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trouver sur la rive ennemie un point d'appui, un noyau de résistance?

Mais l'emploi qui peut être fait en un petit nombre d'heures de la fortifications de campagne, ne se borne pas aux batailles défensives et aux passages de rivières. Bien que l'on doive considérer dorénavant l'issue d'une bataille comme inévitablement attachée à la supériorité en artillerie de l'un des deux partis, il n'est pas douteux non plus que l'habileté des manoeuvres peut influer sur le résultat,

Au nombre des manœuvres que la tactique enseigne, il en est une qui consiste à adopter vis-à-vis de la ligne de bataille de son ennemi, l'ordre oblique, afin de concentrer ses efforts sur une seule extrémité de la ligne ennemie en masquant ses mouvement par un rideau de troupes. C'est ce que fit Frédéric-le-Grand à Leuthen, où il attaqua l'aile gauche des Autrichiens avec son aile droite renforcée de son élite, la déborda et la refoula sur le centre. Le roi avait commencé par inquiéter leur droite pour les engager à y concentrer leurs forces.

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« Mais, dit Napoléon dans le septième volume de ses mémoires, si le duc de Lorraine eût eu une simple vedette en avant de son front, il eût été prévenu que le roi marchait par la droite pour attaquer son aile gauche, il y eût porté sa réserve et eut en même temps fait avancer sa droite et son centre. Il eût prit l'armée <<< en flanc, en flagrant délit, et l'eût défaite. »

Nous prenons acte de ce jugement sur les dangers de l'ordre oblique. Voyons maintenant, en les analysant de plus près, si la fortification passagère n'aurait pas des

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ressources pour les atténuer. Evidemment ce que Napoléon signale comme le principal danger de cette manœuvre est celui-ci :

Pendant que le général A dégarnit sa gauche et son centre pour renforcer sa droite, il s'expose à être attaqué pendant une marche de flanc, si la ruse est découverte, et le général B, en se portant en masse sur une aile et un centre affaiblis, les enfoncera très-probablement, Eh bien! supposons que le général A ait formé sa ligne de bataille de 30 bataillons de 840 hommes formant trois divisions de 12 bataillons chacune et occupant une ligne, avec les intervalles compris, de 6274 mètres de longueur, quand il retirera de sa gauche et de son centre 12 bataillons pour les porter en colonne derrière le centre de sa division de droite, sa ligne de bataille sera réduite de 2058 mètres environ et il exposera son centre à être débordé ou entouré. Supposons qu'alors pendant la nuit qui précède l'action, il fasse élever derrière son aile gauche et son centre sur une étendue de 2,000 mètres environ 4 ou 5 épaulements de 70 mètres de longueur, pouvant contenir chacun une batterie de 6 bouches à feu et séparés les uns des autres par de simples coupures de 4 mètres de largeur et de 2 mètres de profondeur; quand derrière un rideau de tirailleurs déployé pour masquer ses mouvements il aura porté vers la droite ses 12 bataillons, et que l'ennemi averti de la ruse, s'avancera en force pour déborder sa ligne affaiblie, il sera arrêté par le feu des batteries établies à couvert derrière les épaulements: sa cavalerie ne pourra franchir les coupures et le centre ne pourra être débordé.

Or ces manoeuvrements de terrain sur une étendue d'environ 2,000 mètres, auront pu être faits par 4,000 hommes environ dans une seule nuit. (1)

Les articles 111 et 112 de l'ordonnance du 10 mars 1759 concernant le service du génie en campagne, qui assignaient aux compagnies de sapeurs et de mineurs destinées à servir aux armées une place entre l'avantgarde et la tête des colonnes avaient bien en vue de faciliter au général, commandant le corps d'armée, l'exécution des ouvrages de fortification passagère.

