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CHAPITRE PREMIER.

ALEXANDRE-LE-GRAND.

(356-323)

Alexandre, heureusement doué par la nature de qualités que développa l'éducation qui lui fut donnée par Aristote, avait assisté la fin de la lutte de la Grèce contre son père, et certes, outre les faits guerriers qu'il put y remarquer, il dut être profondément frappé de la principale cause qui donna la victoire à son pays; cette cause c'était l'union, c'était un plan bien arrêté, bien suivi; tandis que les Grecs, suivant leur défaut habituel, étaient désunis, rivaux et jaloux les uns des autres. Aussi voit-on, dans tout le cours de sa carrière, Alexandre imprimer à ses opérations un cachet d'unité, de concentration, qui prouve tout le prix qu'il y attachait.

Après avoir mis en ordre les affaires de la Grèce, et avoir surtout effrayé, par la ruine de Thèbes, tout peuple disposé à la révolte, il confia au fidèle Antipater, placé à la tête d'une armée de 12,000 fantassins et 1,500 cavaliers, la garde de la Macédoine, et s'embarqua pour l'Asie avec 3,000 hommes d'infanterie et 5,000 cavaliers, de faibles ressources pécuniaires et des vivres pour un mois.

Il y a, dans ces commencements de la conduite d'Alexandre, de la prudence et de la témérité de la prudence parce qu'il assure ses derrières de la témérité parce qu'il s'aventure avec de faibles forces au centre d'un puissant empire. Alexandre comptait sur ses troupes et avait foi dans son étoile !

Débarqué en Asie, il passe le Granique (334) malgré les excellentes dispositions défensives de Memnon de Rhodes, s'empare de Sarde, de Milet, d'Halicarnasse, renvoie sa flotte par économie, et en profite pour envoyer, passer l'hiver en Macédoine, les jeunes soldats mariés peu de temps avant le départ de l'armée : excellente mesure qui, répandant dans la patrie le bruit de ses exploits, tendait à faire accourir sous ses drapeaux un grand nombre de recrues volontaires.

Après la victoire d'Issus (333), Alexandre s'empara de Damas et de Sidon. Il fut contraint d'assiéger Tyr, ct ce siége, un des plus célèbres de l'antiquité, dura sept mois : Gaza lui prit ensuite deux mois. La punition terrible qu'il infligea à ces villes courageuses, dont presque tous les habitants périrent, témoigne de l'importance qu'il attachait à ne pas perdre de temps: et, en effet, il pouvait craindre d'être inquiété par ses ennemis pendant ces longs retards: mais les Perses ne bougèrent pas, et pourtant s'ils eussent forcé Alexandre à lever, soit le siége de Tyr, soit celui de Gaza, le conquérant perdait tout le prestige d'une rapide suite de victoires sans échec.

En sept jours de marche, Alexandre se rend de Gaza à Péluse: l'Égypte se soumet sans résistance (332), il entre en souverain dans Memphis, fonde, dans une excellente position, la ville d'Alexandrie, où il songe peut-être à transporter un jour le siége de son empire, et va se faire saluer au temple d'Hammou du titre de Fils de Jupiter.

Cette campagne d'Égypte a été diversement jugée. Les uns, remarquant le soin avec lequel Alexandre soumit les villes maritimes des côtes de l'Asie, afin de ne laisser derrière lui aucun port ennemi et de s'assurer de nombreuses communications avec la Grèce, attribuent la conquête de l'Égypte à la suite du même plan. Avant de

voler à de nouvelles conquêtes, avant de s'engager dans la HauteAsie, Alexandre ne voulait pas laisser sur ses derrières un empire puissant, soumis aux Perses, et qui pourrait lui devenir funeste s'il agissait dans l'intérêt de Darius. Les autres ont trouvé la pointe hasardée, et en effet, il était facile aux Perses de fermer l'Ithsme de Suez pour lui barrer le retour. Mais il était dit que toute direction intelligente manquerait aux Perses dans cette guerre. Déjà le projet de faire diversion, en portant la guerre en Macédoine, avait échoué par la mort de Memnon; déjà Alexandre, sans être inquiété, avait pu tranquillement tourner ses forces contre Tyr et Gaza, et consommer neuf mois aux siéges de ces deux villes.

Et pourtant, a dit un écrivain moderne : « Assurément Darius Codoman, qui gouvernait la Perse lors de l'invasion d'Alexandre, n'était pas un homme méprisable, pas même un prince ordinaire; c'était un des meilleurs et des plus capables de tous les monarques qui avaient régné en Perse depuis Cyrus. Il était brave, intelligent, actif, plein de force dans le malheur : mais toutes ces qualités, qui le distinguaient du vulgaire, qu'étaient-elles auprès de celles qui élevaient le grand Alexandre si fort au-dessus de l'humanité ? Marqué par la Providence pour être du petit nombre de ces hommes qui doivent faire l'étonnement et l'admiration du monde, Alexandre ne voyait rien au-dessus de son génie, et par conséquent son génie mettait tous les obstacles au-dessous de lui. Il avait tellement imprimé dans ses troupes le sentiment de sa supériorité et de l'ascendant de sa fortune, qu'un Macédonien se serait cru insensé de penser autrement que son roi. Il est aisé de se figurer ce que cette concentration (si je puis m'exprimer ainsi) de toutes les âmes dans la sienne, devait mettre d'unité dans son armée. L'augmentation de force qui en résultait pour lui, comparativement à celle de ses ennemis, pouvait s'apprécier comme la différence d'un principe actif à une matière inerte. On conçoit donc que les actions d'Alexandre devaient toujours avoir quelque chose de hardi, d'impétueux, d'extraordinaire, d'inattendu, qui surpassait et mettait en défaut toute la prévoyance de ceux qui osaient lutter avec lui. Voilà la cause prin cipale de ses étonnants succès contre les Perses, qui, non moins

