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curgue; & c'eft ce qui caufa fa ruine.
Sparte perdit tout par la défaite & parla
retraite forcée de Cléomène. Une jour-
née ruina ces heureux commencemens de
puiffance & de gloire, & lui ôta même
l'efpérance de pouvoir jamais fe rétablir
dans fon ancienne fplendeur, & dans fa
première autorité, qui ne pouvoient plus
fubfifter dès qu'on lui interdifoit l'ufage
de fes anciennes coutumes & de fes loix,
qui en' avoient été le fondement. La cor-
ruption reprit fon cours, & fe fortifia de
plus en plus jufqu'à fon entière décaden-
ce, qui ne tarda pas long-tems. On peut
dire que les vues & les entreprises har-
dies de Cléomène furent les derniers ef-
forts d'une liberté expirante.

Trois jours après qu'Antigone fut entré
dans Sparte, il en partit fur les nouvelles
qu'il reçut que la guerre étoit allumée
dans la Macédoine & que les Barbares
faifoient un dégât horrible dans tout le
pays. Si cette nouvelle étoit arrivée trois
jours plutôt, Cléomène auroit été fauvé.
Antigone étoit déja attaqué d'une grande
maladie, qui dégénéra enfin en une phti-
fie totale par un catharre général fur tout
fon corps, qui l'emporta deux ou trois ans
après. Il ne fe laiffa pourtant point abbat-
tre au mal, & il trouva encore en lui des
forces pour fournir à de nouveaux com-
bats dans fon propre Royaume. On dit
qu'après la victoire qu'il remporta fur les
Illyriens, tranfporté de joie il répéta plu-
fieurs fois: Ola belle, l'heureufe journée!
& qu'il pouffa ce cri avec un fi grand ef-

fort,

fort, qu'il fe rompit une veine, & perdit beaucoup de fang. Ce fymptome fut fuivi d'une fièvre continue très-violente, dont il mourut. Il avoit nommé auparavant pour fon fucceffeur Philippe, fils de Démétrius, âgé pour lors de quatorze ans; ou plutôt il lui remit le fceptre, dont il n'avoit été que dépofitaire.

Cependant Cléomène arriva à Alexandrie. Quand il falua le Roi pour la première fois, il en fut reçu affez froidement, & fans aucune diftinction marquée. Mais, quand il eut donné des preuves de fon grand fens, & qu'il eut fait voir dans fa conversation ordinaire la franchise & la fimplicité Laconique, affaifonnées de grace fans baffeffe, & même d'une fierté noble, telle qu'elle convenoit à fa naiffance & à fon rang, alors Ptolémée connut tout fon prix, & l'eftima infiniment plus que tous les Courtifans qui ne cherchoient qu'à lui plaire par de baffes flateries. Il eut honte même & fe repentit d'avoir négligé un fi grand homme, & de l'avoir abandonné à Antigone, qui par fa défaite avoit acquis beaucoup de réputation, & augmenté infini ment fa puiflance. Il tâcha donc de con- AN. M. foler & de relever Cléomène par toutes 3782. fortes d'honneurs, & l'encouragea en lui Av. J. C. promettant qu'il le renverroit en Gréce avec une flotte & de l'argent, & qu'il le rétabliroit fur le Trône. Il lui affigna une penfion de vingt-quatre talens par an, dont il s'entretint lui & fes amis avec une quatre mille écus. grande fimplicité, épargnant tout le refte

pour.

222

Vingt

221.

pour l'employer à fubvenir aux néceffités de ceux qui fe retiroient de Gréce en EAN. M. gypte. Mais Ptolémée mourut avant qu'il 3783. eût pu accomplir la promeffe qu'il avoit Av. J. C. faite à Cléomène de le renvoyer dans fa patrie. Ce Prince avoit regné vingt-cing Strab. 1. ans. C'est le dernier de cette race qui ait 17. p. 796. eu de la modération & quelque vertu. Prefque tous ceux qui vinrent après lui, furent des monftres de débauche & de fcélérateffe. Depuis la paix avec la Syrie, il s'étoit appliqué principalement à étendre fa domination du côté du midi. Monum. Auffi la pouffa-t-il tout le long de la mer Adulit. rouge, fant du côté de l'Arabie que de Detroit celui de l'Ethiopie, jufqu'au détroit qui la de Babel- joint à l'Océan méridional. Ptolemée fon fils, furnommé Philopator, lui fuccéda. AN. M. Quelque tems auparavant il étoit arrivé 3782. à Rhodes un grand tremblement de terre AV. J. C. qui y caufa des dommages confidérables.

mandel.