Les règlements, arrêtés ou décrets impériaux faits entre l'année 1792 et l'année 1813 se sont occupés du service du génie, principalement dans les sièges ou dans les places de guerre. (2) Mais dans l'ordonnance du 3 mai 1832, nous voyons les articles 4, 11, 33 et 129 régler la position des troupes du génie en campagn e ainsi que la nature des travaux qu'elles peuvent être appelées à exécuter. C'est d'un heureux augure pour l'avenir de la fortification passagère et pour sa réalisation du rôle important qu'elle est appelée à jouer dans les guerres de la fin du XIXe siècle.

Il est à souhaiter, en effet, que ce rôle soit clairement défini et la sphère des attributions qui relèvent de l'arme

(1) Un mètre courant de profil d'épaulement de batterie pouvant résister à du canon de 12 et en haut 2, 87 de remblai, et 2, 56 de déblai, exige 12 heures de travail par homme, relevé de 4 en 4 heures. Ainsi, supposons qu'il y ait 300 travailleurs pour les construire en une nuit. Quant aux 4000 mètres de coupures, il suffira de 1000 à 4200 hommes pour les faire.

(2) C'est la période correspondante à la République et à l'Empire.

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du génie, nettement tracée : Suivant nous, cette arme, en sa qualité d'arme spéciale doit toujours obéir à une impulsion donnée par le général en chef. - Peuton, par exemple, accuser le génie d'avoir manqué à Essling de prévoyance et d'habileté en ne disposant pas pour la défense, le terrain occupé par l'armée et les villages d'Essling et d'Aspern? Nous ne le pensons pas, Pourtant le général Pelet semble s'en occuper, quand, dans ses Mémoires sur les guerres d'Allemagne en 1809, page 360, tome 1, il dit :

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N'était-ce pas aux officiers du génie des corps d'armée, n'était-ce pas aux généraux Rogniat et Lasouski à disposer le terrain occupé par leurs troupes, ainsi que les villages d'Aspern et d'Essling où certes il y avait bien peu à faire? Depuis le 21 au matin, depuis le 22 même, n'ont-ils pas eu plus de temps qu'il n'en fallait pour les mettre en parfaite défense? Le premier (de ces généraux) n'a-t-il pas dû en sentir plus vivement la nécessité, à mesure qu'il apercevait plus d'imprudences et de dangers? Le second a, de lui-même et sans aucun ordre fait tra⚫vailler devant l'ilôt d'Aspern. Nous avons vu sur tous les champs de bataille, les officiers du génie s'occu

per spontanément des dispositions passagères, ou du ⚫ moins réclamer les ordres nécessaires. Quel serait sans celà leur service un jour d'affaire avec leurs compagnies de sapeurs, leurs caissons d'outils, leur état-major? »

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Nous serions fâchés de nous trouver en contradiction avec l'honorable général Pelet; mais, ainsi que nous

l'avons dit précédemment au chapitre IV de l'Histoire de la Fortification passagère, il ne nous paraît pas admissible que le commandant du génie puisse agir spontanément sans ordres supérieurs, ou réclamer les ordres nécessaires pour prendre certaines dispositions, quand le plan d'opération du général en chef ne lui a pas été communiqué.

Il faut attribuer l'inactivité du génie à Essling, à la confiance sans bornes que Napoléon avait dans sa brave armée et à l'ardeur bouillante de ses généraux.

Nous persistons à croire qu'à cette époque de l'Empire, marquée par de si éclatants succès, par de si habiles et de si rapides manoeuvres, la fortification passagère n'a fait défaut trois ou quatre fois, que parce qu'on ne se donnait pas le temps de recourir à elle, ou parce qu'on ne croyait pas avoir besoin de son secours.

Qu'il n'en soit plus ainsi dans les guerres que la France pourrait être appelée à soutenir ! C'est le vœu que nous formons dans l'intérêt du succès de ses armes et dans l'intérêt digne de la permanente sollicitude de tous les hommes de guerre, l'intérêt de la vie du soldat!

!

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