attaquer Petelie, qui envoya demander du fecours aux Romains. Le Senat répondit qu'il n'étoit pas en état de fecourir des alliés fi éloignés; qu'ils n'avoient qu'à s'en retourner & à pourvoir à leur falut comme ils le jugeroient néceffaire. Ces pauvres malheureux accablés de douleur, prirent le parti de fe défendre. Ils refifterent quelques mois, mais enfin plus affoiblis par la famine que par le fer ennemi, ils furent emportés d'affaut par Himilcon qui commandoit au fiége.

Annibal maître de Petelie, alla attaquer Confenze qui fe rendit en peu de jours.

Sur ces entrefaites, Philippe fils de Demetrius II, envoya des Ambaffadeurs à Annibal pour faire alliance avec lui; ces Ambaffadeurs éviterent les ports de Brundufe & de Tarente où il y avoit des Efcadres de vaiffeaux Romains, & allerent defcendre au Cap de Lacinium à fix milles de Crotone. Mais en traverfant la Pouille pour arriver à Capouë, ils tomberent au milieu des garnifons Romaines, & ils furent menés au Préteur M. Valerius Levinus qui étoit campé près de Nucerie. Là Xenophane Chef de l'Ambaffade dit hardiment, & avec une perfidie plus digne d'un Carthaginois que d'un Ambaffadeur des Macedoniens, qu'il étoit envoyé par Philippe pour traiter ami

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tie & alliance avec les Romains & pour leur offrir toutes fes forces. Mais que fes inftructions ne devoient être communiquées qu'au Senat & au Peuple. Levinus ravi de l'Alliance d'un Roi fi puiffant, reçut cet ennemi comme un allié, lui donna une escorte pour l'accompagner, pour lui montrer les chemins les plus fûrs, & pour lui faire voir les lieux que tenoient les Romains, & ceux qu'occupoient les Carthaginois. Xenophane traverfant la Campanie au milieu des garnifons Romaines, ne fe vit pas plutôt près du camp d'Annibal, qu'il s'y jetta, & fit avec lui fon Traité qui portoit, que Philippe envoyeroit à fon fecours une Flotte qui feroit au moins de deux cens vaisfeaux; qu'il ravageroit les côtes, & que la guerre finie, Rome & l'Italie entiere feroient la proye d'Annibal avec tout le butin ; & que l'Italie étant fubjuguée, ils navigeroient en Grece & feroient la guerre aux Rois que Philippe voudroit attaquer que toutes les villes du Continent, & les Isles qui étoient à la bienféance des Macedoniens, feroient le partage de ce Prince.

Ce Traité figné, Annibal envoya des Ambaffadeurs à Philippe pour le faire ratifier. Ces Ambaffadeurs étant arrivés à Lacinium, où étoit le vaiffeau qui avoit porté les Macedoniens, s'embarquerent. Mais dans leur route ils furent apperçus par la Flotte des Romains qui gardoit les côtes de la Calabre. Valerius Flaccus qui la commandoit, envoya quelques vaiffeaux legers après eux.

Leur vaiffeau fit tous les efforts poffibles pour échapper n'ayant pû en venir à bout, ils le rendirent. Xenophane fans s'étonner continua fon menD 6

fonge,

fonge, & dit qu'il étoit envoyé aux Romains par Philippe ; qu'il étoit arrivé en toute fûreté au camp de Levinus, & qu'il n'avoit pû traverfer la Campanie à caufe des garnisons des ennemis. Mais leurs habits Carthaginois les ayant rendu fufpects, & eux-mêmes s'étant coupés dans leurs réponses, ils furent feparés. Les menaces les obligerent enfin à avouer la verité. On trouva les Lettres qu'Annibal écrivoit à Philippe, & le Traité qui avoit été conclu. On jugea donc à propos de les envoyer au Senat, ou aux Confuls. On les mit separément fur cinq vaiffeaux que commandoit Valerius Antias, à qui l'on ordonna d'empêcher qu'ils n'euffent ensemble aucune communication.

Cependant les Peuples de la Campanie, qui étoient dans les interêts d'Annibal, entreprirent de fe rendre maîtres de Cumes pour la lui livrer. Mais ne pouvant esperer d'y réuffir par la force, ils eurent recours à la rufe. Ils avoient accoutumé de faire toutes les années un facrifice dans la ville d'Hames, qui eft à trois milles de Cumes. Quelques jours avant la fête ils envoyerent avertir les Cumains qu'un tel jour le Senat de la Campanie se rendroit à Hames pour y célébrer les facrifices, & prier Je Senat de Cumes, de s'y trouver pour déliberer avec eux fur le parti qu'ils avoient à prendre. Les Cumains fe douterent de la fraude, mais comme ils esperoient d'en tirer avantage, ils accepterent le rendez-vous. Ils envoyent d'abord des Députez au Conful Sempronius Gracchus pour lui donner avis de tout ce qui fe paffoit, & pour lui apprendre que la Fête feroit dans trois jours, & que tout le Se

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