222.

Polybg. Tous les murs, tous les arfenaux, tous lib.5.pag. les endroits du port où les vaiffeaux é428-431 toient enfermés, furent ruipés en partie.

Le fameux Coloffe, qui paffoit pour une des merveilles du monde, fut abbattu & entièrement détruit. On s'imagine aisément que ce tremblement n'épargna, ni les maifons particulières, ni les édifices publics & les temples. La perte montoit à des fommes immenfes.. Dans ce defastre commun, les Rhodiens, réduits à la dernière extrémité, députèrent chez tous les Princes voisins pour implorer leur fecours. Il y eut entre eux, pour confoler & foula. ger cette ville défolée, une émulation bien

digne de louange, & qui eft fans exemple. Hiéron & Gélon en Sicile, & Ptolémée en Egypte, fe fignalèrent entre tous les autres. Les premiers fournirent plus de cent talens (cent mille écus, ) & poferent dans la place publique deux ftatues, l'une du peuple Rhodien, l'autre du peuple Syracufain, dont la première étoit couronnée par l'autre, pour marquer, dit Polybe, que les Syracufains comptoient avoir reçu eux-mêmes une grace & un bienfait d'avoir pu procurer quelque foulagement à ceux de Rhodes. Ptolémée, fans parler de beaucoup d'autres dépenses qui montoient à des fommes confidérables, fournit trois cens talens (trois cens mille écus,) un million de mefures de froment, de la matière pour bâtir dix galères à cinq rangs de rames, & autant à trois rangs, une quantité infinie de bois pour d'autres bâtimens; en particulier, pour rétablir le Coloffe, trois mille talens, c'eft-à dire neuf millions. Antigone, Sélecus, .Prufias, Mithridate, & tous les autres Princes, auffi bien que toutes les villes, fignalèrent leur libéralité. Les particuliers voulurent auffi entrer en part de cette gloire, & l'on cite une Dame appellée Chryféis, véritablement di-Chryféis gne de fon nom, qui feule fournit cent fignifie mille mefures de froment. Que les Princes d'à préfent, dit Polybe, qui croient avoir beaucoup fait quand ils ont donné quatre ou cinq mille écus, comprennent combien ils font éloignés de ceux dont on vient de parler. En affez peu d'années

Rho

d'or.

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496 HIST. DES SUCCESS. D'ALEXANDRE. Rhodes fut rétablie dans un état plus opulent & plus magnifique qu'elle n'avoit jamais été, à l'exception du Coloffe.

Ce Coloffe étoit une ftatue d'airain d'une grandeur prodigieufe, comme je l'ai marqué ci-devant. On prétend que l'argent qu'on leva dans la contribution dont je viens de parler, montoit à cinq fois Strab. autant que la perte. Les Rhodiens, au 14. p. 652 lieu d'employer cet argent, comme c'étoit la principale intention de ceux qui l'avoient donné, à relever ce Coloffe, prétendirent que l'oracle de Delphes le leur avoit défendu, & gardèrent cet argent dont ils s'enrichirent. Le Coloffe demeura abbattu comme il étoit fans qu'on y touchât pendant 894. ans, au bout def quels (l'an de Jefus-Chrift 672.) Moawias, Zonar. le fixième Calife ou Empereur des Sarafab regne zins, ayant pris Rhodes, le vendit à un Imperat, marchand Juif, qui en eat la charge de Cedre- neuf cens chameaux, c'est-à-dire, qu'en

Conftantis

7:45

comptant huit quintaux pour une charge, l'airain de ce Coloffe, après le déchet de tant d'années par la rouille, & ce qui vraifemblablement en avoit été volé, fe montoit encore à fept cens vingt mille livres ou à sept mille deux cens quintaux.

Fin du feptième Tome.

TABLE

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