braves ni moins belliqueux que les Macédoniens, étaient seulement moins manœuvriers et plus amollis par le faste; défauts que leur grande supériorité de nombre aurait facilement compensé, s'ils n'avaient pas eu en tête un Alexandre (1). »

En 331, Alexandre gagna sur Darius la célèbre bataille d'Arbelles (2), qui lui donna la possession de la ville d'Arbelles où il trouva de nombreux objets précieux, appartenant au Grand Roi, et quatre mille talents (environ 21 millions de francs) en espèces. Il fit ensuite son entrée dans Babylone, à la tête de toute son armée, sur un char resplendissant d'or et de pierreries.

Il resta trente-quatre jours dans cette fameuse cité où son armée s'amollit, mais ayant reçu de la Grèce environ 14,500 fantassins et 1,500 cavaliers de renfort, il put reprendre l'offensive.

Vingt-cinq jours après avoir quitté Babylone, il arriva à Suze qui lui fut livrée; cette ville contenait d'immenses richesses. Après avoir dompté les Uxiens, il força à grand peine le pas de Suze, pénétra alors dans la Perse proprement dite, et fit son entrée dans Persepolis, 5, que les Perses avaient abandonné. Le trésor de cette

(4)

L'art militaire chez les nations les plus célèbres de l'antiquité et des temps modernes, analysé et comparé, par de Laverne, Paris, 4805, pages 474 et 472.

(2) Le matin de la bataille d'Arbelles, Alexandre dormait si profondément que Parménion eut de la peine à le réveiller. Ainsi dormaient Condé le matin de la bataille de Rocroy, et Napoléon le matin de la bataille d'Austerlitz.

On trouve, dans la vie des grands hommes de guerre, des actions d'une ressemblance parfaite et ce serait un travail curieux que celui qui réunirait et comparerait entr'elles toutes les actions de ce genre. J'en cite un exemple.

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A la bataille d'Orchomènes (87 avant J-C.) les Romains pliaient : Sylla saisit une enseigne et la jetant dans les rangs ennemis : Romains, s'écrie-t-il; si l'on vous demande où vous avez abandonné votre général, n'oubliez pas de dire que c'est au moment où il combattait à Orchomènes. » — Ainsi firent Condé à Fribourg (3 août 1644) et Bonsparte à Arcole (14 novembre 1796).

ville renfermait 120,000 talents (660 millions de francs) qui furent destinés aux frais de la guerre.

En 330 Alexandre entra dans Ecbatane, capitale de la Médie, que Darius, trahi et prisonnier des siens, venait de quitter depuis cinq jours le trésor de cette ville renfermait, suivant Strabon, 180,000 talents (environ un milliard de francs). Il se mit alors à la poursuite du roi captif que l'on trouva bientôt percé de coups de dards par Bessus et ses complices. Pendant ce temps, la Grèce croyant Alexandre au fond de l'Inde, se révoltait et courait aux armes heureusement la victoire de Megalopolis, remportée par Antipater, fit tout rentrer dans l'ordre.

En 329, il y eut dans l'armée d'Alexandre elle-même des mouvements séditieux que le conquérant eut peine à contenir par ses discours et par ses largesses. L'orgueil croissant du fils de Philippe qui prenait toutes les habitudes luxueuses et hautaines des monarques persans, l'exécution de Philotas, l'assassinat de Parmenion, la mort de Callisthènes, achevèrent d'augmenter le mécontentement des Macédoniens. L'apothéose d'Alexandre qui eut la faiblesse de se faire décerner les honneurs divins, son intempérance et surtout son ivrognerie, mirent le comble à ce mécontentement : son génie abandonnait le conquérant: sa tête n'avait pu résister à l'enivrement de ses hautes prospérités en devenant Dieu il redescendit au rang de l'homme ordinaire.

Ce fut sous ces indices défavorables qu'Alexandre, qui venait d'épouser Roxane, entreprit son expédition dans l'Inde après avoir exigé des ôtages pour assurer ses derrières. Il vainquit à la bataille de l'Hydaspe (327) Porus qui se défendit vaillamment, et montra aux Macédoniens un ennemi autrement redoutable que les Perses auxquels ils avaient eu jusqu'alors à faire. Alexandre le rétablit dans son royaume et en fit son allié. Il passa ensuite l'Acésine et l'Hydraote, et défit dans une sanglante bataille les Oxydraques et les Maliens. Il allait traverser l'Hyphase afin de pousser jusqu'au Gange, lorsque ses troupes fatiguées et découragées refusèrent d'aller plus loin. Il éleva alors douze autels aux premiers dieux de l'Olympe, sur la rive occidentale de l'Hyphase, et rétrograda jus

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